jeudi 5 octobre 2023

VOYAGER AVEC AUSTRALIE DU POÈTE ALLEMAND JAN WAGNER CHEZ ILLADOR.

Anti-lyrique au sens où son auteur se refuse à l’expression directe des sentiments comme des émotions, australie, le recueil de Jan Wagner[1], que publient en édition bilingue les éditions Illador[2] n’en demeure pas moins un recueil profondément personnel dont chaque poème constitue une provocation à la découverte. Non celle qui enferme son objet dans la définition mais en accroit les dimensions par l’image, les rapprochements, le caractère insolite des perspectives.

Qu’il évoque des oliviers centenaires, ce qu’on appellerait aujourd’hui la « résilience » du lichen, la cueillette des quetsches, l’effrayante apparence du pitbull, un amoncellement de coquilles d’huitres, un boqueteau en feu, Strinberg titubant à l’intérieur d’un café, une toile de Lavinia Fontana représentant Antonietta, fille de « l’homme sauvage du Ténériffe », sans doute atteinte d’une hypertrichose qui lui donne l’apparence d’un animal couvert de poils, le poème, ici, tel le caméléon évoqué en ouverture du livre - « un astronome avec un œil au ciel et l’autre au sol » - fait sa proie de tout ce qui peut passer à portée de regard sans rien laisser voir de sa forteresse intérieure mais en lui restituant par la pensée toute son épaisseur de monde. L’huître, par exemple, « auster » en allemand, rappelant Austerlitz et la figure du général Junot qui avant la bataille se faisait servir par son valet de camp[3] deux ou trois bonnes centaines de ces charnus et fondants mollusques… L’arbre à quetsches se faisant dès la métaphore des deux premiers vers, presque Yggdrasil, arbre monde[4]

lundi 2 octobre 2023

PARTAGE DU JOUR. HORACE PIPPIN, 1888-1946. EDEN OU FIN DU MONDE ?

 

Je ne sais ce que valent ces étiquettes que le plus souvent on lui attribue de peintre autodidacte, d’artiste naïf, que sais-je ? Quand on ne le ramène pas seulement à la couleur de sa peau. Tout ce que je sais c’est que ce peintre américain qui effectivement n’aura suivi les leçons de personne et aura toujours déclaré qu’il peignait ce qu’il voyait, me touche depuis longtemps. Principalement ses scènes d’intérieur dans lesquelles il fait éclater les blancs et autour d’eux les présences. Des choses aussi bien que des êtres. Dans toute la puissance des sentiments.

dimanche 1 octobre 2023

LITTRÉ CONTRE NETFLIX. BLACK-OUT DE PAUL DE BRANCION AUX ÉDITIONS PLAINE PAGE.

 

 

Complexe dispositif que celui mis en place par Paul de Brancion pour répondre d’un point de vue poétique, je veux dire du point de vue du Sujet libre, aux brumeuses dissolutions qui font que ce qui devrait autour de nous faire encore et de plus en plus Monde n’apparaît aujourd’hui que comme espace d’enfermement, d’asservissement, dont l’addiction aux séries télévisées par la tension programmée qu’elles génèrent, nous offre selon lui l’une des figures les plus claires. Partant de là, le livre de Paul de Brancion convoque face aux images reproduites de diverses séries américaines, Prison Break, Breaking Bad…, sa propre série de phrases empruntées à « de lointains prédécesseurs en écriture » : Voltaire, Bossuet, Chénier… comme « autant de bulles de courage, de raisons d’espérer ». Littré opposé à Netflix ! Ainsi, pour Paul de Brancion, dont chacun des textes aura été écrit, précise-t-il en contrepoint des épisodes du célèbre feuilleton de Paul Scheuring, s’opère ce combat de la pensée contre le vide qui de partout en ces temps la menace. Tout cela bien sûr relève davantage de l’intellect, du sentiment, que de l’exploration sensible. Mais n’en demeure pas moins une salubre tentative pour renvoyer à leur néant, comme le suggère aussi en retour le titre, les puissances mauvaises qui corrompent notre humanité.


samedi 30 septembre 2023

DÉCOUVERT CE MATIN : PAULA MODERSOHN-BECKER, 1876-1907.


 

PARUTION. ET PUIS, SOUDAIN, IL CARILLONNE, D’ELKE DE RIJKE, CHEZ LANSKINE.


Merci à Elke de Rijcke et bien sûr aussi à son éditrice de m’avoir personnellement adressé son tout dernier livre, Et puis, soudain il carillonne, qui rassemble un choix de textes par elle écrits au cours de ces vingt dernières années. Cette anthologie dans un format de poche soigné, sera l’occasion pour ceux qui ne connaîtraient pas l’œuvre multiforme de cette auteure franco-néerlandaise d’en découvrir l’exigeante originalité. Nourrie tout autant d’une profonde connaissance des arts, de la science que de la littérature, cette œuvre est de celles qui explorent plus qu’elles ne circonscrivent, qui dérangent plus qu’elles ne rassurent et surtout puisent leur vitalité dans le refus de choisir entre le dire et le sentir en s’enfonçant toujours plus avant dans un travail créatif de formes. Comme je l’écrivais à propos de l’un de ses ouvrages, le travail d’Elke de Rijcke est en fait « celui d’une existence tant intellectuelle que sensible, qui cherche à s’exprimer vitalement dans ses bonds, ses rebonds, ses traversées, en parcourant des champs de conscience, de connaissances aussi, qui renouvellent fortement notre perception du réel. » Une œuvre donc qui pour reprendre à ma façon un texte qu’on trouvera pages 79 et 80, accueillera son lecteur, toute pétillante d’inventivité, dans l’attente qu’il devienne son ami, son convive.

 Voir aussi sur ce blog  :  

http://lesdecouvreurs2.blogspot.com/2022/01/juin-sur-avril-un-travail-delke-de.html

https://sway.office.com/6B5nRYYiuFW4Tw3S?ref=Link

jeudi 28 septembre 2023

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS : LA SEPTIÈME CROIX D’ANNA SEGHERS CHEZ MÉTAILLIÉ.

Premier roman de l’histoire de la littérature européenne à se pencher sur l’univers des camps ouverts par l’Allemagne nazie au lendemain de sa conquête du pouvoir, l’ouvrage d’Anna Seghers, La Septième croix a commencé à être rédigé en France dès 1938 pour être terminé en 1941, à Mexico où l’auteur aura dû se réfugier. C’est en 1947 que les éditions Gallimard en publieront la traduction française avant que les éditions Métaillié ne la reprennent dans une nouvelle traduction de Françoise Toraille. Et disons-le tout de suite, ce livre dont on aura pourtant relativement peu parlé, comme le fait remarquer Jean Birnbaum dans un article du Monde où il constate, à l’occasion de la réédition de 2020, que son Journal n'en aura jusque là jamais même fait mention, est un livre admirable et toujours nécessaire.

Georg Heisler à qui, au camp de Westhofen, est destinée cette septième croix qui donne son titre au roman, s’est évadé en compagnie de six autres camarades qui seront l’un après l’autre repris puis suppliciés. L’enjeu ici, pour les autres prisonniers du camp à qui la mise en scène à la fois cynique et terrible imaginée par le commandant s’adresse, est capital. « Pour la plupart d'entre nous, ces évadés étaient à ce point une partie de nous-mêmes qu'il nous semblait que nous les avions envoyés en émissaires. Même si nous avions tout ignoré de leur projet, nous avions l'impression d'avoir réussi une entreprise rare. Pour nombre d'entre nous, l'ennemi semblait tout-puissant. Tandis que ceux qui sont forts peuvent sans souci parfois se tromper, sans rien y perdre, parce que même les plus puissants des hommes sont toujours des hommes — et d'ailleurs, leurs erreurs ne font que les rendre plus humains —, ceux qui se targuent de leur toute-puissance n'ont pas le droit de jamais se tromper, car ils sont tout-puissants ou ne sont rien du tout. Quand on réussissait à mettre en défaut, même de manière dérisoire, le pouvoir absolu de l’ennemi, alors, on avait réussi en tout. »

lundi 25 septembre 2023

BONNES FEUILLES. SUR L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE. CONTROL UN THRILLER DE SINGER ET COLE CHEZ BUCHET-CHASTEL.

CLIQUER POUR LIRE LES EXTRAITS.

 

À PROPOS D’UNE ÉMISSION DE THOMAS SNEGAROFF SUR L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE.

 

Le Golem, de Carl Boese et Paul Wegener, 1920

Une poignée d’invités intelligents et j’imagine compétents discutaient hier soir, sur le plateau de l’excellente émission de France 5 C Politique, de la question de savoir si l'intelligence artificielle nous rend ou non plus bête et par voie de conséquence fait courir un risque ou pas à l’ensemble de l’humanité. Étonnement pour moi de constater surtout en cette période d’alarmisme généralisé qu’une sorte d’unanimité semblait s’y faire sur le constat que la machine resterait toujours une machine et que n’ayant ni corps, ni sentiment, ni cette conscience que seule pensons-nous notre cerveau humain génère, elle ne deviendrait jamais plus qu’un outil finalement merveilleux nous permettant d’élargir presque infiniment le champ somme toute assez modeste de nos possibilités.

vendredi 22 septembre 2023

À PROPOS DE LIGURIES, ENSEMBLE DE TEXTES D’ITALO CALVINO, PUBLIÉS EN VERSION BILINGUE PAR LES ÉDITIONS NOUS, TRADUITS ET PRÉFACÉS PAR MARTIN RUEFF.

« Si on veut décrire un lieu, le décrire complètement, non pas comme une apparence momentanée mais comme une portion d’espace qui a une forme, un sens et un pourquoi[1], il faut représenter tout ce qui se meut dans cet espace, ce qui obéit à un mouvement ultra-rapide comme ce qui se meut avec une lenteur inexorable : tous les éléments que cet espace contient ou a contenus dans ses relations passées, présentes et futures. C’est dire que la véritable description d’un paysage doit finir par contenir l’histoire de ce paysage, de l’ensemble des faits qui ont lentement contribué à déterminer la forme avec laquelle il se présente aujourd’hui à nos yeux, l’équilibre qui se manifeste à chacun de ses moments entre les forces qui le tiennent ensemble et les forces qui tendent à le désagréger. »[2]

Cette déclaration d’Italo Calvino, en tête d’un des cinq textes en prose qui composent le recueil d’articles qu’entre 1945 et 1975, il a consacrés à sa terre natale[3], si elle témoigne bien de l’ambition et de la largeur de vue avec laquelle leur auteur entreprend de rendre compte de son sujet, n’en montre-t-elle pas aussi toute l’impossibilité ? Comment en effet rendre, avec les seules ressources d’un nombre fini de mots arrêtés à jamais sur la page, l’infinie diversité des éléments qui travaillent sans discontinuer un paysage ? Ne se place-t-on pas ici dans la position de ce fameux personnage du Chef-d’œuvre inconnu, de Balzac, que son désir effréné d’enfermer son modèle dans une forme vivante conduit à ne plus faire apparaître aux yeux de ceux qui la regardent qu’un obscur gribouillage ?