jeudi 3 avril 2025

POÉSIE. DOMINICAINS. PRÉSENCE.

 

Invité à l’occasion du Printemps des Poètes, au couvent des Dominicains de Lille, j’aurai passé cette nuit du premier avril en cellule ! Inauguré en 1957, le bâtiment qui m’accueillait, vaste, entouré d’un parc comptant parmi les plus grands espaces verts qu’offre la ville de Lille qui en la matière reste il est vrai assez pauvre, est le premier bâtiment religieux « Patrimoine du XXe siècle ». Oeuvre des architectes Pierre Pinsard et Neil Hutchinson, il associe briques, béton, avec quoi joue dans un rapport toujours vivant et nouveau, la lumière, celle du jour et des saisons, dans la fraternité toujours changeante aussi des grands arbres qui l’entourent. Et les cellules ici, avec leur plafond incurvé de briques, rouges, leurs grands murs blancs aussi de briques, peintes, sont belles. Simples et belles.

 

Pour moi qui des dominicains ne connaissait au fond que ce que m’en aura plus ou moins révélé la peinture, l’expérience de croiser ne serait-ce que quelques heures leur monde et leur chemin, aura été instructive. Me portant en pensée bien au-delà de ces représentations par exemple de Saint Dominique posant l’index sur ses lèvres pour obliger au silence, du jeu de mots sur les chiens de Dieu (Domini canis) qu’on voit par exemple exposé dans l’extraordinaire chapelle dite des espagnols dépendant de Santa Maria Novella à Florence. Je savais l’emprise que cet ordre avait exercée sur la vie religieuse et par voie de conséquence publique, principalement en Italie où je ne compte plus les lieux qu’il aura investis, les artistes qu’il aura fait travailler, comme ce Ludovico Brea que mon attachement personnel à la Ligurie m’aura fait apprécier de rencontrer une première fois à l’intérieur de l’église du gros village de Ceriana près de laquelle je vis quelques mois dans l’année puis dans ce bel ensemble de Santa Maria di Castello à Gènes dont on m’a fait découvrir il y a quelques mois les richesses cachées. Je savais bien cela. Mais qui concernait pour moi le passé. Maintenant c’est au présent que j’imagine ces hommes, cette congrégation, par qui je suis heureux d’avoir été, même un très court instant, accueilli.

 

Savonarole était dominicain. Comme aussi Giordano Bruno. Ce qui ne leur a apparemment guère porté chance. Ce qui montre que parfois la parole, portée à un trop haut degré d’exigence, n’est pas toujours sans risque. À l’intérieur du couvent de Lille, je ne risquais, quant à moi, rien, à évoquer, à l’invitation de Françoise Objois[1], mon activité poétique devant un public modeste qui rappelait à l’humilité de mise en ces jours de Carême. J’ai pu y parler, chose dont j’ai de moins en moins l’occasion, de la façon dont la poésie aura été pour moi moins un moyen d’expression que d’invention, voire de mise à distance de moi-même. Un chemin. Qui, comme pour je pense aussi les dominicains, m’a fait quitter mes habitudes sans m’amener à renoncer à rien de mon histoire. Aura été davantage une quête, qu’une conquête.  M’aura délivré de la mauvaise conscience liée à la mise en oeuvre d’une parole dans laquelle « Je » est un autre. À travers un échange en permanence ouvert avec la vie. Échange qui m’a permis de retomber dans le monde. Autrement.

 

Me revoici aujourd’hui dans mon petit jardin de ville, à deux pas de ces palmiers que j’aurai évoqués avec un brin d’ironie à travers la lecture d’un court poème disant la permanence comme la répétition en partie trompeuses des choses à travers le temps. Je reviens avec deux livres de frère Rémy, Remy Vallejo, directeur du centre culturel des dominicains de Lille, aussi historien d’art, à la culture aussi vaste que le domaine qu’il m’a fait visiter. Évoquant en conclusion de la soirée, le camp du Struthof dont j’avais fait la première étape de ma lecture, il aura su, à travers l’évocation de sa propre découverte de ce camp implanté à partir de 1942 au cœur des superbes montagnes vosgiennes, et ses références au Lenz de Büchner dont j’ai un peu parlé ici à partir du beau livre de Marie-Hélène Prouteau sur Celan, élargir encore la portée de notre rencontre. Prolonger le chemin.

 

Je ne suis plus trop sûr d’avoir un jour à redire en public ces textes qui m’ont permis d’aller ainsi à la rencontre. De prolonger d’un craquement assourdi de présence un peu de mon existence de poète dans le monde. Mais je sais qu’avec la poésie on n’en finit pas de voir. Jusqu’au cœur de l’hiver, la couleur restée fraîche des fleurs sur les tiges charbonnées. Oui, même l’hiver, je sais, tout continue.

 

Comme aujourd’hui apparemment le font toujours les dominicains.

 

Et ce besoin que nous avons jusqu’au bout de porter autre chose que des mots. Des slogans. Des idées. Mais quelque chose de vivant. À travers la parole.



[1] Dont on ne saurait non plus assez vanter l’ouverture culturelle dont elle fait preuve et l’énergie relationnelle qui l’anime.


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