De quel « horrible sans fin enfoui », le
dernier livre de Christophe Manon nous fait-il confidence ? Quel trouble,
quel profond sentiment de perte aussi, en viennent à bousculer dans certaines
de ses sections, la syntaxe, au point de transformer le poème en une sorte de
kaléidoscope où les mots, les éléments de phrases dans leur apparente
déstructuration offrent des possibilités de lecture multipliées, retrouvant
d’ailleurs par là quelque chose de l’être même de la poésie qui serait, disait
Mallarmé, de s’allumer, en nous, de feux réciproques.
Du corps nu de l’enfant, à celui rouge du lapin pendu
par-dessus la bassine, en passant par la chevelure rouge aussi de la mère
étendue sur un lit, sans compter d’autres nombreux détails que le lecteur
attentif retrouvera sans peine, on n’est ici peut-être pas si loin, d’ailleurs,
du moins de l’intérieur, de ce drame de l’absence et du désir, qu’un
Jean-Pierre Richard par exemple voyait chez ce même Mallarmé qui dans l’Après-midi
d’un Faune pouvait évoquer ce « corps que dans l’enfance Eros illumina »,
« la chair [qui] passe et s’allume en la feuillée éteinte »,
les « soirs ensanglantés » puis la foudre qui tombe.
Je sais. On a plus l’habitude de rapprocher Manon du Villon
de la Ballade des pendus et du Testament que de l’auteur du
sonnet en X. Et bien évidemment je
n’occulte pas à quel point dans ce dernier livre, Provisoires, la pensée
de la mort, les renvois à Villon, tiennent une part nécessaire,
visible écho à ce livre récemment repris au Dernier télégramme dans
lequel Manon réactive en les coulant dans son propre langage, ses propres
obsessions, les strophes tout autant poignantes que comiques de son lointain ancêtre...
Cependant, ce ne sera pas faire injure à Manon, qui fait de l’expression de son
mal-être personnel l’occasion de mieux faire ressortir le caractère tragique et
vulnérable de notre collective condition, que de voir en lui l’un des
continuateurs de la poésie fin de siècle (je parle ici du XIXème) que de le
représenter marchant sur les traces d’un Philippe Beck, d’un Denis Roche ou
d’un Jean-Marie Gleize.