dimanche 23 janvier 2022

MISOGYNIE DE LA CRITIQUE ? DÉCOUVRIR ANNE SEXTON !

Méchanceté du jugement !

 

« Avec une rage d'exhibitionniste, Anne Sexton étale son ventre (All my Pretty Ones, 1962) pour ne produire qu'une image dont James Dickey s'est gaussé. [Sa poésie ] est caractéristique de ce qui peut être produit dans la lignée de Life Studies[1] par un moindre talent : dans Live or Die, seule la vie privée de l'auteur, dans ses détails les plus antipoétiques, est en question ; chaque poème ne traite que des idées de suicide, des troubles mentaux et des traitements psychiatriques. »

 

Combien sommes-nous à avoir découvert la poésie américaine du siècle dernier à partir du livre de Serge Fauchereau, paru chez Minuit en 1968 et intitulé précisément Lecture de la poésie américaine. Pas certain toutefois que nous ayons été nombreux à tiquer en découvrant ces lignes où se révèle la grossièreté du regard d’un homme pourtant salué de son temps comme l’un des meilleurs connaisseurs de la littérature américaine qu’il enseigna quelques années à l’Université de New-York avant de devenir l’un des plus importants commissaires d’exposition d’Europe.

D’où vient en effet cette idée que « l’idée de suicide », l’obligation d’en passer par « des traitements psychiatriques » relèveraient de « détails », « antipoétiques » de surcroit ? L’exemple chez nous d’un Nerval comme d’un Antonin Artaud suffit à faire comme on dit litière de pareil préjugé. Surtout le point de vue d’une grande injustice, d’une rare agressivité totalement dénuée d’empathie[2], que n’hésite pas à développer Fauchereau, me paraît relever d’une sorte de violente misogynie que ceux qui auront envie d’y aller voir n’auront, je pense, pas grande peine à déceler à travers aussi ce qu’il écrit de la quasi contemporaine de Sexton que fut Sylvia Plath et de quelques autres femmes poètes de leur entourage.

On ne peut donc que se réjouir que les éditions des femmes donnent aujourd’hui à lire, vraiment, les principaux ouvrages d’Anne Sexton, très vite devenue une figure majeure de la poésie américaine largement reconnue dans son pays[3] mais que le milieu poétique français pourtant largement ouvert aux voix masculines issues d’outre-Atlantique, a jusqu’ici passablement ignorée.

« Écrite du point de vue d’un sujet le plus souvent ouvertement féminin, la poésie d’Anne Sexton écrit en effet Patricia Godi dans son importante préface, pousse le lecteur à s’intéresser à ce que les humains ont le plus en partage : l’expérience de la difficulté de vivre – celle qui conduisit la femme encore jeune à ses premières tentatives de suicide –, comme aussi la perte, le deuil ou la mélancolie, la pathologie. Cette œuvre vous surprend et vous éblouit également de s’inscrire, par l’écriture, dans la résistance au malheur et l’art de survivre, de célébrer les forces vives de l’être et des liens entre les êtres, tout en oscillant entre le particulier et l’universel, le personnel et le collectif, de par la dimension de critique culturelle dont elle s’avère être porteuse. »

Les extraits qu’on pourra lire ici sur notre blog, que l’on doit à cette fine et ardente traductrice qu’est Sabine Huynh, prouveront, je crois, de manière éloquente à quel point, loin de ne faire qu’étaler son ventre, Anne Sexton puise au fond de sa propre expérience de vivre, dans sa difficulté la plus intime, de quoi s’élever à une compréhension de l’être qui vraiment la déborde et loin de céder narcissiquement au besoin de faire étalage de sa vie privée l’institue en témoignage des besoins, des désirs et des manques, communs aux êtres sensibles et vulnérables que nous sommes. D’où le caractère bénéfique que présente une telle poésie. Qui affronte et répond. Non aux exigences précieuses et abstraites du style mais à celles parfois terribles et confondantes de la vie.



[1] Titre d’un ouvrage du poète Robert Lowell (1959) considéré comme l’initiateur aux USA d’un nouveau courant poétique désigné sous l’expression de « poésie confessionnelle".

[2] Patricia Godi signale dans sa préface au livre des éditions des femmes qu’Anne Sexton avait dans son portefeuille l’article réellement assassin de James Dickey quand elle mit fin à ses jours en s’asphyxiant dans sa voiture en 1974.

[3] , Prix Pulitzer en 1967

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire