mardi 4 janvier 2022

JUIN SUR AVRIL, UN TRAVAIL D’ELKE DE RIJCKE AUX ÉDITIONS LANSKINE.

Passer d’un signe de feu à un signe d’air, de l’énergie libérée et sans doute un peu folle du désir à une sorte de plus cérébrale compréhension de ce qui fait sa relation profonde à ce qui de partout la déborde ainsi pourrait, dans un premier temps peut-être, se définir le projet du dernier livre de l’artiste-poète bruxelloise Elke de Rijcke que viennent de publier les éditions LansKine.

Tournant autour des drames compliqués de la relation amoureuse, des effets aussi de l’âge sur le corps, des incessantes métamorphoses dont se pare l’existence, des pertes irréversibles encore qui la scandent, nourrie d’une attention précise incessamment renouvelée aux innombrables et mouvants objets des sens et de l’art comme de toute une littérature scientifique dont le vocabulaire d’ordinaire jugé incompatible avec celui de la poésie est en revanche assez souvent convoqué par les artistes contemporains et leurs ingénieux curateurs, le livre d’Elke de Rijcke est un livre ambitieux qui ne se propose rien de moins encore que de renouveler sa « captation du réel » dans un effort qui va de l’organique à la pensée et réciproquement, comme de la sensation à la représentation se repliant systématiquement sur elles-mêmes.

Dire que cela donne un ouvrage limpide, multipliant pour le lecteur ces jouissances singulières de lecture qu’il attend parfois un peu paresseusement d’un ouvrage de poésie, serait, on s’en doute, mensonger. Et je ne cacherai pas que quelques pages du livre – pour ne rien dire du manque de simplicité de certains éléments du dispositif - du fait des résistances à mon sens excessives qu’elles auront imposées à ma recherche de justification, m’auront quelque peu agacé. Je continue d’être en effet de ceux pour qui la mise en œuvre d’un commun puissant dans la parole ne peut être trop indiscrètement sacrifiée sur l’autel de la « génialité » artistique, de quelque forme qu’elle soit.

Heureusement des repères existent tout au long de ce livre. Repères de dates, de thèmes et de motifs si bien qu’une compréhension peu à peu se fait jour qui est plus celle d’un parcours, d’une succession entrecroisée de flux, d’intensités superposées se faisant mutuellement échos, que de la clarté d’un message à la raison ou au cœur adressé. Ce livre en fait est celui d’une existence tant intellectuelle que sensible, qui cherche à s’exprimer vitalement dans ses bonds, ses rebonds, ses traversées, en parcourant des champs de conscience – de connaissances aussi : je pense en particulier à ceux des neurosciences – qui renouvellent fortement notre perception du réel. Notamment ce réel organique, des cellules les plus superficielles de notre peau aux neurones les plus profondément enfouis de notre cerveau, où se construisent, s’architecturent nos représentations et l’ensemble des décisions plus chimiques généralement que logiques qui en découlent.

Créer ce qu’Elke de Rijcke ici appelle « une chronotopologie imaginaire » de sa vie, « un paysage synaptique », aux multiples ramifications, s’efforcer ainsi de rendre compte presque au jour le jour et dans toute l’intimité – élargie jusqu’au cosmique - d’une expérience qui n’hésite pas à s’exposer, de ces invisibles circuits que nous pensons et voulons piloter sans bien toujours comprendre que c’est eux dans une large mesure qui pilotent[1], a quelque chose de vertigineux. Non toutefois l’idée que l’œuvre en profondeur nous travaille. Et nous décomposant nous recompose. Ainsi l’auteur en arrive in fine à se demander si la distance entre ses émotions, ses choix, ses actes et l’architecture de son cerveau n’a pas fini à travers elle par se réduire[2]. Si son être n’en ressort pas fortifié. L’air repassé dans le feu redonnant accès malgré l’âge aux noces réactivées du désir. Les questions restent posées. L’essentiel semblant être quand même pour l’auteur de se sentir prise dans ce mouvement, cette nage[3], qui désormais la réconcilie. « juin écumant sur avril – avril adouci par juin »[4].

 

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[1] Voir page 162 

[2] Voir page 163

[3] Voir page 148-149

[4] Page 162

 

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