C’est une bien bonne idée, que viennent d’avoir les éditions de la Table ronde : reprendre 4 des principaux titres de Valérie Rouzeau pour les proposer, sous de sympathiques couvertures réalisées par Jochem Bergen, dans leur collection de poche, la Petite vermillon.
De Pas revoir (1999) à Quand je me deux (2009) en passant par Neige rien (2000) et Va où (2002), cette publication en 3 volumes redonne ainsi à lire le meilleur des dix premières années de « la carrière » poétique de Valérie Rouzeau, celles qui l’auront je crois établie comme l’une des figures marquantes, les mieux reconnues et les plus attachantes de notre paysage poétique actuel.
Je ne reviendrai pas sur ces divers ouvrages que beaucoup ont déjà et souvent très bien présentés. Je profiterai simplement de cette sortie pour proposer tout particulièrement à celles et ceux qui voudraient partir à la rencontre de la poésie de Valérie, un petit choix de textes tirés de Quand je me deux, ouvrage que j’ai bien envie de proposer dans la future sélection du Prix des Découvreurs. Tant ce texte, il me semble, peut se prêter, en classe, à toutes sortes d’entrées libératrices et passionnantes, dans ce monde réputé austère et toujours trop intimidant qu’est demeuré, chez nous, la poésie.
« C’est toto biographique l’âne dans essentiellement/ Ça dit je parce que c’est ainsi lorsque tu parles » écrit plaisamment Valérie Rouzeau dans son poème 41 intitulé justement CAROTTE, où la carotte qui - là-dedans (l’âne dans) - fait avancer sont comme elle dit, les vers, ceux qu’on se tire du nez par le travail d’écrire. Fondamentalement lyrique, la poésie de V. Rouzeau est effectivement une poésie du « je » qui la montre, raconte, mais surtout la réinvente, un peu à la manière d’un Chagall où les misères, parfois, souvent, que fait la vie, n’empêchent pas le cœur qui se douloit de se conter merveilles. Merveilles le plus souvent héritées d’enfance comme le montrera ce magnifique poème intitulé Trr qui ouvre notre sélection et offre un premier portrait de Valérie en petite trafiquante des choses puis des mots, occupation dont elle accompagne toujours l’aventureux et émouvant voyage qui est le sien sur la terre.
Sur ce coin de comptoir où elle tient table de ses poèmes, Valérie Rouzeau, joue sur les chiffres autant presque que sur les lettres. Et c’est vrai que son art est joueur. Qu’il s’ingénie à placer, déplacer les choses et les mots, les lettres et les sens, comme dans ce début de poème où elle écrit « Voici d’iliade longtemps j’étais petite enfant » où iliade n’est pas une coquille mais la contraction plaisante et signifiante d’il y a. Comme de telles trouvailles se rencontrent presqu’à chaque détour de vers, on mesure le caractère jubilatoire d’une telle lecture, en constatant aussi au passage qu’il y faut quand même un lecteur attentif et pas trop limité. En effet si la poésie de Valérie Rouzeau passe aux yeux de certains pour populaire, c’est qu’on se laisse tromper par ses thèmes, l’esprit un peu Gavroche, un peu Mimi Pinson également, qui l’anime. Elle est en fait passablement savante, retorse, comme on dirait non d’une personne mais d’un fil, malicieusement tordu. Pour étrangler l’éloquence sans doute. Celle je crois de sa vulnérabilité, face à toutes sortes de pertes. Aux solitudes impossibles à combler toujours qui en résultent. D’où ce besoin chez elle endurci de présences, de se sentir malgré tout relié, qu’on sent à travers les nombreuses dédicaces, la longue suite de remerciements, les multiples références à des auteurs chers, la façon unique aussi qu’elle a de sans cesse animer autour d’elle l’univers qu’elle traverse par d’inventives et parfois burlesques métaphores. De se projeter aussi, parmi les figures aimées, le père, la mère, (pApache, ma Manche) les frères, les sœurs, les amoureux, les amis, les copains et l’ensemble des choses qui participent ou ont participé des petits bonheurs de sa vie, ô l’estafette etc., de se projeter soi-même en personnage, à l’instar de ce qu’aura pu faire le Laforgue des Complaintes, dont je la trouve particulièrement proche, se fictionnant en Petit Hypertrophique, Ange incurable ou Lord Pierrot [1]. Ce qui fait qu’au fond elle se retrouve toujours deux. Comme le dit finalement le titre[2].
Reste que Seule, entre tirets, est le dernier mot de ce livre, mot qu’elle traduit avec tout le poème qui l’accompagne de la grande Emily Dickinson. Voilà qui in fine dit tout. Mais doit vous engager, lecteur, à rouvrir avec nous, une nième fois le livre, pour lui faire aussi compagnie.
[2] Ce titre dit effectivement beaucoup, rappelant que la poésie de V. Rouzeau ne s’inscrit pas dans le monde des idées et de la métaphysique mais bien dans celui des circonstances. Circonstances par rapport auxquelles elle s’inscrit en réaction. Réaction au moins double puisque si douleur il y a ( « deux » est ici la forme contractée, nécessaire au jeu de mots, de « deulx », du latin « dolere » qui aura donné en ancien français « douloir », forme tombée depuis longtemps en désuétude mais que le poète Mathurin Régnier aura encore utilisé au début du XVIIème dans ses Satires, si douleur il y a donc, il y a tout autant jeu, énergie, qui la déporte en poème, en invention créatrice par quoi l’être profond, le moi, se recompose et ne serait-ce que momentanément retrouve en quelque sorte la maîtrise des choses.
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