samedi 25 février 2023

C’EST LE PARI TOUJOURS DE NOTRE POÉSIE. SUR ÉTÉ GLACÉ DE SYLVIE DURBEC AUX ÉDITIONS LIEUX-DITS.

Été 2021 : une femme, poète, plasticienne, traductrice et un peu couturière, quitte sa maison pour s’installer à une petite centaine de kilomètres plus au nord de l’autre côté du Gard. Elle prépare ses cartons. Plus particulièrement ses cartons de livres parlant aux auteurs qu’elle aime comme à de vieux amis. Déménager est toujours une épreuve, un arrachement, ravivant une somme de souvenirs que l’âge rend plus incisifs voire plus bouleversants encore. Sylvie Durbec affronte cette réalité en reprenant à son compte les mots de Marina Tvetaïeva s’adressant comme elle le dit à ceux qui sont encore vivants : « Écrivez davantage ! Fixez chaque instant, chaque geste, chaque soupir. Pas seulement le geste, mais aussi la forme de la main qui l'a fait ; pas seulement le soupir, mais le dessin des lèvres dont il s'est envolé. Ne méprisez pas l'extérieur. Notez les choses avec plus de précisions. Il n'y a rien qui soit sans importance. La couleur de vos yeux et de votre abat-jour, le coupe-papier et les motifs de vos papiers peints, la pierre précieuse de votre bague préférée, tout cela formera le corps de votre âme, de votre pauvre âme, abandonnée dans le monde immense."

Les carnets donc sur lesquels Sylvie Durbec entreprend de rendre compte de cet été qu’elle traverse autant qu’elle se trouve par lui traversée, multiplient les notations qui lui viennent autant du corps et de l’âme éprouvés, que des choses du monde qui apparaissent, phénomènes, sous ses yeux. Seulement à la manière singulière et quand même savante qui est la sienne, l’écriture de Sylvie Durbec noue l’ensemble de ses éléments auxquels s’ajoute l’évocation d’une poignée de poètes aimés d’Ossip Mandelstam en particulier au regretté Antoine Emaz en passant par Robert Walser et Gustave Roud, sans s’obliger à aucune forme apparente d’organisation rationnelle. Le poème avance sur la page, comme page après page, dans une sorte de liberté animale, sauvage, associant les temps, les lieux, les images, les états, les élans, les formes aussi, pour exprimer à sa façon la tension d’une existence perçue tant à travers la richesse des liens qu’elle entretient avec le monde qu’à travers le sentiment ici renforcé de son intime vulnérabilité. Écriture empathique mais toujours sans pathos, l’écriture de Sylvie Durbec est de celles qui cherchent à plonger dans le ressenti des choses, leur familière [1],  poignante et toujours plus éparse vitalité, pour en raccommoder comme elle dit jour après jour les pièces et leur redonner sens.

Certes le sens dont il s’agit, de par la méthode même qui le fait naître et qu’elle explique d’ailleurs rapidement page 36 de son ouvrage [2], intéresse d’abord la propre subjectivité de son auteur, seule ici à pouvoir éprouver avec précision l’ensemble des connotations dont chacune de ses phrases est porteuse. Mais c’est le pari toujours de notre poésie que de jouer de ces lacunes, de l’amicale reconnaissance de nos irréductibles étrangetés pour susciter chez le lecteur ce double mouvement d’approche à la fois de l’autre et de soi-même. Que seule peut susciter la parole. Quand elle apparaît vraie.  

LIRE QUELQUES POÈMES EXTRAITS DU LIVRE AVEC LE RÉCIT DE LA MORT DE MANDELSTAM PAR RALPH DUTLI.



[1] Oui car les choses dont nous parle S. D. sont le plus souvent les choses banales de la vie. De la vie de village en particulier. 

[2] mettre bout à bout ce qui/ pourrait aller ensemble sans chercher/ mais en sachant que le lien existe/ entre cerf qui brame et peintre/ gémissant entre le nuage rose et le foie/ éclaté du lapin sur les terres cuites/ une méthode sauvage pour mettre un peu/ d'ordre dans les souvenirs et le présent/ méthode warburg/ et le poète tué par une rose et le museau /d'un chien sa langue sur la plaie la Suisse/ et les épines


 

1 commentaire:

  1. Magnifique lecture ! Heureux d'avoir été le messager vers le Loup bleu. signé Arnoldo Feuer

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