mardi 9 novembre 2021

JARDINS MERVEILLEUX. LE JARDIN DE LIVIE À ROME.

Les images ne manquent pas sur le net des fameuses peintures de la villa de Livie, dite ad gallinas albas[1], qu’on peut aujourd’hui admirer, comme je l’ai fait, au Museo Nazionale Palazzo Massimo Alle Terme de Rome.  Plus ancien exemple, à notre connaissance, d’une peinture de jardin continue, ces peintures couvrent la totalité des murs aveugles d’une pièce à l’origine souterraine, de quelques six mètres sur douze où la troisième épouse d’Auguste et mère de l'empereur Tibère, projetait vraisemblablement de transporter ses invités dans le monde enchanté d’une grotte sacrée parlant à l’imagination de toute la puissance des formes idéalisées de la belle nature.

Il y a quelque chose toujours aujourd’hui de profond et de puissamment poétique – pour reprendre cet adjectif qui ne veut plus rien dire mais fait toujours signe d’élévation – à se retrouver quasiment seul et comme immergé dans cette composition à la fois très construite et vivante, où le réalisme et la variété du détail font corps avec l’élémentaire fantaisie qui nous pousse à toujours désirer un monde plus parfait, moins incomplet que celui qui nous est donné. Quelque soit la puissance ou le pouvoir dont on peut disposer. Ainsi printemps, été, automne conjuguent-ils ici leurs fleurs et leurs fruits tandis que mille et une espèces différentes d’oiseaux transforment l’ensemble en volière[2]. À l’évidence on se trouve ici installé au cœur d’un de ces locus amoenus auxquels la littérature occidentale depuis Homère[3] nous aura habitués. Mais le charme ici sûrement pour nous vient d’autre chose : de cet espace qu’aura traversé le travail des artistes pour nous parvenir dans une fraîcheur qui n’aura pas passé mais se trouve au contraire comme avivée par l’estompage des formes, des couleurs, les manques qu’on ne voit plus ici simplement comme une perte mais une délicieuse façon de redonner au monde, au moment que nous traversons, toute son épaisseur recueillie de temps.

On quitte bien entendu toujours à regret ce jardin pour se replonger dans la vocifération du présent. Avec un dernier regard pour les fruits du grenadier qu’on reverra un peu plus tard, en vrai, dans cet autre beau jardin des morts qu’est le cimetière jouxtant la pyramide de Caius Cesius, où reposent, du moins faisons-nous semblant de le croire, les ombres de Keats, Shelley et de Gregory Corso. On sait qu’il ne servirait à rien de détacher ici la moindre branche de laurier[4].

VOIR LES IMAGES.



[1] Ce nom vient de La Villa de Livie à Prima Porta qui s’élève sur un terrain élevé en tuf, dominant le plan du Tibre au carrefour entre l’ancienne via Flaminia et la via Tiberina. Grâce aux sources historiques, l’emplacement topographique exact de la Villa Caesarum est connu : au neuvième mile de la via Flaminia (iuxta nonum lapidem Flaminiae viae écrit Pline), et son nom « ad gallinas albas » est dérivé du prodige bien connu qui s’est manifesté à Livia Drusilla, alors qu’elle visitait sa propriété à Véies entre 39 av. J.C., l’année de ses fiançailles avec le jeune Octave et le début de l’année 38 av. J.C.   Immédiatement après son mariage Pline raconte comment Livia « étant assise, reçut sur ses genoux une poule d’une blancheur notable qu’un aigle avait laissée tomber du ciel, indemne, et qui tenait dans son bec une branche de laurier chargée de baies », et Cassius Dio ajoute que « comme Livie considérait cela comme un présage important, elle éleva la poule et planta le rameau d’olivier. Il a pris racine et a grandi si vigoureusement qu’il a orné les triomphes des généraux ultérieurs avec ses branches pendant une longue période ». (Source : Palazzo Massimo).

[2] 23 espèces végétales sont ici répertoriés, bien sûr par les spécialistes, ainsi que 69 espèces d’oiseaux.

[3] Voir par exemple le jardin merveilleux du roi Alkinoos dans l’Odyssée : Aux côtés de la cour, on voit un grand jardin, avec ses quatre arpents enclos dans une enceinte. C’est d’abord un verger dont les hautes ramures, poiriers et grenadiers et pommiers aux fruits d’or et puissants oliviers et figuiers domestiques, portent, sans se lasser ni s’arrêter, leurs fruits ; l’hiver comme l’été, toute l’année, ils donnent.

[4] Du fait de son feuillage persistant le laurier dont la feuille reste verte en hiver est symbole d’immortalité. Une feuille de laurier desséchée, à l’inverse, peut avoir valeur de mauvais présage. Avoir fait représenter tout autour d’elle à l’arrière plan de son jardin que rien ne vient menacer une succession de lauriers a bien entendu pour Livie, son époux et leur descendance, une signification évidente.

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