« Ému à en pleurer. » Je lis dans le
Huffpost de ce jeudi 11 novembre qu’au cours de la cérémonie organisée par lui
au Mont Valérien, pour honorer la mémoire du dernier compagnon de la
libération, Hubert Germain, le Président Macron, n’aurait, en effet, pas caché
ses larmes. « Une séquence rare,
commente le site d’information, pour un président de la République, rompu
aux cérémonies parfois graves et solennelles. » Ces larmes m’en
rappellent d’autres. Qu’analyse l’historienne de l’Antiquité, Sarah Rey dans un
ouvrage intitulé, Les Larmes de Rome.
« Au début des années 60 avant J.C., écrit-elle, Jules
César a pleuré au pied d’une statue d’Alexandre le Grand. Le futur dictateur
commence alors sa carrière politique, il n’est encore que questeur en Espagne.
Ses tournées d’inspection le conduisent jusqu’à Gadès (Cadix), au bord de
l’Océan, ce bout du monde. D’ordinaire désinvolte, le jeune homme retrouve son
sérieux devant l’effigie du conquérant et fait montre d’une tristesse qui en
dit long : « Comme écœuré de son inaction, en pensant qu’il n’avait encore
rien fait de mémorable à l’âge où Alexandre avait déjà soumis toute la terre,
il demanda tout de suite un congé pour saisir le plus tôt possible, à Rome, les
occasions de se signaler.
» Ses larmes sont chargées de sens, elles relèvent de l’aemulatio Alexandri,
d’une comparaison avec le roi de Macédoine, qui ennoblit son élève en
politique. Dans cet épisode espagnol comme dans d’autres récits, il apparaît
que les Romains aiment pleurer « à la grecque » : ils sanglotent à
l’évocation d’anciennes gloires helléniques, tel Alexandre, ou reproduisent les
lamentations des héros homériques. Ils cherchent ainsi à s’inscrire dans un
mouvement historique dont ils sortent vainqueurs : ils succèdent valeureusement
aux Grecs, ils imitent leurs épanchements mêmes et vont plus loin qu’eux dans
la solidité de leurs conquêtes autant que dans l’expression de leurs
sentiments. Mais les soupirs que pousse César à Gadès sont bien vite chassés.
Son ambition l’appelle à Rome. Des pleurs au rebond politique, il n’y a qu’un
pas. Cette anecdote prouve que les émotions ont toute leur place dans l’espace
public romain. Pour un homme en vue, comme César prétend le devenir, l’insensibilité
constitue l’un des pires défauts qui soit. Lorsque Ptolémée XIII lui livre la
tête coupée de Pompée, il ne se réjouit pas de ce cadeau sanglant,
contrairement aux plans du jeune roi d’Égypte. Il se montre au contraire
profondément ému par l’infortune de son ancien rival, il gémit sur le grand
homme dont la course fut arrêtée sur une plage d’Alexandrie.
Feintes ou sincères, les larmes de César annoncent la suite : les jours de
Ptolémée sont comptés, le conquérant installe bientôt Cléopâtre sur son trône. […]
Propédeutiques à l’action, les larmes […] honorent le dirigeant qui les verse. ».
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