mercredi 6 janvier 2021

ET PUIS PRENDRE L’AIR. AVEC LES PROSES PÉNÉTRANTES DU POÈTE ETIENNE FAURE.

Je ne le cache pas. Je ne suis pas de ceux qui placent au-dessus de tout l’audace, l’expérimentation, la recherche. Loin d’être un sectateur en art de la tabula rasa, j’apprécie les œuvres filiales qui savent ce qu’elles doivent à leurs aînées et les honorent[i]. Tout en sachant bien sûr faire entendre leurs dissonances. Manifester leur propre singularité.

Ne comptez donc pas sur moi pour écarter un livre de poèmes au prétexte qu’il est sorti chez Gallimard dont trop d’esprits jaloux affectent de dédaigner la production qu’ils jugent un peu rapidement académique, surannée, poussive.

 

Passer ainsi à côté du dernier livre d’Étienne Faure qui après un beau parcours, chez Champ Vallon vient de publier son second volume dans la célèbre collection blanche, serait une grave erreur. Une bêtise même. Tant ce livre a de quoi réjouir aussi bien ceux qui entendent que la poésie nous montre l’infinie diversité du monde que ceux qui attendent plutôt d’y trouver l’expression d’une personnalité singulière sans oublier bien sûr ceux pour qui la poésie, avant toute chose est affaire de formes et d’évènements bien sentis dans la langue.

 

lundi 14 décembre 2020

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. LES YEUX DE REMBRANDT DE SIMON SCHAMA.

Johannes Lingelbach, Le Dam avec son nouvel hôtel de ville en construction, 1656

Oui le livre est ancien mais en cette période de confinement qui rétrécit si fortement physiquement, socialement, humainement, notre univers, se replonger dans cette somme qui, pour éclairer en profondeur l'oeuvre de Rembrandt, nous restitue largement le monde dans lequel il aura vécu, celui des grands ports du Nord, des Flandres catholiques aux Provinces Unies calvinistes, a quelque chose de tellement vivifiant, stimulant, si fortement évocateur qu'on en oublierait presque que les évocations, les tableaux que multiplie Simon Schama dans ce chef d'œuvre, n'ont de consistance que dans notre imagination. Ce que rappelle quand même par exemple ces moments où, déambulant avec lui dans les rues d'Amsterdam, on finit, alerté par l'odeur, par suivre avec plaisir les lourds bateaux de nuit collectant d'une écluse à l'autre du Amstel ces provisions d'excréments qu'ils livreront avec profit le matin aux producteurs de fraises et de carottes de Bewerijk ou de Hoorn…

vendredi 11 décembre 2020

SOUVENIR. SOUVENIR. SE COLTINER. LA PEINTURE AU SECOURS DU VOCABULAIRE.

LOUIS CARRIER BELLEUSE, 1888, PETIT PALAIS

 

 Il n’obtint à ma connaissance que des médailles de troisième classe mais demeure connu pour avoir édifié au Costa Rica l’un des monuments apparemment les plus célèbres de cette jeune nation. J’ai pensé à son tableau quand je me suis vu dans la nécessité d’expliquer l’expression « se coltiner » à quelque jeune esprit plus versé dans l’abondant franglais qui nous submerge que dans la mémoire des tournures anciennes.

Le coltin est précisément ce large chapeau des portefaix des Halles qu’on voit sur la tête ou à la main de ces hommes en train de livrer de gros sacs de farine à la boulangerie dont le nom apparaît au-dessus de la charrette arrêtée à sa porte. Le fameux coltin qui reprend le nom de la pièce d’armure qui autrefois protégeait l’épaule et le cou des gens de guerre continue ici à remplir cette fonction.

On voit que se coltiner implique toujours quelque fardeau. Et nécessite outre un certain courage d’être un peu protégé.

Personnellement j’aime assez ces images anciennes qui témoignent de façon précise de la vie des hommes d’avant le télétravail et les vacances au ski.

Et puis m’amuse un peu de savoir au spectacle d'un tel tableau que celui qui le peignit, entré dès l’âge de 13 ans dans l’atelier d’un bronzier suivit, à l’École des beaux-arts de Paris, les cours d’un certain Gustave Boulanger !

 

POÉSIE/PARTAGES N° 2. SE COLTINER GRANDIR DE MILÈNE TOURNIER.

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J’ai rencontré la poésie de Milène Tournier il y a quelques mois suite à la parution de son premier vrai livre aux éditions lurlure[1]. L’intérêt de son écriture et sa capacité de résonance m’ont très vite semblé faire évidence. C’est la raison pour laquelle je lui ai demandé de m’adresser quelques textes pour ces Cahiers Numériques de Poésie en Partages que nous avons inaugurés avec Stéphane Bouquet. L’idée de faire alterner ainsi des poètes largement reconnus et des voix nouvelles de qualité me paraît une idée séduisante comme le fait aussi de pouvoir, grâce aux vertus du numérique, mettre de la façon la plus soignée et la plus stimulante possible, un aperçu du travail de tous ces auteurs, à la disposition des esprits curieux amateurs de belles découvertes.


Les textes que nous a donnés Milène Tournier sont des textes encore inédits qu’elle a rassemblés sous le titre évocateur de se coltiner grandir. Il s’agit d’une succession de textes courts qui tournent effectivement autour de cette expérience particulière de vivre qu’est celle de quiconque reste profondément attaché à l’esprit d’enfance, à la dimension protectrice et chaleureuse d’une famille attentive, tout en cultivant son inquiétude profonde du monde où il lui faut trouver solitairement sa place. Les mots du quotidien sont là comme ceux de la sensibilité ouverte et vulnérable. Et la phrase toujours très simple touche le plus souvent juste. Ce qui pour moi veut dire : rejoint presque constamment l’émotion.

Cette émotion on la retrouve je crois dans les photos que Milène Tournier m’a communiquées pour non pas illustrer ce Cahier mais en accompagner sous une forme autre sa projection vers le monde. Ces photos on ne s’étonnera pas trop finalement qu’elles soient celles de son propre père, Rémi Tournier que nous sommes heureux donc d’accueillir avec elle dans ce modeste travail d’édition qui n’a pas d’autre but que de contribuer, à travers les possibilités très larges mais souvent si mal employées de l’époque, à répondre au besoin d’art et de parole de notre temps. 

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[1] Poèmes d’époque, publié en 2019 dans la collection Polder liée à la revue Décharge à qui revient le mérite d’avoir la première signalé l’intérêt de cette jeune auteure, est plutôt ce qu’il est convenu d’appeler un livret.

 

mardi 8 décembre 2020

PLAISIR DE REGARDER. SUR UNE SCÈNE DE BATAILLE DE VAN DE VELDE LE JEUNE. 1666.


Les scènes de batailles navales sont un genre particulier de la peinture de marines. Un genre que la plupart de ceux qui fréquentent occasionnellement les musées ont l’habitude de dédaigner. Il offre toutefois au peintre l’occasion de multiplier les effets, mettant en évidence l’excellence de son talent. Il offre aussi à l’amateur l’occasion d’une plongée dans l’histoire. De s’interroger aussi, comme toujours, sur ce qui se voit omettre dans toute représentation.

 S’il est de grandes compositions comme celles réalisées pour le Palais des Doges par Tintoret et Véronèse[i] qui accablent un peu le regard par la somme des scènes et des évènements de peinture qu’elles donnent à admirer, on trouve facilement des œuvres plus modestes procurant au regard comme à l’esprit qui le sous-tend, matière à, sinon s’émerveiller, du moins s’activer et ressentir aussi ce plaisir de plus en plus rare aujourd’hui d’échapper aux emballements convenus.

vendredi 4 décembre 2020

POÉSIE/ HACKING. SUR UN OUVRAGE DE PERRIN LANGDA PARU À LA BOUCHERIE LITTÉRAIRE.

"Quel que soit le code hacké, quelle que soit sa forme, langage programmatique ou poétique, mathématique ou musical, nous sommes des abstracteurs de nouveaux mondes : nous créons la possibilité de mettre au monde des formes nouvelles. Pas toujours de grandes choses, pas même de bonnes choses, mais de nouvelles choses. Arts, sciences, philosophie, culture : dans toute production de savoir dans laquelle des données peuvent être accumulées, d'où l'information peut être extraite, dans laquelle cette information produit de nouvelles possibilités pour le monde, il y a des hackers qui libèrent les formes émergentes des formes classiques. »

 

Lisant l’ouvrage de Perrin Langda que vient de m’adresser la Boucherie littéraire, je songe à ces propos que mentionne Yves Citton dans un ces livres qui éclairent de leurs analyses lumineuses autant que précises les opaques réalités auxquelles nous nous sentons de plus en plus confrontés[i]. Et si effectivement la poésie n’était qu’une forme comme une autre de « hacking » par laquelle l’homme se redonnait un certain contrôle, un semblant au moins de pouvoir, sur l’ensemble des habitudes, des codes, des grammaires de tous ordres, qui s’appliquent à le chosifier.

 

mardi 1 décembre 2020

POÉSIE DE CIRCONSTANCES. LE POÈME ATTESTATION DE FABIEN DROUET À LA BOUCHERIE LITTÉRAIRE.

Caractéristique des temps : la poésie n’en finit plus de s’inventer des formes. Sous la pression des circonstances que l’on sait un certain Fabien Drouet, poète à ses heures artiste aussi des rues, vient d’imaginer le poème attestation dont le non moins créatif petit Carné poétique conçu par l’éditeur Antoine Gallardo, nous livre divers échantillons sous le titre Je soussigné. La formule en est simple qui consiste à tourner en ridicule l’obligation au bon peuple faite de produire par écrit une raison pour justifier auprès des autorités de surveillance sa présence au sein de l’espace public. C’est drôle. C’est incisif. Et témoigne d’une des vertus essentielles de la parole qui est pour moi de répondre, c’est-à-dire de nous redonner subjectivement quelque chose du pouvoir qui nous est dénié, de nous redonner un peu de cet air dont quelles que soient les causes, nous nous sentons privés.

Extraits à titre d’illustration :

dimanche 29 novembre 2020

IMPRESSIONS DE LECTURE. CE QUI TOUJOURS NOUS MANQUERA DE L’ENFANCE. SUR UN RECUEIL DE JACQUES MORIN.


OTTO DIX Jeune ouvrier

Père. Le roman du que vient de m’adresser Jacques Morin relève de cette écriture de l’intime pour laquelle la poésie semble avant tout être faîte. Le vers d’ailleurs y prend très vite la succession de la prose pour évoquer ce qui me paraît être quelque chose de la tristesse profonde, comme orpheline, d’une existence qui se tourne pour commencer vers le souvenir des relations, toutes faîtes d’étrangeté, de distance et pour finir inconsistantes, que son auteur aura entretenu avec son propre père, avant d’avouer dans la dernière partie du livre mais dans toute la gêne d’une sensibilité retenue et pudique à l’excès, n’osant se dire qu’à travers le papier et la solitude de l’acte d’écrire, l’attachement compliqué que ce même auteur éprouve pour la compagne de ses jours.

Profondément marqué, en outre, par le sentiment de son vieillissement et les sombres perspectives qui accompagnent l’entrée dans le grand âge, Jacques Morin livre avec ce recueil une sorte, comme il l’écrit, de « célébration de l’ultime », une poésie qui se voulant lucide quant à ce que lui réservent ces jours pour lui implacables qui s’étrécissent, a quelque chose d’un peu glaçant, de déprimant, où se ressent sans doute le manque initial d’un partage plus généreux, plus intrépide, débonnaire peut-être, avec celui qui aurait dû lui laisser un peu plus d’amour et de confiance en héritage. Tant les impressions imprimées en nous par nos jeunes années affectent tout ce qu’ensuite nous nous efforçons même autrement de vivre.

jeudi 26 novembre 2020

EN NOS PROPRES POREUSES ET OSCILLANTES VÉRITÉS. SUR LE BUVEUR DU CARRACHE.


Il aurait pu n’être que l’une de ces multiples figures peuplant la scène agitée d’un immense tableau de Veronese. Ou d’un grand maître flamand. Que l’œil n’aurait finalement repéré qu’au cours d’un patient travelling. Ici Le Buveur du Carrache se voit occuper tout l’espace de la toile et l’on aurait tort de penser que par ce simple zoom le peintre n’ait juste fait qu’isoler un détail ou comme l’ont affirmé certains de ses contemporains et bien des commentateurs à leur suite qu’il ne s’agirait là que d’un caprice d’artiste, fait pour se dégourdir les doigts, une leçon, un exercice d’atelier à destination des blancs-becs, des béjaunes qui touts frais arrivés de leur campagne d’Émilie, de Romagne, s’imaginaient déjà artistes consommés.

En fait, pas plus que Voltaire avec ses Contes dont il parlait comme de « couillonnades », Annibale Carraci ne pouvait évoquer les œuvres de ses débuts comme le Mangeur de fèves ou la Grande boucherie, autrement que de façon apparemment dédaigneuse, le genre consistant à mettre en scène de façon réaliste « la vie basse », étant encore à son époque, en Italie du moins, à inventer. À reconnaître et à théoriser.

JACQUES DARRAS : ODE AU CHAMPAGNE !

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 En attendant des nouvelles de la publication du dernier essai de Jacques Darras sur la littérature picarde, paru aux éditions de la Librairie du Labyrinthe, les Découvreurs vous proposent de vous régaler de son Ode au Champagne évoquée dans Homo Bulla ? le précédent de nos billets de blog.