vendredi 4 décembre 2020

POÉSIE/ HACKING. SUR UN OUVRAGE DE PERRIN LANGDA PARU À LA BOUCHERIE LITTÉRAIRE.

"Quel que soit le code hacké, quelle que soit sa forme, langage programmatique ou poétique, mathématique ou musical, nous sommes des abstracteurs de nouveaux mondes : nous créons la possibilité de mettre au monde des formes nouvelles. Pas toujours de grandes choses, pas même de bonnes choses, mais de nouvelles choses. Arts, sciences, philosophie, culture : dans toute production de savoir dans laquelle des données peuvent être accumulées, d'où l'information peut être extraite, dans laquelle cette information produit de nouvelles possibilités pour le monde, il y a des hackers qui libèrent les formes émergentes des formes classiques. »

 

Lisant l’ouvrage de Perrin Langda que vient de m’adresser la Boucherie littéraire, je songe à ces propos que mentionne Yves Citton dans un ces livres qui éclairent de leurs analyses lumineuses autant que précises les opaques réalités auxquelles nous nous sentons de plus en plus confrontés[i]. Et si effectivement la poésie n’était qu’une forme comme une autre de « hacking » par laquelle l’homme se redonnait un certain contrôle, un semblant au moins de pouvoir, sur l’ensemble des habitudes, des codes, des grammaires de tous ordres, qui s’appliquent à le chosifier.

 

De fait, faisant entrer dans le répertoire poétique, la langue et l’univers singuliers du net et de ses principales machines à troubler, comme dirait Baudelaire, jusqu’au cerveau du solitaire le plus fort, les poèmes de Perrin Langda, « hackent » à leur manière les formes nouvelles imposées par l’extension des réalités virtuelles et la fascination qu’elles exercent, pour mieux mettre en évidence et finalement dénoncer, la manière dont nous acceptons de les voir envahir la quasi-totalité de nos champs d’existence. Entraînés par le vicieux manège, par exemple, des like et l’illusion de pouvoir et de reconnaissance qu’il procure aux têtes molles que nous sommes. À ce titre, poésie assistance 24h/24 relève ouvertement de cette poésie satirique qui laisse assez peu de chef-d’œuvre mais n’en possède pas moins sa nécessité.

 

Certes, le lecteur ô combien éprouvé que je suis ne peut s’empêcher de remarquer que quelle que soit la pertinence, et aussi la drôlerie, de ces textes, leur caractère poétique reste dans l’ensemble assez problématique. C’est d’ailleurs la question même que soulève l’esprit de satire qui se trouve plus à l’aise souvent dans le roman, la comédie, l’essai, la chronique humoristique et d’autres genres non littéraires, comme le cinéma, la série… Avant même Boileau, le poète Vauquelin, dont le nom bien sûr risque de ne plus parler aujourd’hui à personne, ne remarquait-il pas déjà que « la satyre doit estre d'un style simple[…], entre celuy du tragic et du comic, […] avec des vers si naïfs et si bas, que bien souvent il n'y a point d'autre difference entre eux et la prose que la mesure et la quantité, de sorte qu'à grand'peine ils semblent meriter le nom de poësie »[ii]. Formant un genre qui ne sera jamais codifié qu’a minima, la poésie satirique n’est finalement que de la prose à quoi s’applique une certaine prosodie. Si bien que dans le cas de nombre de nos poètes d’aujourd’hui que les questions de métrique semblent ne plus intéresser, on est en droit de se demander si le terme de poésie est toujours bien adapté. Surtout si l’on entend par là la mise en forme singulière d’une parole que l’importance des résonances et du retentissement qu’elle provoque, PAR LE SENS ET PAR LE SON, rend potentiellement vibrante et transmissible, par delà les époques et les générations.

 

Mais qu’importe après tout la théorie. Que les poèmes de Perrin Langda soient ou non de la poésie qui cela intéresse-t-il vraiment si, finalement, ils attisent, libèrent, par l’humour inventif qui les meut et la capacité d’autodérision qui les soutient, le désir de se dégager de cette servitude volontaire qui comme par exemple l’ont montré les ouvrages de Shoshana Zuboff ou d’Yves Citton nous enchaîne au « capitalisme de surveillance » et aux impératifs le plus souvent cachés de notre « médiarchie ». « Hacker », le poète qui pirate les formes et les discours du quotidien comme ceux qui lui viennent tant bien que mal du passé, joue de cette façon son rôle qui est de nous entraîner par l’exemple à réarchitecturer autrement notre sensibilité.  

 

 

Certes, il serait bien naïf de penser que les poèmes de Perrin Langda comme ceux de certains jeunes poètes actuels opérant dans des veines convergentes, soient d’une réelle efficacité pour transformer en profondeur la société. Ne fixons cependant pas à la littérature des objectifs hors de sa portée. Contentons-nous d’accueillir les textes du jeune et apparemment sympathique auteur de poésie assistance 24h/24, comme autant d’expressions originales et décapantes, d’une rébellion justifiée de conscience qu’il est bon, salubre même, de partager.



[i] C’est dans l’ouvrage d’Yves Citton intitulé Médiarchie, paru au Seuil en 2017 que j’ai pris connaissance du texte du célèbre hacker McKenzie Wark dont on peut lire en ligne le Manifeste. Voir : https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/2571 .

[ii] Voir : Jean Vauquelin de La Fresnaye, Discours pour servir de Préface sur le Sujet de la Satyre, 1604

 

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