Dans ma peau, un livre de Guillaume de Fonclare
qu’une amie m’a très récemment donné à lire, connaissant mon intérêt pour ce
qui a trait aux paysages de la Grande Guerre, est un livre que je qualifierais
volontiers de touchant si je pouvais
débarrasser le mot de cette nuance de niaise et visqueuse sensiblerie qu’il prend
aujourd’hui de plus en plus à la une des media populaires. L’auteur, alors
directeur de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne, y raconte son combat
quotidien contre une maladie dégénérative qui le rend prisonnier comme il
l’écrit « d’une gangue de chair et
d’os » et l’amène à se retrancher progressivement dans les limites de
plus en plus étroites et mesurées des déplacements que lui permet sa résistance
à la souffrance. On le voit à ces diverses formules : difficile pour lui
de ne pas établir de parallèle entre sa douloureuse et mal supportable
condition et celles de ces millions et millions d’hommes dont l’établissement
qu’il dirige a charge d’entretenir l’émouvant et ô combien pitoyable souvenir.
Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
Affichage des articles dont le libellé est POUVOIRS ET LIMITES DE LA REPRESENTATION. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est POUVOIRS ET LIMITES DE LA REPRESENTATION. Afficher tous les articles
jeudi 28 mars 2019
jeudi 7 février 2019
L'OCA NERA, LA NOUVELLE MACHINE DE LECTURE DE GÉRARD CARTIER. À LIRE !
CLIQUER DANS L'IMAGE POUR LIRE LA SUITE DU TEXTE ET LES EXTRAITS |
L’Oca nera ( titre italien, en français : l’Oie noire ) : je reviendrai sans doute sur cet assez singulier roman que Gérard Cartier vient de publier à La Thébaïde. Il y est question de toute une série de choses qui se succèdent, s’imbriquent, pour y dessiner la forme toujours un peu difficile à saisir d’une vie envisagée dans ses différents plans : géographique, historique, familial, professionnel, sentimental, intellectuel…
vendredi 14 décembre 2018
LES BARRICADES MYSTÉRIEUSES DE FLORENT TONIELLO.
Florent Toniello, apparemment, est un homme riche. Riche de
mots. De phrases. De rencontres. De culture. De territoires parcourus. Riche
aussi de musique, à propos de laquelle il plaint ceux qui, dans cet univers anxiogène
qui est bien vraiment le nôtre, « ne
peuvent entendre dans leur tête, sans les béquilles d’un haut-parleur et d’un
interprète, la LUMINEUSE CONSOLATION DES NOTES ». C’est dire que dans
son rapport au monde, si tout passe d’abord par le sensible, c’est bien en
dernier ressort à l’esprit, qu’il appartient de donner sens et voix à ce qui de
partout nous déborde : ce réel dont un long poème extrait de Lorsque je serai chevalier, nous décrit
l’invasif et sauvage surgissement.
samedi 24 novembre 2018
L’EXPÉRIENCE DE LA FORÊT.
À Marco Martella
Il est difficile d’éviter
les distinctions et les conclusions
si agréable d’entrer
dans un espace dégagé
des courants d’opinion
et du poids de l’existence personnelle
un espace où moins l’on parle
plus l’on dit
Kenneth WHITE
Tractatus cosmopoeticus, in Un monde
ouvert.
La forêt se trouve peu présente
dans ce que j’ai pu jusqu’ici écrire. Je n’en retrouve en tout cas que fort peu
de mention dans des textes anciens.
Cela me semble d’autant plus
étrange qu’avançant dans la reconnaissance d’un réel échappant à nos soucis de
définitions et de contrôle, je vois bien que la forêt qui se refuse à se
laisser appréhender partout comme paysage, qui excède toujours l’œil, déroute
tout particulièrement l’ouïe et nous déborde de ses inattendus touchers,
constitue sans doute le milieu qui permet le mieux d’éprouver physiquement, sensoriellement, cet impensable du monde
que les logiques réductrices et tellement morcelantes de l’école et de
l’intellectualisme dans lequel j’ai été éduqué mais qu’aujourd’hui je combats, m’ont
si peu préparé à découvrir dans les choses.
Oui, l’expérience de la forêt qui
oblige à l’écoute inquiète, à une permanente tension de l’esprit vers l’invisible,
le hors-champ - tant ce que l’on perçoit à cet instant de présences,
craquements, frôlements, chuchotis, chants d’oiseaux, bruits lointains
corrigés, diffractés, par l’acoustique propre des bois, échappe aux prises
ordinaires et ordonnatrices de la vision qui bute là sur l’opacité d’une
végétation de premier plan qui enserre - aurait pu devenir pour moi comme elle
le fut pour un certain nombre d’artistes dont le beau livre intitulé La Forêt sonore, récemment paru chez
Champ Vallon explore un certain nombre de réalisations significatives, la voie
par laquelle j’aurais pu me défaire de l’idéal de clarté et de soumission
perspective par quoi passait toute représentation supérieure et significative
de nos fuyantes et prétendues réalités.
mercredi 7 novembre 2018
LES ÉDITIONS LD RÉÉDITENT COMPRIS DANS LE PAYSAGE.
Paru en 2010 chez Potentille,
un de ces éditeurs dont on ne dira jamais assez ce qu’on leur doit pour
continuer, envers et contre tout, à faire un peu reconnaître dans l’espace de
nos sociétés ces travaux singuliers de parole, appliqués non seulement à
élargir comme à approfondir les possibilités de la langue commune mais à
résister comme ils peuvent aux divers formatages dont notre existence fait aujourd’hui
de plus en plus l’objet, Compris dans le
paysage, ce long poème dont je dis volontiers que c’est avec lui que j’ai
enfin compris ce qu’était pour moi la poésie, reparaît sous une autre forme et
sans doute avec de nouvelles significations, aux éditions LD.
vendredi 28 septembre 2018
HONNEUR À CHARLOTTE DELBO ! UN ARTICLE DE CÉCILE VIBAREL.
CLIQUER DANS L'IMAGE POUR LIRE L'ENSEMBLE DE L'ARTICLE |
Je suis heureux de
publier sur ce blog le bel article que Cécile Vibarel m’a envoyé sur la
magnifique figure de Charlotte Delbo.
Comme l’écrivait, en
2013, dans le Monde, le célèbre
écrivain et journaliste Jean Hatzfeld,
c’est bien « une trilogie d'une
beauté littéraire à couper le
souffle » qu’au début des années 70, les Editions de Minuit
publiaient, sous le titre d’"Auschwitz
et après". L'auteur, Charlotte Delbo, ne faisait pas qu’y témoigner de
toute l’horreur des camps où, communiste résistante, arrêtée en 1943, elle fut
déportée. Elle y faisait preuve d’un formidable talent d’écrivain. D’une telle
capacité à comprendre et à répondre aux si complexes enjeux humains et
mémoriels que pose l’élaboration d’une parole de vérité sur ces réalités qui
excèdent le champ de compréhension de l’intelligence et de la sensibilité ordinaires
que l’on ne peut que s’étonner et même s’indigner de la voir toujours aussi mal
reconnue.
mardi 18 septembre 2018
REPRISE. HERBES ET MURS. OÙ CONDUISENT LES ÉVIDENCES ?
Est-ce le pré que nous voyons,
ou bien voyons-nous une herbe plus une herbe plus une herbe? Cette
interrogation que s'adresse le héros d'Italo Calvino, Palomar, comment ne pas
voir qu'elle est une des plus urgentes que nous devrions nous poser tous,
aujourd'hui que, du fait des emballements et des simplifications médiatiques
souvent irresponsables, risquent de fleurir les plus coupables amalgames, les
plus stupides généralisations et les fureurs collectives aveugles et
débilitantes. C'est la force et la noblesse de toute l'éducation artistique et
littéraire que de dresser, face à tous les processus d'enfermement mimétique,
la puissance civilisatrice d'une pensée attentive, appliquée au réel, certes,
mais demeurée profondément inquiète aussi de ses supports d'organes, de sens et
de langage.
mardi 8 mai 2018
INSCRIPTIONS IRLANDAISES. LA PIERRE À 3 VISAGES DE FRANÇOIS RANNOU.
Pierre oghamique |
Je ne sais si cette attitude est
partagée par beaucoup mais je me fiche de plus en plus de démêler à propos d’un
poème ce qui s’y est écrit de l’intérieur,
dans une espèce de « transparence
centrale », de ce qui lui est venu de l’extérieur dans une sorte d’abandon, plus ou moins improvisé, à
l’imaginaire de la langue. Dans un texte réussi et qui compte, les deux
également importent. Et rien de « central »
n’y remonte en surface qui n’y ait été en partie invité par cette vivifiante et
créatrice déprise apparente de soi que permettent les mille et une
sollicitations de l’écriture. Compte pour moi qu’un poème ait une odeur. Qu’il
sente ou non la tourbe ou la bruyère. Que je l’éprouve animé de vie propre.
Qu’elle soit ardeur ou torpeur. S’enfonce dans les chemins tranquilles d’une
campagne solitaire ou s’agite sur les quais bruyants empestant la saumure ou la
bière, d’une ville étrangère.
Non que je désire que le poème me
décrive. Figure. Il n’y a pas, je crois, de poésie descriptive. Mais j’attends
que les matériaux qu’il utilise me rendent au vivant qui renverse. Dans une
certaine épaisseur d’être. Qui aille avec le sentiment d’une approche tentée.
Toujours recommencée.
dimanche 25 mars 2018
REFAIRE PASSER LA MORT DU CÔTÉ DE LA VIE. UN BOUQUET POUR LES MORTS. ENTRETIEN AVEC GEORGES GUILLAIN.
Quelle est l’origine profonde de ton livre ?
Qui ne sait qu’en matière d’art,
et la poésie est avant tout un art, l’œuvre est plus souvent le fruit d’une
poussée, d’un entraînement inconscient de toute la pensée sensible qu’une
opération préméditée dont l’esprit aura dès le départ pesé les principaux aboutissants.
Un Bouquet pour les morts est de ces livres dont le sens ne m’est
apparu que bien tard. Et qui réellement s’est fait, pourrais-je dire, de
lui-même, entendant par-là que c’est en réponse aux progressives et multiples
sollicitations des divers éléments qui lentement s’y sont vus rassemblés, qu’il
s’est trouvé prendre figure.
En cela ce livre est un livre
vivant.
Oui mais dans l’adresse finale au lecteur tu le relies clairement à
tous les disparus de la Grande Guerre. Et la plupart des poèmes qui composent
ton Bouquet sont dédiés à des soldats de diverses origines qui ont trouvé la
mort à l’occasion de ce conflit. Tu dis aussi dans cette adresse qu’ils sont
comme une réponse à l’invitation que tu as découverte sur le fût d’une colonne
élevée à la mémoire des soldats russes venus combattre pour la France, de leur
offrir « quelques fleurs ».
C’est vrai. Mais si le livre se
présente effectivement comme une offrande aux morts de la première guerre mondiale
et évoque certains des lieux où ils reposent – vallée de la Somme, plaine de l’Aisne,
cratère de Lochnagar, Ferme de Navarin, Main de Massiges, plateau de
Californie, cimetière de Craonnelle … - il se présente de toute évidence beaucoup moins
comme le rappel des horreurs dont ces paysages furent en leur temps le théâtre
que l’évocation de la relation affective, charnelle, que les disparus dont il
fait état auraient pu entretenir heureusement, pleinement, avec le monde si la
sauvagerie de la guerre n’avait cruellement
mis un terme à leur espérance légitime de vivre.
Car c’est bien de l’intérieur de
ma vie propre, de la relation particulière que j’entretiens avec ce qui
m’entoure, m’émeut et me nourrit que cet ouvrage, peut-être, approche quelque
chose de l’existence de ceux que je fais figurer dans ses pages.
samedi 9 décembre 2017
RECOMMANDATION. KASPAR DE PIERRE DE LAURE GAUTHIER À LA LETTRE VOLÉE.
Comment le dire : insignifiants
de plus en plus m’apparaissent ces petits
poèmes qu’on peut lire aujourd’hui publiés un peu partout, sans le secours
du livre. Non du livre imprimé, de l’objet
d’encre et de papier qu’on désigne le plus souvent par ce terme. Mais de cet
opérateur de pensée, de ce dispositif supérieur de signification et
d’intelligence sensible qui organise les perspectives, relie en profondeur et
me paraît seul propre à mériter le nom d’œuvre.
Non, bien entendu, que tel petit
poème ne puisse charmer par tel ou tel bonheur d’expression, la justesse par
laquelle il s’empare d’un moment ou d’un fragment de réalité et parvient ainsi
à s’imprimer dans la mémoire. Et nous disposons tous – et moi pas moins qu’un
autre - de ce trésor de morceaux qu’à l’occasion nous nous récitons à
nous-mêmes et dans lequel, même si c’est devenu un cliché de le dire, certains,
dans les conditions les plus dramatiques puisent pour donner sens à leur souffrance
et trouver le courage ou la volonté d’y survivre.
Mais la littérature me semble
aujourd’hui avoir bien changé. Nous ne sommes plus au temps des recueils.
Difficile de plus en plus d’isoler radicalement la page de l’ensemble dans lequel elle a place. C’est en terme de
livre qu’aujourd’hui paraissent les œuvres les plus intéressantes. Pas sous
forme de morceaux choisis. Ce qui rend aussi du coup la critique plus
difficile. Aux regards habitués, comme le veut notre époque, aux feuilletages.
Au papillonnage. Aux gros titres. À la pénétration illusoire et rapide.
Le livre de Laure Gauthier, kaspar de pierre, paru à La Lettre volée, est précisément de ceux
dont le dispositif et la cohérence d’ensemble importent plus que le détail
particulier. Ou pour le dire autrement est un livre dans lequel le détail
particulier ne prend totalement sens qu’à la lumière de l’ensemble. Non
d’ailleurs que tout à la fin nous y paraisse d’une clarté parfaite. S’attachant
à y évoquer non la figure mais l’expérience intérieure de ce Kaspar Hauser que
nous ne connaissons le plus souvent qu’à travers l’image de « calme orphelin » rejeté par la vie,
qu’en a donnée Verlaine, Laure Gauthier, à la différence de ceux qui se sont
ingéniés à résoudre le bloc d’énigmes que fut l’existence et la destinée de cet
étrange personnage, ramènerait plutôt ce dernier à sa radicale opacité, son
essentielle différence qui n’est peut-être d’ailleurs à bien y penser que
celle, moins visible et moins exacerbée par les circonstances certes, de chacun
d’entre nous.
mercredi 1 novembre 2017
LE PIRE POÈTE DE L’HISTOIRE ! À PROPOS DE LA HAINE DE LA POÉSIE DE BEN LERNER
Je dois à La Haine de la poésie, ce petit livre du poète et romancier
américain Ben Lerner, qu’ont récemment publié les éditions Allia, la découverte
de ce que Wikipedia présente comme le pire poète de l’histoire. Rassurons-nous :
ce dernier n’est ni notre contemporain, ni de culture française. C’est un tisserand
écossais du XIXe siècle répondant au nom de William Topaz McGonagall
dont la fameuse encyclopédie en ligne, qui lui consacre un intéressant article,
nous apprend qu’en dépit de l’hilarité que suscitait dans le public la plupart
de ses lectures, il n’hésita pas, après la mort de Tennyson à faire à pied et
sous les plus violents orages, les cent kilomètres de route montagneuse
séparant Dundee du château de Balmoral pour solliciter auprès de la reine
Victoria, qui naturellement ne le reçut pas, le privilège de se voir attribuer
le poste de Poète lauréat !
DAUMIER LE POETE LAMARTINIEN |
Le système prosodique anglais
différant sensiblement du nôtre, il faut lire l’analyse stylistique et les
considérations d’ordre métrique que consacre Ben Lerner à l’un des textes les
plus déplorablement célèbres que ce McGonagall consacre à l’effondrement, lors
de l’hiver 1879, du pont ferroviaire, construit, dans sa bonne ville de Dundee,
sur la rivière Tay, pour prendre la mesure, dans le détail, du caractère
doublement catastrophique du talent de notre malheureux écossais. La traduction
qu’en donne Lerner et qui prend en compte les errements prosodiques du texte initial,
fournira toutefois au lecteur une idée de la faiblesse de ses ressources
littéraires.
Magnifiqu’
pont ferroviaire du Tay argenté
Hélas !
Je suis vraiment désolé d’annoncer
Que
quatre-vingt-dix vies ont été emportées
Le
dernier jour du sabbat en 1879
Dont
nous nous souviendrons pour de très longues années.
L’objectif de Ben Lerner n’étant
pas ici de se moquer à peu de frais de l’ineptie parfaitement reconnue de
l’œuvre d’un poète qui ne se survit que par les moqueries dont il fait toujours
l’objet de la part de nos amis d’Outre-Manche, je voudrais attirer l’attention
sur le fait qu’il ne se penche sur ce lamentable fiasco que pour affirmer quelque
chose de la nature même de la chose poétique qui reposerait selon lui sur l’impossibilité
de ne jamais parvenir à l’idéal que par essence elle vise. L’échec de W.T.
McGonagall à nous faire partager la portée de l’évènement tragique qu’il entreprend
de nous exposer ne serait en somme qu’une illustration par l’un de ses cas limites,
de ce qui arrive à tout poème concret. Ne se contentant pas, comme on l’observe
assez souvent, de ses dimensions programmatiques.
jeudi 15 septembre 2016
AUTOUR DE LA GUERRE 14-18. DES RESSOURCES POUR LA CLASSE. UNE BELLE RÉUSSITE ENCORE DU LYCÉE BERTHELOT DE CALAIS.
Nous recevons aujourd’hui, suite à la commande que nous a passée l’an
dernier le lycée Berthelot de Calais, le petit livre que nous avons réalisé
autour des paysages de la Grande Guerre. Conçue par Martine Resplandy,
professeur de lettres et référente culturelle de l’établissement, l’opération
qui a bénéficié de l’aide du Conseil Régional du Nord-Pas-de-Calais et a obtenu
le label de la Mission du Centenaire de la guerre 14-18, a conduit une 50
d’élèves de Calais sur les traces de quelques-uns des poètes et artistes du
début du XXéme jetés dans ce
qu’on a pu appeler « l’enfer du
front ».
Accompagnés par 3 écrivains qui
se sont efforcés de les aider à mettre des mots sur cette expérience
particulièrement difficile, ces élèves ont pu approcher de façon plus
significative et profonde des lieux comme le Mémorial de Thiepval dans la Somme, le célèbre Chemin des Dames dans l’Aisne ou encore celui de la Main de Massiges dans la Marne par où
passèrent, entre autres, le caporal Cendrars et le sous-lieutenant Apollinaire.
Nous donnons ci-dessous à
découvrir le PDF de ce petit ouvrage qui témoigne de la qualité que peuvent
atteindre les actions menées à l’intérieur d’un établissement scolaire dès lors
qu’elles trouvent à s’appuyer sur de véritables compétences et sur des
structures animées par une réelle ambition culturelle.
Ceux qui voudraient en savoir
plus, voire s’approprier à leur tour de nouvelles ressources, pourront aussi
télécharger les importants et très complets documents pédagogiques fournis aux
élèves pour préparer leur voyage (cliquer pour cela sur les liens ci-dessous).
mercredi 29 juin 2016
C’EST L’ÉTÉ ! REGARDONS MIEUX POUSSER LES HERBES.
HARTUNG |
Est-ce le pré que nous voyons, ou bien
voyons-nous une herbe plus une herbe plus une herbe? Cette interrogation que s'adresse le
héros d'Italo Calvino, Palomar, comment ne pas voir qu'elle est une des plus
urgentes que nous devrions nous poser tous, aujourd'hui que, du fait des
emballements et des simplifications médiatiques souvent irresponsables,
risquent de fleurir les plus coupables amalgames, les plus stupides
généralisations et les fureurs collectives aveugles et débilitantes. C'est la force et la noblesse de toute l'éducation artistique et littéraire que de dresser, face à tous les processus
d'enfermement mimétique, la puissance civilisatrice d'une pensée attentive,
appliquée au réel, certes, mais demeurée profondément inquiète aussi de ses
supports d'organes, de sens et de langage.
Ce que nous appelons voir le pré, poursuit
Calvino, est-ce simplement un effet de nos sens approximatifs et grossiers; un
ensemble existe seulement en tant qu’il est formé d’éléments distincts. Ce
n’est pas la peine de les compter, le nombre importe peu; ce qui importe, c’est
de saisir en un seul coup d’œil une à une les petites plantes,
individuellement, dans leurs particularités et leurs différences. Et non
seulement de les voir: de les penser. Au lieu de penser pré, penser cette tige
avec deux feuilles de trèfle, cette feuille lancéolée un peu voûtée, ce corymbe
si mince …
jeudi 23 juin 2016
UNE PENSÉE DE TOUT LE CORPS.
KANDINSKY Accord réciproque, 1942 |
Dans
le prolongement de notre précédent billet sur le beau livre de Christiane
Veschambre, Basse langue, nous redonnons ces quelques réflexions
susceptibles de faire peut-être un peu mieux comprendre la spécificité d’un certain
langage poétique irréductible à la simple communication conceptuelle.
Il y a dans
un musée de Londres « la valeur d'un homme » : une longue
boîte-cercueil, avec de nombreux casiers, où sont de l'amidon — du phosphore —
de la farine — des bouteilles d'eau, d'alcool — et de grands morceaux de
gélatine fabriquée. Je suis un homme semblable écrit dans une lettre de 1867 le poète Stéphane Mallarmé à Eugène Lefébure, son ancien
condisciple du lycée de Sens, après avoir remarqué qu'a contrario, pour
être bien l’homme, la nature se pensant, il faut penser de tout son corps, ce
qui donne une pensée pleine et à l’unisson comme ces cordes de violon vibrant
immédiatement avec sa boite de bois creux.
Oui. C'est
peut-être cela - comme le remarque bien ici Mallarmé - qui œuvre finalement au
cœur de l'écriture ou de la parole poétique. Une pensée de tout le corps. Pas
seulement de la tête ou du cerveau. Des cases et des casiers qui décomposent.
Mais une mise en vibration pleine et à l'unisson de toutes les cordes de l'être
dans la caisse profonde, résonante et unifiée du monde. Déjà, comme l'écrivait
Baudelaire, à un certain niveau de perception des choses, les parfums les
couleurs et les sons se répondent dans une sorte de synesthésie permettant
toutes sortes de correspondances.
Mais il importe de reconnaître que chacune de
ces sensations s'inscrit pour commencer dans une dimension plus large et sans
doute aussi plus confuse moins aisément représentable du sensible qui est celle
de l'intensité mais aussi du mouvement, du rythme. Affectant le corps-esprit
bien avant que n'interviennent pour la conscience les classiques
différenciations que lui imposent l'inévitable taxinomie sensorielle ainsi que
les élaborations conceptuelles produites par la culture. Un peu comme, ainsi
que le rapporte un intéressant article de Claire Petitmengin, ce qui se passe chez l'enfant qui
n'expérimente pas un monde d'images, de sons et de sensations tactiles mais un
monde de formes, de mouvements, d'intensités et de rythmes, c'est-à-dire de
qualités transmodales transposables d'une modalité à l'autre qui lui permettent
d'expérimenter un monde perceptuellement unifié (où le monde vu est le même que
le monde entendu ou senti ) ce qui permet la résonance, l'accord entre deux
univers, base de l'intersubjectivité affective.
Ce qui
signifie de manière un peu réductrice peut-être que le poème parle, touche, émeut, s'éprouve en
tout premier lieu par sa dimension profondément musicale, unifiée, non
comme succession clairement identifiable de sonorités porteuses ou non de sens
mais comme variation continue d'intensités, modulation colorée de rythmes
intérieurs, la capacité qu'il possède de commencer là où la plupart des autres
écrits jamais n'atteignent: dans l'espace infra-sensoriel, vibrant, spirituel,
de l'expérience non encore intellectualisée et séparée. Qui fut celui des
origines. Et que nous retrouvons dans chaque moment d'ouverture ou de
co-naissance au monde, arraché à l'ensemble construit des représentations
différenciées qui normalisent.
mercredi 4 mai 2016
POUR BABEL ! DU PAIN DES LANGUES ET DES OISEAUX. PARTAGER NOS DIFFÉRENCES !
FRANZ SNYDERS CONCERT D'OISEAUX vers 1635 |
Ce
texte est dédié aux élèves du lycée Henri Wallon de Valenciennes que j’ai pu
rencontrer à l’occasion de la mise en place de leur première Babel Heureuse !
Babel.
Babylone. Babil. Il existerait dans le monde 9000 espèces d’oiseaux. Sans doute aussi, nous
dit-on, un nombre presque aussi important de langues. On sait ce qui attend l’ensemble des
espèces animales
du fait de ce que les scientifiques n’hésitent plus aujourd’hui à appeler la sixième extinction massive. En revanche sait-on
que notre siècle risque également de voir à jamais disparaître des milliers de ces systèmes intelligents et chaque fois singuliers d’invention
de la réalité qu’utilisent les hommes pour produire et communiquer leur pensée
tout en marquant leur appartenance à une communauté déterminée.
Si
chacun parlait la même langue tout irait-il vraiment mieux dans le monde ?
samedi 13 février 2016
EXPLORATION DE LA VISIBILITÉ
Tête de Telamon, Agrigente |
Les éditions Flammarion viennent
de sortir le dernier ouvrage consacré par le poète Nicolas Pesquès à La Face Nord de Juliau à laquelle il semble
avoir maintenant consacré la quasi totalité de sa vie littéraire.
Je ne pense pas totalement
inutile de redonner dans ce blog l’article que j’ai consacré il y a quelques
années dans la Quinzaine Littéraire aux volumes 5 et 6 de cette singulière et magnifique entreprise.
Vigoureusement
calé sur sa colline ardéchoise, le travail de Nicolas Pesquès qui fait paraître
chez André Dimanche les volumes 5 et 6 de la Face nord de Juliau, se présente comme le récit particulier d’une exploration entamée
depuis plus de 20 ans, non de la chose vue, voire d’un paysage fuyant en
constante métamorphose mais de ce qu’appelait si bien Maurice Merleau-Ponty
dans son dernier grand ouvrage l’Oeil et l’Esprit, un circuit :
le circuit ouvert du corps voyant au corps visible.
A l’origine, peut-être, comme
la tentative d’épuisement d’un lieu particulier : une modeste colline rêche,
râpeuse, couverte de buis, de genêts, de genévriers, à laquelle le regard se
trouve quotidiennement confronté. Une colline où sur l’autre face, au sud, aura
vécu et écrit en son temps le poète Jacques Dupin auquel Nicolas Pesquès a d’ailleurs
consacré en 1994, chez Fourbis, un bel ouvrage écrit dans l’amitié de la voix.
dimanche 24 janvier 2016
IMMENSITÉ DES PLUS HUMBLES MATIÈRES !
JARDIN DE MOUSSES KYOTO |
De retour d’une rencontre avec des élèves d’une classe de premières du lycée Berthelot de Calais je voudrais leur dédier ce
billet que j’ai consacré il y a deux ou trois ans déjà à l’ouvrage de Véronique
Brindeau, Louanges des mousses.
Il y a un
usage du monde qui permet chaque jour de l'inventer davantage. Les vrais
livres, nés d'une connivence profonde avec les choses de la vie et capables
d'exprimer avec une même profondeur, la jouissance, l'émotion mais aussi la
sagesse que son auteur en a retirées, nous éclairent ainsi de fenêtres
nouvelles. Diffusant leur lumière, avec plus ou moins d'éclat. Et de
retentissement. Louange des mousses
de Véronique Brindeau appartient à la catégorie des ouvrages discrets, modestes
mais dont la découverte ouvre paradoxalement sur des horizons de pensée vastes.
Sinon illimités. Ce qui n'est pas sans rappeler les propos de Witold Gombrowicz
dans Cosmos, "J'ai dû, vous le comprenez, recourir
toujours davantage à de tout petits plaisirs, presque invisibles. Vous n'avez
pas idée combien, avec ces petits détails, on devient immense, c'est incroyable
comme on grandit".
Nous ne disposons pour distinguer les quelques trois
cents variétés de mousse que de trois mots !
mercredi 18 novembre 2015
CENDRARS. PATRICIO GUZMAN. FABIENNE RAPHOZ ... TIENS VOILA DU BOUDIN ! COMMENT SORTIR DU NOIR ?
C’est effectivement le travail des artistes. Des
écrivains. Des penseurs. Et bien entendu des poètes. Il serait toutefois
dangereux de minimiser les difficultés d’une telle entreprise. Tant la réalité,
si tant est qu’on puisse comme ça la désigner singulière, sidère. Tend à celui
qui voudrait la regarder en face –pas à partir de ses simples réflexes mentaux
- son visage pétrifiant de Méduse.
« Un profond bouleversement de l’intelligence qui fait qu’on ne parvient pas à trouver ses mots »
Le poète Blaise Cendrars a connu, lui qui s’est
volontairement jeté au cœur de l’épouvantable réalité de la première guerre
mondiale, ce profond bouleversement de l’intelligence qui fait qu’on ne
parvient plus à trouver ses mots, ses mots de poète, qui pourraient donner sens
et l’on sait que contrairement à d’autres, comme Apollinaire par exemple, il ne
se sentit plus en mesure – à l’exception d’ailleurs très significative de La Guerre au Luxembourg – d’écrire le
moindre vers. Et dut attendre la seconde guerre mondiale avant de pouvoir
évoquer sa propre blessure et de le faire, en prose.
Revenant en 1949, dans le Lotissement du ciel, sur ces moments où, soldat, il guettait à
son créneau la nuit couvrant le no man’s
land, il affirme qu’il ne trouve pas de réponse autre au terrible spectacle
de la condition humaine « jetée en
holocauste sur l’autel féroce et vorace des patries » que le refrain
de la Légion, ce refrain qui, écrit-il, « vous fait franchir les parapets de la raison ».
« La perpétuelle réinvention de l’horreur à laquelle les hommes se prêtent de si bon cœur, de façon si diverse et parfois bien dissimulée, sur l’ensemble de la terre »
jeudi 12 novembre 2015
LASZLO NEMES, BORIS PAHOR ET LES AUTRES ... FIGURATION D'INFIGURABLE
Télécharger le Dossier |
Le magazine des Idées de Télérama propose cette semaine
un article bien intéressant à l’occasion de la sortie du film de László Nemes, Le Fils de Saul. Cet article revient en particulier sur le débat maintenant un peu
ancien mais qui n’a rien perdu de sa nécessité entre le célèbre réalisateur de Shoah,
Claude Lanzmann et l’important spécialiste de l’image qu’est Georges
Didi-Huberman. On sait que ce débat naquit à l’occasion de l’exposition de 4
photographies prises, dans les conditions qu’on imagine, par des membres
polonais d’un Sonderkommando qui voulaient, de cette manière,
« archiver » pour l’Histoire les abominations dont ils étaient, pour
reprendre le mot de Primo Levi, « les vrais témoins » en même
temps que les involontaires et tragiques complices.
Je ne discuterai pas de la valeur du
film de László Nemes dont je m’étonne quand même qu’il ait été si facilement
adoubé par le bien sourcilleux Lanzmann. Je me propose simplement de prolonger
la réflexion à travers quelques textes que la vision du film aura contribué à
réveiller dans ma mémoire : celui du petit livre de Didi-Huberman,
intitulé Ecorces, écrit à partir de
sa visite du camp de Birkenau et des photos qu’il a prises lui-même des lieux
où travaillaient les membres du Sonderkommando qu’on voit dans le film. Celui
du roman de Vassili Grossman, Vie et
Destin où il raconte pour la première fois, je pense, dans l’histoire de la
littérature, la mort dans une chambre à gaz d’un de ses personnages et où,
aussi, il met en scène un ancien comptable faisant le compte des
« personnes » dont on lui impose de brûler les corps. À cela
j’ajouterai deux courts extraits, eux-aussi bien intéressants du beau livre de
Boris Pahor, Pélerin parmi les ombres,
que j’ai découvert à l’occasion de la publication du petit livre que j’ai été amené à écrire à la suite de la visite que j'ai effectuée du camp
d’extermination du Struthof. Il m’a également paru nécessaire de donner
quelques extraits du livre paru en Poche sous le titre évocateur Des voix sous la cendre, où le lecteur
trouvera le texte des Manuscrits retrouvés des Sonderkommandos
d’Auschwitz-Birkenau.
Ecouter: l'émission de Caroline Broué Le débat sur la représentation de la Shoah est-il clos?
Ecouter: l'émission de Caroline Broué Le débat sur la représentation de la Shoah est-il clos?
Inscription à :
Articles (Atom)