Dans ma peau, un livre de Guillaume de Fonclare
qu’une amie m’a très récemment donné à lire, connaissant mon intérêt pour ce
qui a trait aux paysages de la Grande Guerre, est un livre que je qualifierais
volontiers de touchant si je pouvais
débarrasser le mot de cette nuance de niaise et visqueuse sensiblerie qu’il prend
aujourd’hui de plus en plus à la une des media populaires. L’auteur, alors
directeur de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne, y raconte son combat
quotidien contre une maladie dégénérative qui le rend prisonnier comme il
l’écrit « d’une gangue de chair et
d’os » et l’amène à se retrancher progressivement dans les limites de
plus en plus étroites et mesurées des déplacements que lui permet sa résistance
à la souffrance. On le voit à ces diverses formules : difficile pour lui
de ne pas établir de parallèle entre sa douloureuse et mal supportable
condition et celles de ces millions et millions d’hommes dont l’établissement
qu’il dirige a charge d’entretenir l’émouvant et ô combien pitoyable souvenir.
C’est ainsi que dans l’imaginaire de celui qui se confie à
travers ce tout premier ouvrage, se tisse au-delà des distances établies par le
temps et les situations, toute une série de renvois et d’échos par lesquels la
souffrance absurde en soi qu’il éprouve prend sens et profondeur à la lumière
de celles tout aussi absurdes subies plus que vécues par ces jeunes de l’autre
siècle que l’absence de progès humain condamna aux effroyables boucheries que
nous ne pouvons que très abstraitement nous représenter.
Et c’est la voix de la douleur, celle déchirante de la
douleur physique, jointe à la perspective d’une disparition rendue par le mal
moins irréelle et moins lointaine qui ouvre ici l’espace par lequel
communiquent sans jamais se recouvrir vraiment bien sûr, ces deux niveaux si
différents en apparence d’expérience et de tragédie.
J’attendais donc beaucoup de la lecture du tout dernier
ouvrage de Fonclare, Le Bel Obus, que
les toutes nouvelles et élégantes éditions Cours
toujours ont eu la gentillesse de m’adresser. Construit sur une
idée relativement originale : celle de faire d’un obus, par la grâce d’une
longue prosopopée, l’un des personnages principaux de son livre et de
confronter son histoire ainsi que sa maléfique figure à celle d’une famille
d’artisans lorrains dont la destinée se trouve bouleversée par les guerres –
celles de 1870 et de 14 – et leurs terribles conséquences, le livre de De
Fonclare, qui se lit avec intérêt de par la clarté de son style et la précision
de sa documentation, laisse toutefois sur sa faim par son caractère finalement
un peu sec, surplombant, manquant à mes yeux de cette chair romanesque dont il
possède la matière sans parvenir à lui donner justement corps. C’est que le
livre qui couvre plus d’un siècle d’histoire et plusieurs générations, est de
ces livres courts qui tiennent plus du simple récit que du roman véritable. Le
temps romanesque y est toujours ramassé, compressé, au détriment de la scène
qui donne davantage à sentir et à épouser les tensions et les mouvements
dramatiques auxquels sont confrontés les personnages. Celui d’Émile par exemple,
véritable Trompe la mort que l’obus
allemand qu’il a ramassé et désamorcé rend fantastiquement invincible, jusqu’à
ce que très ironiquement la grippe espagnole l’emporte comme elle le fit
d’Apollinaire dans les touts derniers jours de la guerre, souffre à mes yeux de
la comparaison avec l’extraordinaire et complexe personnage voisin que parvient
à faire vivre pour nous le romancier canadien Joseph Boyden, dans Le Chemin des âmes.
Reste que ce livre bridé répond parfaitement à l’intention,
je crois, de la collection qui l’accueille qui est de traiter de l’esprit d’un
lieu, d’une région, d’une époque, à partir d’un objet qui s’en fait ou en est
le fétiche. Dans une telle perspective, plus illustrative en somme que
proprement créatrice, l’ouvrage est une réussite. Il dit ou redit ici, un peu
sur le mode finalement du documentaire de fiction, qui tend, avec ses forces et
ses faiblesses, à s’imposer comme un genre à part entière, bien des choses
qu’il serait dommage pour ne pas dire criminel, pour nous tous, de laisser s’oublier.
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