Ceux que l’activité littéraire, de nature plus spécialement
poétique, intéressent encore, trouveront j’imagine matières à réflexion et autres
nourritures délectables à la lecture du bel ouvrage de Jean-Pascal Dubost, Du travail, paru récemment à l’Atelier
Contemporain. Ouvrage comme on dit de résidence, le livre de J.P. Dubost
s’écarte toutefois de ce genre souvent un peu léger de production par
l’importance de l’investissement personnel dont il fait montre. Du travail est un travail solide.
Sérieux. D’un sérieux n’excluant heureusement pas l’humour et la fantaisie. Dont
l’intérêt pour moi réside aussi dans le fait qu’il se présente sous la forme
d’une aventure de pensée, menée « en
état de crise poétique et morale », crise dont l’auteur nous conte et compte aussi les
péripéties, sans les abstraire du pittoresque des circonstances où elles sont
nées.
On sait Jean-Pascal Dubost, poète volontaire, cherchant
principalement dans les mille et une merveilles de la langue et des livres à
fournir et fourbir ses objets de pensée. Connaissance, maîtrise et réflexion
semblent les maîtres mots de son art. Il n’empêche qu’on demeure heureusement
avec lui dans une forme de pensée qui se cherche, se renouvelle, se ressource. En
un mot, et quel mot, animée. Plus en
somme que bien des autres, inspirées directement par ce qu’ils disent être à
leurs yeux, la vraie vie. C’est que « Travail du poème est un montage fatrasique, hétéroclite, composé d’articles, de poèmes
commentés, de notes, de lettres, de préfaces, d’intermèdes, d’entretiens … Par
quoi la pensée s’expose dans son désordonnancement, avec ses convictions
profondes et ses contradictions, montrant une capacité à s’auto-régénérer dans
le mouvement continuel de réfléchir à l’acte d’écrire et à ses raisons. »
Je ne suis pas pour autant sûr de partager toutes les vues
que propose Jean-Pascal Dubost sur l’inspiration, la relation de fond unissant
la parole à la vie ou le pouvoir ainsi que la finalité des livres. Sur tous ces
points d’ailleurs, la plupart des divergences, j’imagine, tiennent
principalement à des effets singuliers de parole et des particularités
d’expression propres à n’engendrer finalement que des oppositions de surface.
Les mots même les plus travaillés, les plus responsables ne sont que nos
directions maladroites. Et plutôt que de pinailler sur telle ou telle formule, ne
disposant par ailleurs pas du temps nécessaire à rendre compte avec justice de
la multiplicité des qualités à l’œuvre dans ce livre que j’ai vraiment pris le
temps de lire avec attention et je répète avec plaisir, je m’en rapporte à la
toute relative autorité dont notre petit milieu pour l’instant me crédite, pour
encourager les amis et les autres à y aller à leur tour plonger.
Ce n’est pas tous les jours qu’un « travailleur de l’esprit », « un traveilleur » comme
il se dit, un poète se déclarant en
outre « absolument pas doué pour la
poésie » nous ouvre réellement la porte de son atelier pour nous faire
confidence des plaisirs et tortures dont s’accompagne son étrange métier. Et
« contre l’étymologie du mot « travail » et contre une vision réduite au
socio-professionnel dudit mot et de sa notion [fait] l’apologie du créateur en libre-travailleur, en travailleur non
aliéné, en travailleur qui, au moyen de son travail d’écriture, combat
obsessionnellement l’aliénation mentale du novlangue libéral, de la
phraséologie nazie(« le travail rend libre ») tapie sous la phraséologie libérale (« le travail
c’est la liberté »), [fait] l’apologie du poète », non comme
être inspiré, écho sonore ou
sismographe, mais comme travailleur.
Travailleur sourcilleux. Travailleur soucieux. Multiplement outillé. Qui ne
veut retenir que le « plaisir
immense et paradoxal » qui l’enchaîne, non plus aux dieux, mais à son solitaire
et bien courageux labeur.
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