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« Lorsque l'incompétence et l'irrationalité,
piétinant toute décence, continuent à mettre en danger des vies de 'moindre
valeur', alors nous pouvons chercher avec une énergie et une attention accrues
la connaissance que prodigue l'art. »
Oui, le regard qu’il est légitime de porter sur les grandes
créations de l’imagination artistique ne peut s’abstraire de toute interrogation
sociale et politique. Si le tableau nous parle, en lignes comme en couleurs, en
formes et proportions, l’esprit qui le contemple a le devoir aussi de
questionner la relation qu’il entretient avec les grandes idéologies et les
divers systèmes de domination à l’œuvre dans son époque.
Le Radeau de la Méduse n’est pas seulement la
prouesse artistique d’un jeune homme de 28 ans qui s’affirme comme l’un des
peintres les plus doués de sa génération. Il est aussi pour chacun une image
dans laquelle peut se lire quelque chose de la destinée d’une société
abandonnée par ceux qui ont mission de la secourir ou de la piloter. C’est la
raison pour laquelle la grande romancière américaine que nous citons ci-dessus,
en a fait l’œuvre emblématique du travail mené par elle au Louvre en 2006, sous
le titre Etranger chez soi. On sait que cet immense tableau qui fit
l’objet de longues et méticuleuses recherches, suscita dès sa présentation au
Salon de 1819 diverses polémiques du fait de ce qu’il donnait à voir et surtout
à comprendre des effets désastreux d’un système politico-social accordant pouvoir
aux individus les moins compétents sur la foule innombrable de ceux qui, comme
on dirait aujourd’hui, ne sont rien. Cette contenance hautaine et méprisante,
qu’on appelle la morgue, bien des hommes malheureusement toujours la manifestent.
Elle fut celle de ce vicomte Duroy de Chaumareys, ce royaliste émigré et
parfait incapable, auquel fut confié le sort de la Méduse qu’ignorant les
conseils avisés de ses subalternes, il envoya s’échouer sur le banc de sable d'Arguin,
au large de la Mauritanie. Condamnant plus de cent de ses hommes dont 15
seulement survécurent, à dériver sans vivres sur un radeau, ce premier de
cordée trouva tout aussi naturel après avoir embarqué les hommes qui lui
étaient confiés dans cette catastrophique aventure, d’assurer sa survie et
celle des quelques privilégiés qui l’accompagnaient en montant, sous la
protection de la troupe, dans un des rares canots dont il avait pensé à équiper
son navire…
C’est le propre des chefs-d’œuvre de pouvoir être toujours
réinterprétés. Qui ne voit qu’aujourd’hui l’œuvre de Géricault conserve sa
capacité à alimenter nos réflexions comme à soutenir nos révoltes et nos indignations.
Et je m’étonne – sans vraiment m’étonner - que notre époque si prompte à la
commémoration ait à ce point négligé le bicentaire d’une des œuvres les plus
marquantes de l’histoire de notre peinture. Puissent les quelques pages du commentaire
éclairant qu’en donne Peter Weiss dans son Esthétique de la Résistance inciter
ceux qui les liront à ranimer en eux l’esprit de ce sombre et terrible tableau.
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