Des livres comme ceux que
publient Hélène Sanguinetti sont justement de ces livres qui, poussant à la
limite leur propre affirmation d’être et de solitude peuvent nous aider à
comprendre l’impasse dans laquelle s’engage quiconque voudrait trouver le mot,
découvrir la formule, le magique abracadabra, qui ouvrirait pour chacun le sens
d’une œuvre à tort considérée comme un bloc de significations d’une densité
telle qu’il y faudrait une culture, une attention exceptionnelles pour en
pénétrer, ne serait-ce qu’un peu, les principaux arcanes.
Certes, Domaine des englués, par exemple que je viens de recevoir et de
lire bouleverse les codes que s’ingénient à respecter de manière plus ou moins
joueuse ou inventive la plus grande partie des livres publiés par nos poètes
actuels. Cela apparaît d’emblée dans l’utilisation récurrente de signes –
glyphes ou émoticônes, encadrés – qui sont manifestement pour elle un
complément de palette permettant à la
langue d’exploser autrement ses couleurs sur la surface pour elle animée de la
page. Mais c’est bien sûr l’éternel problème de la fameuse illusion
référentielle qui dans ce livre est le plus de nature à déconcerter ces
lecteurs qu’aucune véritable expérience de l’écriture ou de la création
artistique en général, n’a appris à comprendre vraiment qu’un poème n’est pas
un produit fabriqué, une succession d’opérations bien précises destinées à la
cartographie progressive d’un sens mais pleine et aventureuse réponse à
l’intense provocation ou altération d’existence que nous adresse la conscience
d’être ici ou là, diversement éprouvés, dans le monde. Alors que nous soyons
promenés, projetés sans trop d’éclaircissements de paysages en paysages, de
situations en situations, d’époques en époques, baladés de réalité en
imagination, de registre en registre, d’identités en identités comme si rien
n’avait finalement de formes arrêtées, d’expression définitive, cela ne doit
pas troubler. Car il ne s'agit pas ici de baliser un domaine. Mais au contraire d’en sortir.
Car Domaine des englués part d’une douleur. D’un manque. De quelque
chose comme une perte. Une Mélancolie
qu’accompagne le sentiment d’une impuissance déprimante du langage. « Je
n’ai plus de mots. Le rythme manque dès que je les utilise comme s’ils
n’avaient plus de sens ou plutôt un sens, ils sont seuls, ils se suivent et je
ne les aime pas. Qui pourrait s’en
servir dans son oreille, sa bouche, son ventre, tout ? Honte. Et une
indifférence totale. Doute. Mais froid. Je pense à la mort et à la vie.
» Ainsi, la voix qui se lève à
l’intérieur de ce livre et le titre même de l’ouvrage, suggèrent-ils la
présence d’une conscience en partie empêchée. Retenue. Séparée. « Prison. Moi = prison ». « À nouveau tout est branlant, rien ne tient
et je ne tiens à rien » constate ainsi la voix, page 71 du livre.
Paradoxal alors cet entretien sur
la joie qui occupent les trente dernières pages du livre ? Pas pour celui qui
comprendra que là se trouve justement l’un des enjeux majeurs de la volonté
créatrice qui est de ranimer, ressaisir l’héroïque et solaire affirmation de
qui ou de quoi en nous et du fond même de tous les empiétements d’être que
constituent séparations, pertes, vieillissements, misères, continue à vouloir
tout. EXIGER PARADIS. SORTIR. ALLER. BONDIR ! Et de rassembler ses
ressources pour tenter de capter ce qu’elle peut toujours de puissance et de
joie d’exister. À placer jusqu’au bout son salut dans un surcroît d’être. « Ne pas mourir/ ne, Veut,pas, mourir/
mourir mais vif/ ainsi courir se dérater/ du couru Et transpire tombe/ au pied
d’un arbre marronnier/ en fleurs de sa vie, ».
Ainsi le domaine fermé peut-il
s’ouvrir en territoire. Le corps - ses nerfs, ses muscles et ses tendons … - sortir
de ses caissons. Et se rompre le vieil équilibre mortifère d’harmonie et de
repos. Le monde donne toujours faim. Entraîne. Et si devant on voit un trou, la
voix ne renonce pas à astiquer ses
clairons. « il y a encore de
quoi chanter ».
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