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TIEPOLO Métamorphose de Daphné détail |
Reconnaissons notre erreur. Lorsqu’il y a quelque temps je me suis vu
adresser
Le chansonnier de Pierre
Drogi publié à
la Lettre volée,
j’avais un peu rapidement classé cet ouvrage parmi les productions de ces auteurs dont j’ai de plus en plus de
difficulté à tolérer le manque de simplicité et le caractère par trop
ostensible de leur prétendue modernité. C’est vrai qu’à lire du bout des yeux
et de l’esprit, comme on fait le plus souvent d’un livre qu’on n’a pas vraiment
désiré et qu’on ne fait que feuilleter comme on feuillette certaines personnes
de rencontre dont on se dit qu’on ne les croisera plus, bien des choses nous
échappent. Et nous pourtant qui, dans notre poésie, nous défions terriblement
de tout effort d’étiquettes, avouons que nous ne sommes pas toujours parmi les
derniers à enfermer les autres dans la bêtise de nos apathiques et fâcheuses
définitions.
Car Pierre Drogi est poète. Et
poète vraiment. Comme vraiment je les aime. C’est-à-dire poète traversé mais
aussi traversant et ce n’est pas parce que les figures que dessinent ses poèmes
sur la page ont un petit caractère mallarméen et dans leur très subtile
ponctuation jouent savamment de leur relation typographique au blanc, qu’ils ne
sont pas par-dessus tout parole et parole activée pour libérer un peu de ce
qu’offre partout, mais à nous si difficilement, le monde : l’expérience
d’une relation dégagée, désencagée, décollée de ces pancartes, affiches,
écriteaux par quoi la pensée puis sa langue se condamnent à la seule et triste
gymnastique des mots.
Mouvement en profondeur du cœur
qui accueille et répond, la poésie de Pierre Drogi, bien que nourrie d’une rare
culture, est un « fluide simple »,
une circulation d’énergies prises on peut dire à toutes choses qui de chaque
recoin de la création viennent s’y mélanger, s’y échanger, jouir de leurs
métamorphoses pour nous arracher aux fausses certitudes des identités arrêtées et
relancer l’infini commerce que nous n’aurions jamais dû suspendre avec tout ce
qui de partout renverse et déborde : la vie.