vendredi 4 février 2022

SUR LA BRAVOURE DE VIVRE. PROVISOIRES DE CHRISTOPHE MANON AUX ÉDITIONS NOUS.

De quel « horrible sans fin enfoui », le dernier livre de Christophe Manon nous fait-il confidence ? Quel trouble, quel profond sentiment de perte aussi, en viennent à bousculer dans certaines de ses sections, la syntaxe, au point de transformer le poème en une sorte de kaléidoscope où les mots, les éléments de phrases dans leur apparente déstructuration offrent des possibilités de lecture multipliées, retrouvant d’ailleurs par là quelque chose de l’être même de la poésie qui serait, disait Mallarmé, de s’allumer, en nous, de feux réciproques.[1]

 

Du corps nu de l’enfant, à celui rouge du lapin pendu par-dessus la bassine, en passant par la chevelure rouge aussi de la mère étendue sur un lit, sans compter d’autres nombreux détails que le lecteur attentif retrouvera sans peine, on n’est ici peut-être pas si loin, d’ailleurs, du moins de l’intérieur, de ce drame de l’absence et du désir, qu’un Jean-Pierre Richard par exemple voyait chez ce même Mallarmé qui dans l’Après-midi d’un Faune pouvait évoquer ce « corps que dans l’enfance Eros illumina », « la chair [qui] passe et s’allume en la feuillée éteinte », les « soirs ensanglantés » puis la foudre qui tombe.

 

Je sais. On a plus l’habitude de rapprocher Manon du Villon de la Ballade des pendus et du Testament que de l’auteur du sonnet en X.  Et bien évidemment je n’occulte pas à quel point dans ce dernier livre, Provisoires, la pensée de la mort, les renvois à Villon, tiennent une part nécessaire[2], visible écho à ce livre récemment repris au Dernier télégramme dans lequel Manon réactive en les coulant dans son propre langage, ses propres obsessions, les strophes tout autant poignantes que comiques de son lointain ancêtre... Cependant, ce ne sera pas faire injure à Manon, qui fait de l’expression de son mal-être personnel l’occasion de mieux faire ressortir le caractère tragique et vulnérable de notre collective condition, que de voir en lui l’un des continuateurs de la poésie fin de siècle (je parle ici du XIXème) que de le représenter marchant sur les traces d’un Philippe Beck, d’un Denis Roche ou d’un Jean-Marie Gleize.  

 

mercredi 2 février 2022

RETOUR DES CAHIERS DE POÉSIE EN PARTAGES. AUJOURD’HUI CHRISTIAN DEGOUTTE : JARDINS PUBLICS.

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C’est, pour moi, une réelle joie aujourd’hui de relancer la publication de ces cahiers numérique de Poésie en Partages, dont nous avons sorti en 2020-21, les 10 premiers numéros. La coupure des vacances d’été, les conditions particulières de travail engendrées par une situation sanitaire qui qu’on le veuille ou non, finit quand même par éroder les forces, ont fait que j’ai beaucoup hésité avant de donner suite à cette entreprise, malgré l’intérêt qu’elle aura, si j’en crois les chiffres, suscité. C’est en effet plus d’une quinzaine de milliers de vues que compte au total l’ensemble de nos numéros en version téléchargeable à quoi l’on peut ajouter le nombre cette fois plus modeste des consultations sur Calameo.

vendredi 28 janvier 2022

NE RIEN LAISSER S'ENFERMER. SUR LES CORPS CAVERNEUX DE LAURE GAUTHIER AUX ÉDITIONS LANSKINE.

C’est une image un peu à la Degottex, celui d’après 1955, qui déchire et entaille, qui fait la couverture du dernier livre de Laure Gauthier, les corps caverneux, aux éditions LansKine. Cette image due à Christophe Lalanne, dont j’ai découvert à l’occasion l’intéressant travail[1], peut effectivement être une bonne entrée à ce livre qui n’a de cesse de mettre à jour ce qui se joue sous les surfaces. Que ce soit très prosaïquement celles que nous appelons grandes, les commerciales, ou plus spécifiquement celles que constituent pour les mots, les pages où nous les dessinons. Sans négliger bien sûr la peau. Cette peau qui nous fait enveloppe. Mais par où passent d’infinis et mystérieux échanges. La sensation même de la vie.

 Parler de surface, de surfaces plutôt, quand il est question de cavernes, n’a rien de contradictoire. Nous imaginons beaucoup trop les surfaces à partir de notre notion du plat. Alors qu’elles se replient, se ploient, se creusent, se retournent, se tordent, se déploient. Et c’est le mérite du travail de Laure Gauthier que de se montrer attentive à l’ensemble des énergies par quoi tout cela forme espace. Aussi bien d’enfermement. Que de liberté.

 Précisons. L’être humain pour Laure Gauthier est un être essentiellement caverneux. C’est-à-dire qu’il est d’abord le lieu d’un brassage incessant d’énergies, de fluides, qui fait qu’à l’image de la verge passant de tendue à flaccide et inversement, le vide, les vides dont nous nous trouvons constitués, sont en permanence traversés, conduisant notre relation au monde, à l’être, à osciller entre plénitude et manque, ce manque surtout, ce trou, que nous aspirons à voir le plus souvent combler, par quelque chose de vivant, de vaste ou de puissant, à l’intérieur de nous.

dimanche 23 janvier 2022

MISOGYNIE DE LA CRITIQUE ? DÉCOUVRIR ANNE SEXTON !

Méchanceté du jugement !

 

« Avec une rage d'exhibitionniste, Anne Sexton étale son ventre (All my Pretty Ones, 1962) pour ne produire qu'une image dont James Dickey s'est gaussé. [Sa poésie ] est caractéristique de ce qui peut être produit dans la lignée de Life Studies[1] par un moindre talent : dans Live or Die, seule la vie privée de l'auteur, dans ses détails les plus antipoétiques, est en question ; chaque poème ne traite que des idées de suicide, des troubles mentaux et des traitements psychiatriques. »

 

Combien sommes-nous à avoir découvert la poésie américaine du siècle dernier à partir du livre de Serge Fauchereau, paru chez Minuit en 1968 et intitulé précisément Lecture de la poésie américaine. Pas certain toutefois que nous ayons été nombreux à tiquer en découvrant ces lignes où se révèle la grossièreté du regard d’un homme pourtant salué de son temps comme l’un des meilleurs connaisseurs de la littérature américaine qu’il enseigna quelques années à l’Université de New-York avant de devenir l’un des plus importants commissaires d’exposition d’Europe.

ANTHOLOGIE DÉCOUVREURS. CHOIX DE TEXTES TIRÉS DE 18 JOURS SANS TOI DE LA POÈTE AMÉRICAINE ANNE SEXTON (1928-1974)

 

mercredi 19 janvier 2022

PAGES CHOISIES DU RECUEIL DE VALÉRIE ROUZEAU, QUAND JE ME DEUX.

 

ACCOMPAGNER VALERIE ! SUR LA SORTIE DE 4 ANCIENS OUVRAGES DE VALERIE ROUZEAU DANS LA PETITE VERMILLON.

C’est une bien bonne idée, que viennent d’avoir les éditions de la Table ronde : reprendre 4 des principaux titres de Valérie Rouzeau pour les proposer, sous de sympathiques couvertures réalisées par Jochem Bergen, dans leur collection de poche, la Petite vermillon.

De Pas revoir (1999) à Quand je me deux (2009) en passant par Neige rien (2000) et Va où (2002), cette publication en 3 volumes redonne ainsi à lire le meilleur des dix premières années de « la carrière » poétique de Valérie Rouzeau, celles qui l’auront je crois établie comme l’une des figures marquantes, les mieux reconnues et les plus attachantes de notre paysage poétique actuel.

Je ne reviendrai pas sur ces divers ouvrages que beaucoup ont déjà et souvent très bien présentés. Je profiterai simplement de cette sortie pour proposer tout particulièrement à celles et ceux qui voudraient partir à la rencontre de la poésie de Valérie, un petit choix de textes tirés de Quand je me deux, ouvrage que j’ai bien envie de proposer dans la future sélection du Prix des Découvreurs. Tant ce texte, il me semble, peut se prêter, en classe, à toutes sortes d’entrées libératrices et passionnantes, dans ce monde réputé austère et toujours trop intimidant qu’est demeuré, chez nous, la poésie.

samedi 15 janvier 2022

S’IL FALLUT UN JOUR LA GUERRE, UN PREMIER LIVRE SECOURABLE D’ANNE BROUSSEAU AUX ÉDITIONS LA TÊTE À L’ENVERS.

Amrita Sher-Gil, Paysage d'hiver Hongrie, 1939

On sait à quel point le mot « guerre » couvre aujourd’hui un spectre des plus larges. Notre bon Président n’a-t-il pas établi que nous étions en guerre. Contre un virus invisible sans doute. Mais en guerre quand même. La guerre dont parle Anne Brousseau dans l’ouvrage qui paraît d’elle aux éditions La tête à l’envers, est quant à elle une guerre intérieure. De celles qui déchirent l’être. Le rendent mal habitable. Douloureux. Jusqu’à le rendre insupportable. Parfois.

Ce n’est toutefois pas de l’intérieur comme généralement le fait cette forme de poésie dite confessionnelle dont le mérite quand elle est vraie – terme bien sûr dont il faudrait activement débattre – est de mettre en évidence et de proposer en partage, cette intime difficulté à vivre qui est le lot de bien des âmes et pas toujours des plus apparemment fragiles, non, ce n’est pas de l’intérieur, à la première personne, qu’Anne Brousseau rend compte de cette « part noire » destructrice, adonnée à la colère, que beaucoup portent en eux. Et qui leur fait la guerre. Écrits à la troisième personne, la suite, l’itinéraire, que forment la quarantaine de courts poèmes qui composent l’ouvrage, dressent en fait l’image d’une figure masculine qui entreprend sa lente et difficile reconstruction, près d’une femme et d’un jardin vers lesquels elle est revenue. Et c’est à toute la puissance d’empathie de l’auteur, plutôt qu’à sa capacité directe d’expression, son expressivité pure, que nous devons d’approcher par le texte, le drame dont elle s’efforce de comprendre et de nous faire comprendre l’énigmatique nature.

jeudi 13 janvier 2022

INÉPUISABLE ! SUR LE DERNIER LIVRE DE PIERRE VINCLAIR, L’ÉDUCATION GÉOGRAPHIQUE AUX ÉDITIONS FLAMMARION.

Inépuisable Pierre Vinclair. Voici que paraît en ce début janvier, chez l’éditeur Flammarion, un nouveau titre de lui, L’Éducation géographique se présentant comme le premier volume, en près de quatre cents pages, d’un ensemble qui en comptera, nous est-il annoncé, trois autres. Rares sont les poètes d’une telle fécondité. Qui, à l’époque de la multiplication des furtives plaquettes dans lesquelles cherche à se concentrer l’ardent foyer de la plupart des énergies poétiques, risque à certains de paraître suspecte. L’exemple toutefois dans le passé d’un Hugo ou aujourd’hui d’un Darras, nous empêchant, quant à nous, de lui en faire a priori procès. D’autant que l’ambition, le projet comme la mise en oeuvre des publications de Vinclair, présentent toujours quelque chose d’intéressant. Intéressant étant d’ailleurs l’une des notions majeures autour desquelles tourne sa réflexion poétique.

Ainsi « dire ce qui compte à ceux qui comptent » sans vouloir faire Littérature, c’est-à-dire, sans vouloir coûte que coûte imprimer sa marque dans l’histoire d’un genre ou prétendre bouleverser d’un grand geste d’écriture l’être, pourquoi pas, de l’homme au cœur même de la Nature et du Monde, se contenter d’adresser ses compositions de parole à des lecteurs dotés pour soi de valeur, en faire donc communication – c’est moi qui souligne – a tout pour éveiller bien sûr mon intérêt. Sans préjuger naturellement de la nature de ce « dire », du contenu précis de ce qui compte, ni de la personnalité de ses destinataires. Qui peuvent tout aussi bien aller du moi singulier de l’auteur, qui se trouve être son premier lecteur, son premier « découvreur » en somme, à l’humanité tout entière.