mardi 7 octobre 2025

FASSIN, GELLÉ, MOULIN, DUBOST : LES NOUVEAUTÉS D’OCTOBRE DANS LA COLLECTION LITTÉRATURES DE L’ATELIER CONTEMPORAIN.

 


 

Des nouveautés en nombre ce mois-ci dans la Collection Littératures de l’Atelier Contemporain.

La première, La douceur rouge des étoiles, signée de Laurent Fassin qui s’y voit accompagné de peintures de Benoît de Roux, a pour ambition de rapprocher la poésie de la musique en substituant notamment à ce qu’on a coutume d’appeler ses blancs, terme pictural, ce que l’auteur, lui, veut appeler silence. Le poème s’entend alors comme partition susceptible « sans renoncer à l’horizontalité qui préside à son essor, reconduite de ligne en ligne et vers après vers », de se donner un caractère, à sa façon, polyphonique. Deviendrait ainsi possible « une lecture à double entrée, horizontale et à la fois verticale, reconnaissant au poème une étonnante capacité à se métamorphoser sans cesse ». Cela bien sûr n’est pas absolument nouveau mais convient plutôt bien à ces évocations en partie fugitives des multiples absences, rougeoyantes solitudes et fragiles éclaircies qui composent avec insistance, le monde en profondeur ouvert, en constant mouvement et tension qui fait ici entendre ses voix.

vendredi 3 octobre 2025

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. LE NU DANS LA TAILLE, UN RÉCIT POÉTIQUE DE YANNICK KUJAWA, CHEZ EDERN EDITIONS.

Boulonnais depuis toujours, j’ignorais tout de l’existence, depuis le XVIIème siècle, dans la bocagère région d’Hardinghen, de ces « champs souterrains grands comme des océans » que mon ami Yannick Kujawa aura entrepris d’évoquer à travers la pathétique histoire d’une fille « toute blanche dans un noir d’encre ». J’aurai donc si longtemps parcouru, à pied, à vélo, en voiture, ce territoire, sans jamais soupçonner qu’il y eut là des mines de charbon, les premières apparemment à avoir été dans le Nord exploitées, exploitées en l’occurrence étant le mot juste, puisqu’y descendaient pour quelques malheureux sous des enfants des deux sexes qui n’y faisaient pas long feu.

Comme je l’écrivais il y a une bonne dizaine d’années à propos d’un poème de l’irlandaise Eawan Boland, évoquant une gravure[1] illustrant toute l’horreur de la Grande Famine du milieu du XIXème siècle qui réduisit de plus d’un quart la population irlandaise en l’espace de quelques années, le grand art, même s'il dénonce avec le plus de force, la misère infligée aux femmes, s'apparente souvent quand même, par la brutalité de sa technique à un rapt, un viol, arrachant à jamais le corps représenté, à son air natal, pour l'emprisonner dans sa page. Du coup  devenue cage. Rien de tel dans l’ouvrage de Yannick Kujawa qui, dans une grande simplicité de trait, une disposition d’esprit profondément empathique à l’égard des humbles, réinstalle poétiquement son personnage de Blanche au cœur de cette beauté cosmique qui continue pour elle, dans ses immenses dimensions et d’espace et de temps, de faire paysage à ses plus profondes détresses. Par quoi c’est tout son être qui s’en trouve exhaussé. Alors certes, on dira que cette histoire faite pour nous serrer la gorge cherche quand même par là à nous rendre comme l’écrivait Paul Celan, le chagrin habitable. Mais n’est-ce pas aussi parfois, dans ces temps d’assez grande sécheresse, ce dont nos cœurs ont besoin. Comme des belles figures de martyrs et de saints de Fra Angelico.

J’y reviendrai.

EXTRAITS 

mardi 30 septembre 2025

SORTIE DE MATIÈRE DE DOMINIQUE QUÉLEN CHEZ FLAMMARION. SINGULIER FAÇONNAGE.

 

À paraître ce mercredi chez Flammarion : MATIÈRE de Dominique Quélen. Dans l’immédiat, disons qu’on y retrouvera, bien ou mal entendu, du Quélen et du Quélen pur jus. S’astreignant ironiquement aux choses difficiles comme peler la surface de l’eau. Plonger tête première pour s’enfoncer sous la terre. Se confronter à l’absence. Celle dans la vie, par exemple, du frère. Celle dans les mots, de ce réel, bancalement, qui fuit. Travaillant, non à combler, mais  façonner ces manques – dans matière il y a métier – par l’assemblage, en quelque deux cents petits tombeaux déguisés de prose, d’un objet, d’une machine qui pourrait n’avoir d’autre sens que d’avoir été à sa façon mont(r)ée, n’était que dans sa forme, ses substances, cela quand même, de l’intérieur, bizarrement, vit.

mercredi 24 septembre 2025

SUR JAN BRUEGHEL L’ANCIEN. LE MONDE EST NOTRE LIEU.


 Je ne sais si Jan Brueghel l’Ancien dont j’ai pu voir ou revoir certaines œuvres il y a quelques semaines au musée des Flandres de Cassel où était évoquée sa collaboration avec l’anversois Van Balen, frottait bien d’un jus d’ail ses cuivres pour en accroître l’adhérence, ni si c’est à ce support singulier, plus lisse que le bois ou la toile et surtout moins absorbant, que sa touche doit de nous paraître plus lumineuse et subtile, le fait est que ses paysages ont quelque chose d’alléchant, sapide, frémissant, offrent des profondeurs qu’on a comme envie de traverser, des espaces qu’on s’imagine à son tour pouvoir pénétrer sans s’y perdre. Que ses compositions soient animées de dizaines voire de centaines, de tout un flot, d’humains qui s’agitent, ou ne présentent au contraire que quelques figures réduites d’ermites ou de chasseurs,  Jan Brueghel l’Ancien nous montre un paysage plein, c’est-à-dire, saisi, dans toute l’intensité d’une forme pensée non plus comme décor, secondaire ornement, mais  présence essentielle. Puissamment sublimée. Qu’on rêve à son tour d’habiter.

jeudi 18 septembre 2025

AVEC PÉTRARQUE. APPRENDRE À VIVRE PLUS LARGEMENT SA VIE. SUR LE LIVRE DE JEAN-PIERRE SUAUDEAU CHEZ JOCA SERIA, COURIR À CE QUI ME BRÛLE.

 

L’histoire, les belles histoires nécessitent parfois quelques arrangements avec la réalité. Le mensonge, l’invention sont les nerfs de la littérature.

Jean-Pierre Suaudeau

Certes, on en apprendra sans doute plus sur Pétrarque à travers le long article même brouillon que lui accorde l’édition française de Wikipedia, qu’à travers ce beau livre de Jean-Pierre Suaudeau, Courir à ce qui me brûle, que ce dernier consacre principalement à l’évocation des divers séjours que fit l’auteur du Canzoniere à Fontaine de Vaucluse, sur les bords de la Sorgue, où peut se visiter aujourd’hui, sur l’emplacement de ce qui fut autrefois sa maison, le petit musée qui en perpétue la mémoire.

C’est que le livre de Jean-Pierre Suaudeau n’est pas exactement ce qu’on peut appeler une biographie. Du moins une de ces biographies d’artiste, qui reposant sur une écrasante documentation, une connaissance impressionnante de leur sujet, s’efforcent par leur agencement de restaurer au jour le jour dans ses moindres détails, la continuité supposée d’une vie singulière. Ce livre est une fiction. Une de ces fictions biographiques, dans lesquelles comme le remarque Dominique Viart à qui l’on doit cette expression, leur auteur se tourne moins vers la reconstitution factuelle de la vie d’une personne autre qu’il ne cherche à donner forme, figure, à la représentation subjective qu’il s’en fait. [1]

mercredi 10 septembre 2025

RECOMMANDATION DECOUVREURS : ÉLÉGIES MINEURES DE CHRISTOPHE MANON AUX ÉDITIONS NOUS.


 

Et alors où serons-nous ? que deviendrons-nous ? dans quelles ténèbres serons-nous cachés ? dans quel gouffre serons-nous perdus ? Il n'y aura plus sur la terre aucun vestige de ce que nous sommes. «La chair changera de nature, le corps prendra un autre nom ; même celui de cadavre, dit Tertullien, ne lui demeurera pas longtemps ; il deviendra un je ne sais quoi, qui n'a point de nom dans aucune langue »

Bossuet

 

Je pense être maintenant suffisamment familier de l’œuvre de Christophe Manon pour me dire qu’il ne restera pas insensible à cette envie qui m’aura pris de placer la courte note qui suit sous, non point l’égide, le parrainage, mais la dure, réaliste et puissante perspective dressée par Bossuet dans l’oraison funèbre composée par lui à l’intention d’un certain Père Bourgoing,  supérieur général des Oratoriens.

Sic transit gloria mundi !

jeudi 4 septembre 2025

CAMPAGNES ANCIENNES. POÈMES.

J’aime qu’un texte ne s’envisage pas comme une structure close. Si le poème est bien pour moi à chaque fois comme un paysage nouveau de langue, j’aime l’idée que son lecteur le reconstitue à sa façon et selon ses propres harmoniques. Lecteur de mes propres textes, je les lis rarement deux fois de la même manière. Me laissant différemment porter, selon le degré d’intelligibilité que, dans l’instant, je m’en forme, par les diverses suggestions, sémantiques autant que musicales qu’il porte. Car un texte n’est pas une forme à jamais figée. Une sorte de papillon épinglé sur sa plaque de liège. Tout en puissances et surgissements, il vit et se revit. Se réincarnant sans cesse. Au cœur de cette inépuisable métamorphose et relance du vivant et de l’intelligence liée qu’exalte si bien, Montaigne parlant du monde comme d’« une école d’inquisition ». Et de notre quête de connaissance comme d’une agitation, une chasse. Sachant qu’il y est sans doute excusable comme il dit de manquer à la prise. Moins, de s’abstenir d’y entreprendre les courses les plus belles.


 

CULTIVER SON IGNORANCE ! À PROPOS DE L’EXPOSITION MONDES ARCTIQUES, DE L’ALASKA AU NUNAVUT, AU CHÂTEAU-MUSÉE DE BOULOGNE-SUR-MER.


 

« Depuis la péninsule du Labrador jusqu’à l’Alaska, la grande forêt boréale étale un manteau continu de conifères où prédomine la silhouette typique de l’épinette noire, à peine interrompu de loin en loin par quelques bosquets d’aulnes, de saules, de bouleaux à papier ou de peupliers baumiers. Les animaux sont à peine plus variés : élans et caribous pour les herbivores, castors, lièvres, porcs-épics et rats musqués pour les rongeurs, loups, ours bruns, lynx et carcajous pour les carnivores forment le gros contingent des mammifères ; à quoi s’ajoutent une vingtaine d’espèces communes d’oiseaux et une dizaine de poissons, ces derniers faisant bien pâle figure auprès des trois mille espèces qu’abritent les fleuves d’Amazonie. […] Les caractéristiques de la forêt boréale sont exactement inverses de celles de la forêt amazonienne : peu d’espèces coexistent dans cet écosystème « spécialisé », représentées chacune par un grand nombre d’individus. Et pourtant, en dépit de l’homogénéité ostensible de leur milieu écologique — en dépit aussi de leur impuissance face aux famines qu’engendrait régulièrement un climat d’une extrême rigueur —, les peuples subarctiques ne paraissent pas considérer leur environnement comme un domaine de réalité nettement démarqué des principes et des valeurs régissant la vie sociale. Dans le Grand Nord comme en Amérique du Sud, la nature ne s’oppose pas à la culture, mais elle la prolonge et l’enrichit dans un cosmos où tout s’ordonne aux mesures de l’humanité »[1].

Oui. De plus en plus je me demande si je ne vais pas au Musée pour approfondir toujours davantage ce large puits d’ignorance que les discours contraires du temps voudraient me donner l’illusion par là de combler. Ainsi, avant de mettre le pied dans les salles d’exposition consacrées aux Mondes arctiques, de l’Alaska au Nunavut, que le magnifique Château-Musée de Boulogne-sur-Mer, nous propose désormais de découvrir, avais-je vraiment conscience de ne rien savoir de ces terres lointaines, de tous ces peuples dits premiers qui les habitèrent et continuent vaille que vaille d’y survivre.