mercredi 30 janvier 2019

À LIRE ! DÉNONCIATION D’UN BEL EXEMPLE DE KLEPTOCRATIE MODERNE. LE SOLILOQUE DU ROI LÉOPOLD DE MARK TWAIN.


Les éditions L’œil d’or, qui ont entrepris en 2004, de se lancer dans la publication des œuvres de Mark Twain en faisant appel à la même illustratrice, Sarah d’Haeyer et surtout au même traducteur, Freddy Michalski, bien connu des amateurs de romans noirs américains pour ses traductions notamment d’Ellroy, de James Lee Burke ou d’Edward Bunker, viennent de sortir un ouvrage qui, par les temps qui courent, ne devrait pas manquer d’intéresser un certain public. Celui que révolte le cynisme ou l’hypocrisie par lesquels les puissances qui sont parvenues à conquérir le droit de nous gouverner tendent à dissimuler, tant à leurs yeux qu’à ceux des autres, les ravages que leur politique, causent au sein des populations qu’elles devraient avoir pour vocation de protéger.




Le Soliloque du Roi Léopold est un court texte dans lequel Twain dénonce avec violence la monstrueuse exploitation à laquelle le Roi des Belges, puisque c’est de lui qu’il s’agit, s’est à la toute fin du XIXème  siècle livré sur les malheureux habitants de cette partie de l’Afrique, connue sous le nom de Congo, dont, par toute une série de manœuvres, d’apparence légale, il s’est rendu personnellement propriétaire, avec la bénédiction (voir Conférence de Berlin de 1884-85) des principaux pays européens et des États-Unis d’Amérique.



Composé en 1905, l’ouvrage de Twain ne cache rien du sort des millions et des millions d’indigènes sauvagement mutilés, massacrés de façon à obtenir d’eux la force de travail nécessaire à la récolte du caoutchouc permettant d’alimenter la fortune royale. Et d’accroitre au passage les profits des quelques responsables locaux ayant reçu mission par le roi de faire fonctionner au mieux cette sordide entreprise.



Les historiens sont particulièrement sévères aujourd’hui avec Léopold. Un très bon livre intitulé Les Fantômes du Roi Léopold dresse à son encontre un réquisitoire extrêmement détaillé rapportant des anecdotes, des faits, des bilans, à vous faire dresser les cheveux sur la tête. L’auteur d’un grand livre de référence sur le Congo, le très sérieux historien David Van Reybrouck, va même jusqu’à employer l’expression d’« immonde saloperie » pour intituler le chapitre qu’il consacre à la gestion de cette partie de l’Afrique par Léopold, avant de conclure que  « la vie d’un esclave domestique congolais en Arabie saoudite ou en Inde [devait être à coup sûr, à l’époque] plus séduisante que celle d’un récolteur de caoutchouc dans l’’Équateur».



Je ne sais si ces faits sidérants sont connus ou pas de beaucoup de lecteurs et je renvoie ceux qui voudraient s’en informer plus au fond, aux ouvrages susmentionnés. Souhaitant me contenter ici, pour la compréhension de notre bel aujourd’hui, de concentrer principalement l’attention sur la manière dont l’effrayante « kleptocratie » rassemblant les grands prédateurs de nos systèmes économico-financiers modernes, se dissimule toujours sous les discours les plus nobles et les plus généreux. Une sorte de grandeur d’âme faite pour abuser les gogos et se dissimuler jusqu’à soi-même les horreurs dont on tire profit. Remarquons au passage qu’il est bien plus facile  d’être bête que cynique. La bêtise étant ici une bien puissante protection dont on voit comme elle est devenue utile à nombre de nos concitoyens pour leur éviter de comprendre ce qui pourtant crève les yeux. Savoir : que c’est du malheur ou de la souffrance des uns que se fait le plus souvent le bien-être ou la fortune des autres.



Au tout début de son vigoureux pamphlet, Mark Twain a soin de rappeler que cette hallucinante entreprise de désappropriation par Léopold des richesses de cette partie de l’Afrique équatoriale, vaste comme près de cent fois le territoire de la seule Belgique, s’est opérée sous le couvert d’une mission hautement civilisatrice, sensée permettre aux pauvres africains d’accéder à une qualité de vie meilleure. « Éradication de l’esclavage, des razzias, interdiction du trafic de whisky et du trafic d’armes, créations de cours de justice, droits de commerce libres et sans entraves pour les marchands et négociants de toutes les nations et porte ouverte avec bienveillance à tous les missionnaires toutes fois confondues de toutes les dénominations ».  Et ce n’est que grâce à l’action obstinée de certains de ces missionnaires, puis d’une petite poignée de journalistes et d’écrivains que la sordide réalité dissimulée sous les voiles trompeurs des discours officiels, appuyés comme toujours par un service de communication efficace et une presse n’y regardant pas de trop près, finit par se faire jour. Et que les photos des piles de mains coupées, finirent « avec leur atroce effet de réel » par imposer aux yeux de tous le vrai visage de cette criminelle et honteuse opération.



On sait malheureusement que les souffrances de ces populations africaines ne disparurent pas avec le roi Léopold. Et que le Congo devenu Zaïre tomba sous la coupe d’autres personnages qui, sous promesse d’ordre ou de liberté, n’hésitèrent pas à mettre leur pays en coupe réglée. On sait par exemple que les avoirs personnels à l’étranger du  Président Mobutu étaient estimés au milieu des années 90 à quelques 7 milliards de dollars soit plus de 70% de la dette extérieure du pays qu’il dirigeait. Le cynisme le plus total étant sans doute atteint avec ce Joseph Kabila qui s’accroche encore aujourd’hui au pouvoir et qui, en février 2004, au cours d’un voyage officiel en Belgique, n’hésita pas devant un parterre d’investisseurs européens, à déclarer : «L'histoire de la République démocratique du Congo, c'est aussi celle des Belges, missionnaires, fonctionnaires et entrepreneurs qui crurent au rêve du Roi Léopold II de bâtir, au centre de l'Afrique, un État. Nous voulons rendre hommage à la mémoire de tous ces pionniers



Mark Twain aurait-il donc raison là encore quand il fait dire par Léopold à la fin de son ouvrage, que la race humaine est « une race des plus curieuses ». Elle trouve effectivement à redire à tous ses gouvernants et « oublie qu’aucun d’entre eux n’existerait ne fut-ce qu’une heure sans son assentiment […] Elle pleurniche, elle s’agite, elle ronchonne ». Mais ce n’est pas un problème. Cela ne les dérange en rien !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire