mercredi 20 novembre 2024

PLAISIRS DE FERRARE.



"Il n'y a de conscience que dans les rues". Je ne sais trop ce qu'entendait exactement par-là Albert Camus qui sans doute voulait dénoncer le fait que l'homme moderne s'était coupé de la nature. Toujours est-il que marchant dans les rues de Ferrare cette phrase résonne  pour moi de façon singulière. Peu, j'imagine, savent en effet que c'est à Ferrare, sous l'impulsion de la famille d'Este, que furent réalisés pour la première fois et sur une grande échelle, les principes d'urbanisme de la Renaissance conduisant à prendre en compte la "perspective urbaine" imposant à toute nouvelle implantation architecturale de s'intégrer au plan d'ensemble de la cité sans plus désormais ne se préoccuper que de ses propres dimensions formelles.  C'est ce qui rend aujourd'hui la promenade dans ses rues si fascinante. On s'y trouve à chaque instant confronté à des perspectives qui n'ont en fait qu'assez peu changé depuis plus de cinq siècles. Et à l'intérieur desquelles la plupart des éléments y compris "naturels" se trouvent en harmonie.

 

Cela dit, à côté de sa voisine Mantoue, Ferrare qui peut s'enorgueillir d'avoir accueilli aussi bien de grands scientifiques comme Copernic que de grands écrivains comme L'Arioste ou le Tasse, sans compter les peintres les plus éminents comme Mantegna, Piero della Francesca, Jacopo Bellini ou Rogier van der Weyden, n'aura conservé dans ses musées comme dans ses églises qu'un nombre relativement modeste des chefs-d'œuvre auxquels elle a donné naissance. La visite du Château Ducal est sur ce point - celui de l'histoire de la Peinture -  assez décevante. A mille lieux du Palais de Te et du palais ducal des Gonzague qui sont un pur éblouissement.

mardi 15 octobre 2024

BONNES FEUILLES. DEUX EXTRAITS DU SOC DE YANNICK FASSIER AUX ÉDITIONS TARMAC.


 

J’avais prévu après avoir rendu comme j’ai pu compte de l’intéressant ouvrage de Yannick Fassier, Le Soc, d’en reprendre ici quelques extraits consistants permettant non seulement de se faire une idée de l’écriture assez singulière de ce livre mais de nourrir un peu plus encore les pistes de réflexion finalement assez nombreuses que ce blog a entrepris de suivre. Les images que je viens de poster de quelques toiles du peintre suédois Liljefors m’ont amené à choisir ces quelques pages que je trouve personnellement lumineuses à propos de l’opposition entre le végétal et l’animal. Des propos qui ne sont pas chez moi sans entrer en résonance avec de nombreux autres textes comme la célèbre huitième élégie de Duino de Rilke, tel passage d’Italo Calvino sur l’herbe[1] ou encore d’Augustin Berque[2]voire bien sûr des ouvrages comme celui de Baptiste Morizot Manières d’être vivant…

J’ai adjoint à ce long extrait un plus court passage sur la façon dont à travers la mémoire, la lecture, l’écriture, la culture donc, les morts se conjuguent pour toujours aux vivants. À l’infini.

 

Nature morte — Le groupe ne rend pas l'animal plus fort, il retarde seulement sa mort. II facilite la résistance de son individualité. Le groupe se sert du nombre. Il y a une différence de nature entre la vie en réseaux du végétal et la vie individuelle de l'animal, au sens d'individu, qui vit en collectif. Lorsque je regarde une prairie, je ne vois pas un troupeau. Je vois une vie qui a la possibilité de se revivifier, de se régénérer au fil des saisons. La prairie ne vieillit pas, alors que le troupeau vit sans cesse sous la menace de son extermination.

RECOMMANDATION. L’EXPOSITION LILJEFORS AU PETIT PALAIS.



Pour en donner une petite idée, quelques oiseaux peints par le peintre suédois Bruno Liljefors dont les œuvres sont actuellement visibles au Petit Palais à Paris, un musée qui s’attache à faire découvrir aux publics des artistes inconnus, principalement, au cours de ces dernières années, d’origine scandinave.

C’est l’intérêt de ces expositions que d’élargir le regard que nous avons sur l’histoire en général de l’art et de faire apparaître toute la diversité des choix artistiques, voire philosophiques qui cohabitent au cours d’une même époque. J’imagine qu’un art comme celui que pratique de manière accomplie un artiste comme Liljefors parlera aujourd’hui à tous ceux que préoccupe la question du vivant. C’est-à-dire aussi du sauvage et de l’animalité. Dans un monde où tous les éléments oeuvrent à l’expression même parfois cruelle, de la vie.

lundi 14 octobre 2024

« POÈMES CLINIQUES ». MARELLE DE JULIA PEKER À L’ATELIER CONTEMPORAIN.

C’est un ouvrage au premier abord bien intéressant que celui que l’Atelier Contemporain nous offre aujourd’hui à lire sous le titre Marelle. On sait que la marelle, jeu très ancien d’enfant, est un jeu d’équilibre, jeu hautement symbolique aussi puisque partant d’une case au sol appelée Terre il n'y est question de rien moins que d’accéder finalement à cette autre case au bout qui figure le Ciel.

Julia Peker, l’auteur, est agrégée de philosophie et psychologue clinicienne. Elle exerce dans un Centre Médico-Psychologique où elle reçoit des enfants et des adolescents. Elle nous explique dans la postface de son livre que les poèmes qui y sont rassemblés sont des « poèmes cliniques » et que chacun d’entre eux « reprend une consultation menée avec un enfant ».

On pourrait juger sévèrement l’attitude qui consisterait à s’emparer de la matière fournie par le mal-être d’un autre pour produire un semblant d’œuvre chargé d’exhiber sa propre sensibilité. Ce n’est heureusement pas la démarche de Julia Peker qui aura bien compris le parti qu’elle pouvait tirer de l’écriture poétique. Non comme moyen personnel d’expression. Mais comme puissance ouverte d’exploration rendant possibles des formes de communication échappant à toute espèce d’enfermement. Car le poème ici est le support avec l’enfant d’un dialogue. D’une reprise qui vient inverser comme elle dit « la situation clinique, puisque là c’est moi qui m’adresse à lui et à un lecteur, à un autre ».

dimanche 13 octobre 2024

TRADUIRE VIRGILE. INTÉRESSER L’OREILLE AU MOINS AUTANT QUE L’ESPRIT


 

On trouvera en cherchant un peu sur le net le texte intégral de ces Variations de Paul Valéry que les éditions Gallimard présentent comme le « testament poétique » du poète. En voici le tout début de façon à possiblement attiser la curiosité du lecteur. Et raviver en lui le souvenir enfoui de l’imparfait du subjonctif.

 

VARIATIONS SUR LES BUCOLIQUES

 

Il m’a été demandé par un de mes amis, au nom de quelques personnes qui veulent en faire un beau livre, de traduire les Bucoliques à ma façon ; mais, soucieuses d’une symétrie qui rendît sensible au regard leur dessein de composer des pages d’une noble et solide ordonnance, elles ont pensé qu’il convenait que le latin et le français se correspondissent ligne pour ligne, et elles m’ont proposé le problème de cette égalité d’apparence et de nombre.

vendredi 11 octobre 2024

CURIOSITÉ. LA POÉSIE DES FRUITS DANS LA CULTURE ITALIENNE DES DÉBUTS DE LA RENAISSANCE.

Composition réalisée par GG à partir de diverses toiles de Bartolomeo Bimbi

 

Cherchant à en apprendre un peu plus à propos de ce Bartolomeo Bimbi (1648-1729) qui m’aura conduit à l’écriture de mon précédent billet, je tombe sur l’intéressante publication de l’historien Allen Grieco, Directeur de recherche émérite à la Villa I Tatti, centre d’études de la Renaissance italienne de l’Université d’Harvard à Florence.

En voici un extrait, en relation donc avec cette caractéristique très particulière de B. Bimbi de peindre sur ses toiles le plus grand nombre de variétés de fruits, citrons, pommes ou figues, en indiquant avec précision la façon dont elles sont nommées.

 

Les poètes italiens de la fin du XIVe et du XVe siècles s'intéressaient d'une façon particulière aux fruits. Le nombre de poésies, de sonnets, et de tensons qu'ils leur ont dédiés montre bien l'importance attribuée à une denrée alimentaire qui était avant tout un signe de richesse et de puissance.

jeudi 10 octobre 2024

SUR QUOI PORTER NOTRE ATTENTION. À PROPOS DU TRAVAIL D’UN PEINTRE MÉCONNU, BARTOLOMEO BIMBI.

 

À une grosse vingtaine de kilomètres au Nord-Ouest de Florence, dans la province de Prato, se visite aujourd’hui la superbe villa médicéenne de Poggio a Caiano. On est confronté à tant de beautés et de curiosités historiques dans Florence qu’on ne trouve malheureusement pas toujours le temps ou le courage de sortir de la ville pour se rendre en ce lieu.

La villa des Médicis à Poggio a Caiano n’est pas seulement l’endroit où j’aurai pu admirer l’extraordinaire lunette peinte par Pontormo dont j’ai fait ma carte de vœux de l’année qui se termine, elle présente également au second et dernier étage un ensemble de salles dévolues à la nature morte, expression qui toujours me hérisse tant elle présume que rien au monde ne serait réellement vivant en dehors de nous.

vendredi 4 octobre 2024

QUELQUES IMAGES POUR ACCOMPAGNER L’ARTICLE PRÉCÉDENT.


 

DEUX PEINTRES. SUR UNE PAGE D’UN LIVRE DE MARIE-HÉLÈNE PROUTEAU, ÉVOQUANT UNE GOUACHE PEU CONNUE DE GAUGUIN.

 


C’est la troisième des 26 courtes proses par lesquelles Marie-Hélène Prouteau dresse pour nous le tableau du « paysage premier » que fut pour elle la petite plage isolée du Finistère où elle eut la chance enfant d’habiter avec ses parents une maison de vacances[1]. C’est la toute première consacrée à l’évocation d’œuvres artistiques ou littéraires qui à côté d’observations ou de souvenirs plus directs ont contribué à rendre ces derniers plus saillants. D’une portée aussi plus générale et plus vive.

« Les Pêcheuses de goémon » de Gauguin sont en fait une gouache au format presque carré d’environ trente sur trente, réalisée au Pouldu en novembre ou décembre 1889. Cette œuvre qui fut au départ simplement accrochée au mur d’une pauvre « buvette », se trouve actuellement entre les mains d’un collectionneur privé et figure au catalogue de diverses expositions qui se seront déroulées tant à Tokyo, Washington, Graz que Paris[2]. Par chance, on peut la voir aussi sur le net, dans une excellente définition, grâce à l’irremplaçable Wikipedia.