mardi 30 septembre 2025

SORTIE DE MATIÈRE DE DOMINIQUE QUÉLEN CHEZ FLAMMARION. SINGULIER FAÇONNAGE.

 

À paraître ce mercredi chez Flammarion : MATIÈRE de Dominique Quélen. Dans l’immédiat, disons qu’on y retrouvera, bien ou mal entendu, du Quélen et du Quélen pur jus. S’astreignant ironiquement aux choses difficiles comme peler la surface de l’eau. Plonger tête première pour s’enfoncer sous la terre. Se confronter à l’absence. Celle dans la vie, par exemple, du frère. Celle dans les mots, de ce réel, bancalement, qui fuit. Travaillant, non à combler, mais  façonner ces manques – dans matière il y a métier – par l’assemblage, en quelque deux cents petits tombeaux déguisés de prose, d’un objet, d’une machine qui pourrait n’avoir d’autre sens que d’avoir été à sa façon mont(r)ée, n’était que dans sa forme, ses substances, cela quand même, de l’intérieur, bizarrement, vit.

mercredi 24 septembre 2025

SUR JAN BRUEGHEL L’ANCIEN. LE MONDE EST NOTRE LIEU.


 Je ne sais si Jan Brueghel l’Ancien dont j’ai pu voir ou revoir certaines œuvres il y a quelques semaines au musée des Flandres de Cassel où était évoquée sa collaboration avec l’anversois Van Balen, frottait bien d’un jus d’ail ses cuivres pour en accroître l’adhérence, ni si c’est à ce support singulier, plus lisse que le bois ou la toile et surtout moins absorbant, que sa touche doit de nous paraître plus lumineuse et subtile, le fait est que ses paysages ont quelque chose d’alléchant, sapide, frémissant, offrent des profondeurs qu’on a comme envie de traverser, des espaces qu’on s’imagine à son tour pouvoir pénétrer sans s’y perdre. Que ses compositions soient animées de dizaines voire de centaines, de tout un flot, d’humains qui s’agitent, ou ne présentent au contraire que quelques figures réduites d’ermites ou de chasseurs,  Jan Brueghel l’Ancien nous montre un paysage plein, c’est-à-dire, saisi, dans toute l’intensité d’une forme pensée non plus comme décor, secondaire ornement, mais  présence essentielle. Puissamment sublimée. Qu’on rêve à son tour d’habiter.

jeudi 18 septembre 2025

AVEC PÉTRARQUE. APPRENDRE À VIVRE PLUS LARGEMENT SA VIE. SUR LE LIVRE DE JEAN-PIERRE SUAUDEAU CHEZ JOCA SERIA, COURIR À CE QUI ME BRÛLE.

 

L’histoire, les belles histoires nécessitent parfois quelques arrangements avec la réalité. Le mensonge, l’invention sont les nerfs de la littérature.

Jean-Pierre Suaudeau

Certes, on en apprendra sans doute plus sur Pétrarque à travers le long article même brouillon que lui accorde l’édition française de Wikipedia, qu’à travers ce beau livre de Jean-Pierre Suaudeau, Courir à ce qui me brûle, que ce dernier consacre principalement à l’évocation des divers séjours que fit l’auteur du Canzoniere à Fontaine de Vaucluse, sur les bords de la Sorgue, où peut se visiter aujourd’hui, sur l’emplacement de ce qui fut autrefois sa maison, le petit musée qui en perpétue la mémoire.

C’est que le livre de Jean-Pierre Suaudeau n’est pas exactement ce qu’on peut appeler une biographie. Du moins une de ces biographies d’artiste, qui reposant sur une écrasante documentation, une connaissance impressionnante de leur sujet, s’efforcent par leur agencement de restaurer au jour le jour dans ses moindres détails, la continuité supposée d’une vie singulière. Ce livre est une fiction. Une de ces fictions biographiques, dans lesquelles comme le remarque Dominique Viart à qui l’on doit cette expression, leur auteur se tourne moins vers la reconstitution factuelle de la vie d’une personne autre qu’il ne cherche à donner forme, figure, à la représentation subjective qu’il s’en fait. [1]

mercredi 10 septembre 2025

RECOMMANDATION DECOUVREURS : ÉLÉGIES MINEURES DE CHRISTOPHE MANON AUX ÉDITIONS NOUS.


 

Et alors où serons-nous ? que deviendrons-nous ? dans quelles ténèbres serons-nous cachés ? dans quel gouffre serons-nous perdus ? Il n'y aura plus sur la terre aucun vestige de ce que nous sommes. «La chair changera de nature, le corps prendra un autre nom ; même celui de cadavre, dit Tertullien, ne lui demeurera pas longtemps ; il deviendra un je ne sais quoi, qui n'a point de nom dans aucune langue »

Bossuet

 

Je pense être maintenant suffisamment familier de l’œuvre de Christophe Manon pour me dire qu’il ne restera pas insensible à cette envie qui m’aura pris de placer la courte note qui suit sous, non point l’égide, le parrainage, mais la dure, réaliste et puissante perspective dressée par Bossuet dans l’oraison funèbre composée par lui à l’intention d’un certain Père Bourgoing,  supérieur général des Oratoriens.

Sic transit gloria mundi !

jeudi 4 septembre 2025

CAMPAGNES ANCIENNES. POÈMES.

J’aime qu’un texte ne s’envisage pas comme une structure close. Si le poème est bien pour moi à chaque fois comme un paysage nouveau de langue, j’aime l’idée que son lecteur le reconstitue à sa façon et selon ses propres harmoniques. Lecteur de mes propres textes, je les lis rarement deux fois de la même manière. Me laissant différemment porter, selon le degré d’intelligibilité que, dans l’instant, je m’en forme, par les diverses suggestions, sémantiques autant que musicales qu’il porte. Car un texte n’est pas une forme à jamais figée. Une sorte de papillon épinglé sur sa plaque de liège. Tout en puissances et surgissements, il vit et se revit. Se réincarnant sans cesse. Au cœur de cette inépuisable métamorphose et relance du vivant et de l’intelligence liée qu’exalte si bien, Montaigne parlant du monde comme d’« une école d’inquisition ». Et de notre quête de connaissance comme d’une agitation, une chasse. Sachant qu’il y est sans doute excusable comme il dit de manquer à la prise. Moins, de s’abstenir d’y entreprendre les courses les plus belles.


 

CULTIVER SON IGNORANCE ! À PROPOS DE L’EXPOSITION MONDES ARCTIQUES, DE L’ALASKA AU NUNAVUT, AU CHÂTEAU-MUSÉE DE BOULOGNE-SUR-MER.


 

« Depuis la péninsule du Labrador jusqu’à l’Alaska, la grande forêt boréale étale un manteau continu de conifères où prédomine la silhouette typique de l’épinette noire, à peine interrompu de loin en loin par quelques bosquets d’aulnes, de saules, de bouleaux à papier ou de peupliers baumiers. Les animaux sont à peine plus variés : élans et caribous pour les herbivores, castors, lièvres, porcs-épics et rats musqués pour les rongeurs, loups, ours bruns, lynx et carcajous pour les carnivores forment le gros contingent des mammifères ; à quoi s’ajoutent une vingtaine d’espèces communes d’oiseaux et une dizaine de poissons, ces derniers faisant bien pâle figure auprès des trois mille espèces qu’abritent les fleuves d’Amazonie. […] Les caractéristiques de la forêt boréale sont exactement inverses de celles de la forêt amazonienne : peu d’espèces coexistent dans cet écosystème « spécialisé », représentées chacune par un grand nombre d’individus. Et pourtant, en dépit de l’homogénéité ostensible de leur milieu écologique — en dépit aussi de leur impuissance face aux famines qu’engendrait régulièrement un climat d’une extrême rigueur —, les peuples subarctiques ne paraissent pas considérer leur environnement comme un domaine de réalité nettement démarqué des principes et des valeurs régissant la vie sociale. Dans le Grand Nord comme en Amérique du Sud, la nature ne s’oppose pas à la culture, mais elle la prolonge et l’enrichit dans un cosmos où tout s’ordonne aux mesures de l’humanité »[1].

Oui. De plus en plus je me demande si je ne vais pas au Musée pour approfondir toujours davantage ce large puits d’ignorance que les discours contraires du temps voudraient me donner l’illusion par là de combler. Ainsi, avant de mettre le pied dans les salles d’exposition consacrées aux Mondes arctiques, de l’Alaska au Nunavut, que le magnifique Château-Musée de Boulogne-sur-Mer, nous propose désormais de découvrir, avais-je vraiment conscience de ne rien savoir de ces terres lointaines, de tous ces peuples dits premiers qui les habitèrent et continuent vaille que vaille d’y survivre.

mardi 22 juillet 2025

RETROUVER ISSOIRE ET SA CURIOSITÉ VRAIE

Une église est une église est une église. Vraiment ? Redécouvrant, comme à chacune de mes visites, l’abbatiale de Saint Austremoine (le moine venu du Sud) qui se présente comme une des plus belles réussites de l’art roman d’Auvergne inspirée, on le sait, de Notre-Dame-du-Port de Clermont-Ferrand, j’ai bien vérifié qu’elle possédait effectivement, comme toutes les autres, porche, chapelles, clocher, vitraux et chapiteaux de pierre. Église donc. Circulons. Rien de plus n’est à voir.

Personnellement, j’envie quand même un peu ces pointilleux monographes, capables sur des dizaines et des dizaines de pages[1] de m’expliquer à grand renfort de termes spécialisés, ce qui fait de chacun des édifices qui se proposent un peu partout dans le monde à mes touristiques admirations un organisme architectural et sculptural à part, un individu dans son genre. Ce que le plus souvent notre défaut de culture, le peu d’ardeur réelle de nos curiosités vite épuisées par les plus grossiers commentaires, nous privent de savoir reconnaître.  

S’arrêter à Issoire ce n’est donc pas seulement profiter d’un excellent repas à la terrasse estivale du P’tit roseau et y jouir encore d’un bon moment de détente avant d’affronter quelques centaines de kilomètres plus loin l’assommante traversée de la Beauce, c’est se régaler d’abord de la chaude couleur de cette pierre d’arkose dont à la différence de la plupart des monuments auvergnats tout entiers de roche basaltique, les moines bénédictins ont construit là leur église. C’est reconnaître l’ajout aux douze signes du zodiaque qui ceinturent son chevet, d’un treizième, représentant un griffon dévorant ce qui semble être un mouton. Occasion de découvrir grâce aux archives du journal La Montagne qu’il s’agirait peut-être – j’en doute - d’une allusion de l’époque au célèbre Roman d’Alexandre dont des figurations datant du même XIIème existent à Moissac, Toulouse, Thouars et paraît-il encore dans bien d’autres églises en Suisse comme en Italie.

mercredi 11 juin 2025

TROIS RECOMMANDATIONS. POUR NOUS AIDER à EXISTER.

 

Tant de choses en nous qui, venues de l’infinité de mondes parmi lesquels nous nous mouvons, nous travaillent, façonnent, polissent. Perméables nous sommes. Qui ne finissons jamais d’accueillir, composer, recomposer, avec nos formes propres, ce plein partout de tout ce qui existe et bien entendu nous déborde. Nous déborde. Comme cette pile d’ouvrages dont je vois bien aujourd’hui que je n’aurai pas le temps de les lire. Encore moins celui d’en dire quelque chose. Vivre en fait ici c’est choisir.

Pour ne pas renoncer.

Les trois livres que je m’apprête donc ici à rapidement présenter, sont des livres que j’ai choisis. Pour la façon propre et remarquablement singulière dont leur auteur témoigne de ce lien profond entre sensibilité puissante et attention aux choses par quoi ne peut que s’élargir, s’approfondir, l’inépuisable conversation que nous entretenons avec les choses. Je ne suis pas de ceux qui pensent que ce qui finalement compte dans le poème est sa façon de fabriquer le sens[1]. M’importent avant tout les clartés, mêlées bien sûr de ténèbres, qu’il projette dans la forêt d’images qui composent nos mondes.