mardi 20 mai 2025

JEAN-BAPTISTE PERRONNEAU. PEINDRE DES GENS QUI NE SONT RIEN !

 

Le Musée des Beaux Arts d’Orléans possède d’intéressants portraits de ce Jean-Baptiste Perronneau dont les critiques de l'époque, entraînés sans doute par la plus grande célébrité de Quentin de La Tour, eurent tendance à rabaisser le talent. C’est vrai qu’au moment où la bourgeoisie française commence à vouloir faire étalage de ses réussites, il n’hésitait pas à représenter des personnes de moins grande qualité que son rival. Il est intéressant de noter à ce propos, les réactions des milieux prétendûment éclairés du temps qui se désolaient de cette profusion de portraits consentis à des gens jugés sans importance. On ne disait pas à l’époque « qui ne sont rien ». Quel serait aujourd’hui leur effroi découvrant la course frénétique à l’image qui s’est emparée de chacun !

 

À titre de curiosité j’ai pensé que les lecteurs de ce blog auraient plaisir à découvrir, dans le texte, les considérations que, grâce à Gallica, j’ai pu retrouvées sur ce phénomène de démocratisation de l’art du portrait dont J.B. Perronneau fut dans la seconde moitié du XVIIIème siècle l’un des artisans.

  

Sur les Peintures, Sculptures, Gravures de Messieurs de L’Académie Royale, exposées au Sallon du Louvre le 25 Août 1769.

 

Paris le 20 Septembre 1769.

 

La multitude de portraits, monsieur, qui se présentent de toutes parts à mes yeux, m'oblige malgré moi d'en parler à présent, & de traiter cette matiere aride & monotone que j'avois réservée pour la fin. En vain le public se plaint depuis longtems de cette foule obscure de bourgeois qu'on lui fait passer sans cesse en revue. La facilité du genre, l'utilité qu'il procure & la vanité de tous ces petits personages encouragent nos artistes naissans, gâtent même ceux que des talens plus distingués pourroient couvrir d'une gloire durable & font du bel art de la peinture une espèce de métier qui rapproche souvent le peintre de génie & le peintre médiocre. Graces au malheureux goût du siecle, le sallon ne sera plus insensiblement qu'une galerie de portraits. Ils occupent près d'un grand tiers de celui-ci !

 

Encore si l'on ne nous offroit que des hommes importans par leur état ou par leur célébrité, ou de jolies femmes , du moins, ou de ces têtes remarquables par de grands caractères, & qu'on appelle têtes à médailles, en termes de l'art. Mais que nous importe de connoître madame Guesnon de Ponneuil, madame Journu la mère, M. Dacy, M. le Normand du Coudray, Mlle. Gougy, M. Couturier ancien notaire, madame Couturier, M. l'abbé Jourdans, &c. ? Les noms ne flattent pas plus les oreilles que les figures ne plaisent aux yeux.

 

Permettez - moi, monsieur, ce moment d'humeur par l'indignation générale de voir vingt têtes plattes & ignobles occuper de places réservées à ces têtes précieuses, l'amour , les délices ou l'admiration de la France.

[…]

 

On ne vante pas moins, par exemple, dans les têtes de M. de la Tour, le Roi du pastel, la beauté, le précieux fini de son faire, le grenu moelleux de ses chairs, qui en découvrant les pores presqu'imperceptibles de la peau, ne lui ôte rien de son uni, de son velouté. Ce genre de perfection le distingue infiniment du pastel crû, dur, rembruni de M. Perronneau, dont les portraits à l'huile ont aussi un caractère de rudesse qui doit l'exclure à iamais de peindre les Graces, mais le rend très propre à tracer les rides de la vieillesse, Ja peau tannée d'une paysanne, ou la morgue d'un Turcaret.

 

Louis Petit de Bachaumont (1690-1771),  Lettres sur les peintures, sculptures et gravures de Mrs. de l'Académie royale, exposés au sallon du Louvre depuis MDCCLXVII jusqu'en MDCCLXXIX


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