mardi 13 février 2024

RÉCÉPISSÉ DÉCOUVREURS POUR ET DES DIZAINES D’ÉTÉS DORÉS DE JÉRÔME LEROY À LA TABLE RONDE.

 

Difficile de choisir dans ce dernier recueil de Jérôme Leroy le poème qui en donnera la note la plus juste ou incitera le lecteur de ce récépissé à se plonger – la métaphore ici fait sens tant la mer, les mers tiennent de place dans l’imaginaire de l’auteur – dans la lecture du livre.

Après Nager vers la Norvège que nous avons tant aimé avoir sélectionné pour notre Prix des Découvreurs d’avant juste le Covid, les poèmes qu’on pourrait dire acidulés et qui malgré la distance humoristique ou spirituelle que leur auteur tient le plus souvent à y maintenir, s’accompagnent toujours ne serait-ce qu’en sourdine d’un certain pincement au cœur. C’est que les textes de Jérôme Leroy semblent être constamment écrits « pas trop loin de la mort » voire même d’une disparition définitive de l’homme ce qui rend à chacun des menus plaisirs comme des grands bonheurs évoqués, le plus souvent d’ailleurs au passé, son caractère inestimable.

De cette sensibilité particulièrement aiguisée au temps, qui selon lui va très vite (p. 136), découle sans doute l’attrait chez Jérôme Leroy pour tout ce qui peut donner l’impression d’avoir su en arrêter la marche. Ainsi son goût pour les photographies anciennes, les polaroïds, les échoppes des bouquinistes, mais aussi les longs dimanches solitaires dans les petites sous-préfectures ou les terrasses, les jardins  dans lesquels s’allonger sur une chaise longue avec un thé et des livres anciens. Sans compter sur le plan formel le goût peut-être un peu facile du vers qui se répète, comme sur le plan de l’existence celui de remettre ses pas dans les lieux qu’on a déjà occupés.

Ainsi, pétris de nostalgie pour ces années d’enfance et de jeunesse abandonnées aux divers plaisirs qu’offre à ces âges l’existence, les poèmes de Jérôme Leroy nous font entendre la chanson désormais douce-amère d’une sensibilité amoureuse avant tout des plaisirs de la vie que pénètre « la certitude secrète enfouie que ce monde va mourir que nous sommes en sursis »(p. 162). Tout en se refusant de mettre pour l’instant le point final à rien qui ne puisse revenir ne serait-ce qu’en rêve ou dans le corps hospitalier, partageable et toujours rebondissant des mots.

samedi 10 février 2024

IMAGES QUI NE ME LAISSENT PAS DORMIR : AUTOUR DU DAVID TENANT LA TÊTE DE GOLIATH PEINT PAR LE CARAVAGE, GALERIE BORGHESE À ROME.


 

Comme un autoportrait. L’un des tout derniers Caravage dont on pense qu’il aura pu être terminé à Naples peu avant sa mort sous le soleil assassin de Porto Ercole le 18 juillet 1610. Ce David nous tendant à bout de bras la tête ensanglantée de Goliath[1] aura fait du chemin depuis la fin des années 1590 où Michelangelo se sera mis sans doute à le représenter, pour la première fois. Il y a loin en effet entre la version peut-être d’ailleurs usurpée de Vienne[2] à celle de la Villa Borghese dans laquelle la plus profonde compassion s’exprime à travers l’attitude de celui dont le visage maintenant se penche tout entier vers le pathétique et sanglant trophée qu’il lui incombe d’exposer à notre regard fasciné. Nul sentiment de victoire dans cet ultime tableau où tout, jusqu’à l’épée sur la lame de laquelle le peintre aura inscrit les initiales de son nom[3], le visage cette fois incliné de David et surtout l’air de tristesse avec lequel il contemple cette tête que fidèle à ses habitudes Le Caravage a peint les yeux grands ouverts sur la nuit qui l’attend, tout prend ici la dimension d’un drame à la fois intime et funèbre. Rien d’un triomphe, d’une célébration. Plus rien non plus de la dimension christique que dans le premier David venait souligner la position de l’épée formant croix avec le corps du jeune fils de Jessé. C’est la mort simple et nue du peintre dont on reconnaît le visage marqué qui nous est ici exposée.

vendredi 9 février 2024

AUTREMENT


 Les fleurs tombent
Il ferme la grande porte du temple
Et s’en va

BASHÔ

sans que personne l’entende

 

feuilles
diminuées de ce matin mouillé
dans le jardin de la sous-préfecture
                      un oignon
rouge dans la main Il passe

 
amateur des jardins Il ignore tout du Père
Camelli / de l’émotion qui le saisit
à la vue de la fleur du camélia quand celle-ci
avait encore un autre nom c’était quelque part
dans l’orient extrême sur la route du thé
ce jour-là sans doute qu’il en remercia
– à une majuscule près ce n’était pas si bête –
simplement le Ciel
 

mais parce que cela fait longtemps
qu’il n’a plus écrit de Poème il est content
de ce début d’averse qui recolore
autour de lui les choses simples
 
                      autrement


Georges Guillain
Parmi tout ce qui renverse

RÉCÉPISSÉ DÉCOUVREURS POUR LE CULTE DE L'IMPERSONNALITÉ D’AURÉLIE FOGLIA AUX ÉDITIONS DE LA RUMEUR LIBRE.

 

 

Quatrième de couverture
« Il n’y aura que les gens d’une mauvaise foi absolue qui ne comprendront pas l’impersonnalité volontaire de mes poésies » déclare Baudelaire. Cette impersonnalité qu’il revendique d’une voix spectrale, il en fait à la fois une machine de guerre contre le lyrisme romantique dit personnel, et une méthode tuante pour changer la poésie. Et cela, au prix de bien des malentendus avec l’« hypocrite lecteur », qui croit encore que le poète, c’est l’homme, et qu’on peut lire en lui à cœur ouvert. Ces préjugés du poème, Baudelaire s’emploie à les liquider dans l’encre noire de la mélancolie, quand le sujet lyrique en deuil de lui-même va se perdre dans « tout un monde lointain, absent, presque défunt », pour en extraire la modernité. 


Extrait :

Quand la vocation du sujet consiste à s’effacer, il libère la place de l’autre et se tient intensément disponible à lui, engageant «une éthique de l’altérité». Si l’impersonnalité fait la proposition d’un je sans le moi, l’émondant de ses adhérences autobiographiques, elle est aussi le ressort d’un «moi insatiable de non-moi » : altéré d’autrui. Cette soif le pousse à sortir de lui-même, soit dans la fusion avec les foules, soit dans l’extériorisation vague de la rêverie ou l’usage des stupéfiants. La démarche d’écrire, si elle y puise, dépasse le repli sur un vécu et ses particularités. [...] Le geste d’écrire qui évide et traverse le sujet devient le vecteur non pas d’une vie, mais de la vie.

p. 17-18


mardi 6 février 2024

ANTHOLOGIE DÉCOUVREURS. UN POÈME DU POÈTE POLONAIS TOMASZ BĄK EXTRAIT DE CANADA.


 Oran-yeah !

Cette fois-ci encore il ne s’agit pas de drogues.
Le foot se hase sur des émotions. des supporters,
de l’argent, un shampoing anti-pelliculaire.

Dans la bouche d’un commentateur britannique le mot Dutch
sonne comme bitch quand Arjen Robben dribble
chaque descendant illettré de Shakespeare

et marque un but. précis comme la division du travail
dans le commerce autour du stade : les Jaunes produisent, les Noirs vendent,
les Blancs en tirent profit. Et chacun est satisfait, le monde tourne ainsi,

car les fans ignorent que la vie ressemble parfois
à une situatlon conflictuelle sur le terrain. Qu’on répète en boucle
la vérité objective, elle est accessible à tous

sauf aux intéressés. De plus il y a but
et si les Néerlandais avaient des ressources naturelles,
après une telle action leur production flamberait d’une dizaine de points.

Le sifflet final ouvre les dionysies. Ça remue :
les perdants rentrent en économique, l’orange se déverse dans les rues
du Cap et Jimi Hendrix adapte prestement Guillaume de Nassau.

Avant de rendre l’antenne je crois que si Dieu existait
et voulait me faire du bien, pour la grande finale
on serait tous assis dans le même virage.

Canada,  p. 53,
traduit du polonais par Michal Grabowski en collaboration avec Clément Llobet
éditions LansKine, 2023 ( 2010 pour l’édition originale)

lundi 5 février 2024

ANTHOLOGIE DÉCOUVREURS. UN POÈME D'EMMANUEL MOSES EXTRAIT DE SES POEMES FANTÔMES.


 

La langue qui t'accompagne depuis toujours

Le toujours d'une vie, de chaque vie -

A grandi en toi comme une forêt

Et elle te permet de dire la joie et la tristesse

La lune pâle et le fleuve presque noir de ta ville

Quand tu le longes, la nuit, plein d'amour

Elle te permet d'appeler tes morts

Comme Adam appela, quand il les eut nommés, les animaux

Et de les faire venir à toi, dociles,

Du pays dont on dit, pourtant,

Qu'on ne revient pas

Elle te permet de rebâtir ton passé

De même qu'on reconstruit une ville après une guerre ou un séisme

Souvenir par souvenir

Même si parfois certains s'écroulent à nouveau et qu'il faut recommencer

La langue qui t'accompagne éclaire tes pensées et tes sentiments

Car elle est aussi cela :

Un soleil qui illumine les nuages d'où il émerge

Qui illumine la terre sous lui avec ses plaines et ses collines

La langue venue du rire et du lait maternels

De la chaleur des jours anciens.

Poèmes fantômes, p. 69

éditions LansKine, 2023

poème attribué fictivement par l'auteur à Damir Morpurgo (1905-

1961) poète slovène de langue allemande.


vendredi 2 février 2024

POUR UN VÉRITABLE ÉCLECTISME : À PROPOS DES POÈMES FANTÔMES D’EMMANUEL MOSES ET DE CANADA DU POÈTE POLONAIS TOMASZ BĄK TOUS LES DEUX CHEZ LANSKINE.

Andrea Solari (1505) et Michelangelo Merisi (1598)

Poèmes fantômes,  tel est le titre donc du tout dernier livre d’Emmanuel Moses que publient cette fois les éditions LansKine dont on dirait bien que comme lui elles font flèche de tout bois. Fantômes les poèmes d’Emmanuel le sont d’abord en ce sens qu’ils se trouvent fictivement attribués à une réunion d’auteurs de diverses époques et nationalités allant d’un lettré chinois du VIIIème siècle à un « ivrogne à temps complet » tchèque né en 1984, en passant par un poète juif d’Espagne du XIème ou un slovène de langue allemande de la première grosse moitié du XXème. Toutefois ceux qui connaissent bien l’œuvre d’Emmanuel Moses retrouveront j’imagine sans difficulté derrière ces masques qui ne tromperont personne, la sensibilité d’un auteur qui aura fait de « la connaissance émotive de la vie », pour reprendre l’expression de Pessoa, son objectif premier.

vendredi 26 janvier 2024

RÉCÉPISSÉ DÉCOUVREURS POUR LES LABOURABLES DE LOU RAOUL CHEZ BRUNO GUATTARI EDITEUR.


Dans ce livre tout en attention et en sensibilité, ce qui n'exclut pas l'engagement et la colère, Lou Raoul explore ce que fut pour elle la période de confinement mise en place pendant la pandémie de Covid 19 en recourant à ce qu’elle appelle « un journal de terre »(devez arad en breton), ce qui correspond en agriculture à la surface que l’on peut labourer en une journée. Ces journées qu’elle note finalement en les rayant symboliquement, comme on le voit avec notre extrait, du calendrier. Merci à elle de m'avoir offert ce beau texte à lire.