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Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
Pluie, qui se présente ici au singulier, est le titre de la suite d’une soixantaine de quatrains rassemblés par Françoise Morvan dans le récent ouvrage publié par la bien singulière maison d’édition créée par elle et son compagnon André Markowicz, sous l’appellation de Mesures [1]. Une soixantaine, je devrais dire en fait très exactement 64, ces poèmes étant répartis en 4 sections de 16 quatrains, séparées par des photographies réalisées par l’auteur elle-même, chaque section évoquant quand on y regarde d’un peu près, une saison, l’ensemble nous emmenant de l’été au printemps.
Succession de minuscules tableaux donnant une idée de l’immensité du monde, ces 64 quatrains héritent selon leur auteur davantage de la tradition française, notamment de la poésie baroque, que du haïku, qu’elle considère n’être en français qu’une forme flasque [2]. J’avoue ne pas totalement saisir la pertinence du propos, observant cependant qu’en effet les poèmes de Françoise Morvan, qui se composent strictement de vers comptés[3], délaissent totalement l’impair s’organisant en ensemble mariant plus ou moins librement l’octosyllabe au décasyllabe, ce dernier à l’alexandrin. Ne recourant de plus au rejet que de manière exceptionnelle.
C’est au milieu des années 90, dans une librairie où il venait d’acheter devant moi, des livres de poésie, que j’ai fait la connaissance du peintre Rémi Darbre, cet artiste de caractère qui allait devenir mon ami. Accompagner ma réflexion sur l’art. Sur l’époque dans laquelle nous vivons. Les relations difficiles aussi qu’entre artistes, nous entretenons, dans un monde qui ne fait chaque jour que davantage nous fragiliser.
Dans son dernier ouvrage, à paraître bientôt au Seuil, Virginie Poitrasson explore les territoires multiples et mouvants de nos existences à travers les figures puissantes et redoutables de la peur. Une peur moins conçue comme cet état affectif plus ou moins durable que provoquent en nous certaines circonstances, que comme le milieu même, l’élément quasi premier, dans lesquels nous vivons.
Fidèle je crois aux principes de composition qui gouvernent ses livres, c’est à travers une écriture qu’on pourra qualifier de kaléidoscopique que Virginie Poitrasson entreprend de rendre compte de ce que dans son tout premier texte intitulé Visage elle présente comme une « histoire » relationnelle à caractère amoureux nous donnant à entendre que la relation qu’elle entretient avec la « terreur » est de l’ordre du face-à-face et qu’elle ne peut la raconter que parce qu’elle en est revenue sans en être pétrifiée.
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Avec la mort il y a quelques jours de la poète luxembourgeoise Anise Koltz, c'est la quatrième disparition que nous avons à déplorer parmi les quelques 25 lauréats du Prix des Découvreurs. Cette perte s'ajoute à celle de l'écrivain algérien Mohammed Dib, du poète français Ludovic Janvier et de la syrienne Fadwa Souleimane. Que nous n'oublions pas.
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Pour compléter ce PDF et faire un peu ressortir le lien qui unit ici le texte de Sylvie Durbec à Ossip Mandelstam, j'ai reproduit 2 longues pages de la magnifique et très précise biographie du poète donnée il y a quelques années par l'écrivain suisse de langue allemande, Ralph Dutli à la Dogana, sous le titre Mon temps, mon fauve, expression particulièrement saisissante de Mandelstam lui-même.
Été 2021 : une femme, poète, plasticienne, traductrice et un peu couturière, quitte sa maison pour s’installer à une petite centaine de kilomètres plus au nord de l’autre côté du Gard. Elle prépare ses cartons. Plus particulièrement ses cartons de livres parlant aux auteurs qu’elle aime comme à de vieux amis. Déménager est toujours une épreuve, un arrachement, ravivant une somme de souvenirs que l’âge rend plus incisifs voire plus bouleversants encore. Sylvie Durbec affronte cette réalité en reprenant à son compte les mots de Marina Tvetaïeva s’adressant comme elle le dit à ceux qui sont encore vivants : « Écrivez davantage ! Fixez chaque instant, chaque geste, chaque soupir. Pas seulement le geste, mais aussi la forme de la main qui l'a fait ; pas seulement le soupir, mais le dessin des lèvres dont il s'est envolé. Ne méprisez pas l'extérieur. Notez les choses avec plus de précisions. Il n'y a rien qui soit sans importance. La couleur de vos yeux et de votre abat-jour, le coupe-papier et les motifs de vos papiers peints, la pierre précieuse de votre bague préférée, tout cela formera le corps de votre âme, de votre pauvre âme, abandonnée dans le monde immense."
Accompagner avec ses mots l’œuvre d’un peintre est une des tentations parmi les plus fréquentes du travail poétique. Inversement les peintres apprécient le plus souvent de voir leurs amis poètes prêter voix à ces choses muettes dont comme disait Poussin ils font profession [1]. Sans remonter aux célèbres ekphrasis tant prisées de la littérature antique, chacun a toujours bien en tête le dialogue entre Baudelaire et Delacroix, Mallarmé et Manet, Apollinaire et Derain, Cendrars bien sûr et Sonia Delaunay, Chagall ou Fernand Léger ou plus proche de nous Charles Juliet et Bram Van Velde … C’est que pour paraphraser le célèbre rhéteur Lucien de Samosate, quiconque voit se présenter sous ses yeux un spectacle ou une œuvre admirable ne peut faire autrement que d’éprouver en lui le besoin de s’en pénétrer et ne pouvant demeurer muet devant tant de beautés, de tenter de les exprimer « par une parole reconnaissante ».[2] Aujourd’hui peintres et poètes, s’ils continuent d’entretenir entre eux cette stimulante complicité voient surtout dans cette démarche un moyen de sortir un peu de la solitude où les enferme leur art, tant poésie comme peinture à l’exception de quelques rares grandes exceptions restent toujours dans la cruelle réalité imposée par nos univers marchands, terriblement confidentielles.
Dans mon tout dernier post je remarquais la part de plus en plus importante que prenaient les femmes sinon dans le monde poétique actuel, du moins sur le plan plus particulier quand même de la publication. La sortie, le mois dernier, du numéro 79 de la revue NU(e), entièrement consacré au cinquième volet du projet intitulé POÈT(e)S, qui s’est tenu en mai dernier dans la belle ville de Besançon sous la direction d’Élodie Bouygues, enseignante-chercheuse à l’Université de Franche-Comté, vient opportunément prolonger, et enrichir surtout de matière, ma rapide réflexion.
Dans son avant-propos, Aude Préta-Beaufort de l’Université de Lorraine qui explique la genèse du projet dont avec Élodie Bouygues, mais aussi Béatrice Bonhomme, de l’Université Côte d’Azur/ Nice, Anne Gourio à l’Université de Caen-Normandie, Évelyne Lloze de l’Université Jean Monnet / Saint-Étienne, elle est l’une des chevilles ouvrières, replace dans son contexte cette importante initiative, montrant la diversité des entreprises et des travaux engagés au cours de ces dernières décennies pour, comme elle l’écrit, « mettre davantage en lumière la place et le rôle [des poètes femmes) dans le champ actuel de la poésie ».
Certes, au final,on m’objectera toujours bien des choses mais le fait est que je reçois de plus en plus d’ouvrages de poésie écrits par des femmes. Et alors qu’à l’origine du Prix des Découvreurs, il y a quelque vingt-cinq ans, nos sélections s’employaient à accorder une place encore exagérément belle aux hommes, ces derniers ont cessé aujourd’hui d’être majoritaires. Et je constate que la plupart des voix nouvelles que poussent mes collègues sont de plus en plus désormais des voix de femmes. En témoignent ces cinq ouvrages découverts à mon retour de vacances que j’ai rassemblés sur la photo devant un arrière plan de Constable. Manière pour moi de faire écho à ce titre d’Ariane Dreyfus, Nous nous attendons, et tout particulièrement à cette magnifique invite qu’on y lira : « le ciel/ Et la pente// Disent « Viens ! » aussi fort l’un que l’autre ».