samedi 21 janvier 2023

RECONNAÎTRE EN SOI L’ENTÊTEMENT DE VIVRE. TAILLER SA FLÊCHE DE CORALIE POCH AUX ÉDITIONS LA TÊTE À L’ENVERS.

 

Sans doute y -a-t-il trop d’oiseaux. De métaphores aussi qui s’entrechoquent. Tout un opéra d’éléments, de motifs pris à la nature, qui plonge le lecteur dans un monde qui finalement reste beaucoup plus mental que véritablement ouvert sur notre réel sauvage, inconnaissable et plein[1]. Les formes toutefois dans lesquelles le livre de Coralie Poch, Tailler sa flèche, trace sa voie, n’en sont pas moins le plus souvent émouvantes, parlantes. Animées qu’on les sent d’un authentique et puissant besoin de parole. De dire.

mercredi 18 janvier 2023

UN LIVRE C’EST QUELQU’UN. À PROPOS DE LIRISME, D’AURÉLIE FOGLIA CHEZ CORTI.

Ce n’est pas une note de lecture[1]. Juste l’ébauche d’une sorte de conversation comme on en aurait avec une personne qu’on connaît comme ça, mais sans plus, avec laquelle, la pluie ayant cessé de tomber, la lumière étant revenue, on se serait un peu attardés dans la rue, à échanger des impressions. Tout ça pour dire que le livre d’Aurélie Foglia, je n’ai pas encore trouvé le temps, vraiment de le lire, de m’engager dans sa lecture. Que je l’ai seulement feuilleté. Mais que j’ai bien envie cependant d’en partager ici quelque chose. Qui dira quand même qu’il existe. Qu’un regard l’aura parcouru. Aura aussi eu l’envie de le lire.

Les gens qu’on rencontre ont des vies. Des vies qui en profondeur les remuent. Les font toucher à des milliers et des milliers de choses dont leur monde est rempli. On ne peut que les imaginer quand on ne fait que les croiser. Ce qui n’est pas nécessairement triste. C’est la vie. C’est le temps. Je prends le livre d’Aurélie Foglia comme ça. Une personne que je rencontre. Qui me livre une petite partie d’elle. Mais qui suffit à notre reconnaissance réciproque. D’êtres humains vivants. Dans nos vies différentes.

lundi 16 janvier 2023

SUR LE DERNIER LIVRE DE JEAN-PHILIPPE CAZIER, PAGE BLANCHE ALGER, AUX ÉDITIONS LANSKINE.

 

 Faire le récit d’un visage tient déjà du défi improbable. Mais faire celui de son ombre, avec des mots « qui seraient là sur la page, pour d’autres mots qui ne diraient rien, parleraient pour davantage de silence » voila qui énonce un programme qui n’a rien d’ordinaire. En fait, Jean-Philippe Cazier dont on imagine qu’il est profondément nourri des textes de Deleuze, Foucault, Derrida, a bien compris le caractère disons paradoxal de l’écriture qui veut qu’elle fasse disparaître son objet, le vécu par exemple, à quoi elle se réfère, dans le même moment qu’elle tente, dans l’imaginaire, de le faire advenir. L’effaçant dans sa réalité de chose. Le sauvant toutefois, peut-être, dans cette autre réalité du signe.

jeudi 12 janvier 2023

ÉCRITURE CANINE ? LA FILLE DU CHIEN DE PERRINE LE QUERREC AUX ÉDITIONS DES LISIÈRES.

Que fait-elle au juste ? Perrine le Querrec, poète qui aura ces dernières années bénéficié d’un certain succès - Rouge pute, Feux, Le prénom a été modifié -  a décidé de tourner le dos aux fureurs et aux compétitions qui constituent à ses yeux le propre des villes. La voici donc qui choisit d’être moins. De s’écarter. Se replier sur des lieux de silence. De s’animaliser. Tentant de faire corps et présence avec son chien. À la rencontre des éléments. Des choses simples. Ancestrales. Cela ne va pas sans griffures. Déchirures. Interrogations qui resteront sans réponse. À la recherche de cette écriture canine[1] que bien sûr avec nos mots il est impossible de trouver. Cela donne une suite de poèmes qui dans le goût et l’odeur de la terre, des pauvres cuisines de village et des saisons qui passent se trouvent pris dans un flottement, un frottement constants entre intérieur et extérieur. Mutisme et confidence. Solitude et échange. La question fondamentale de la survie, de l’entente ordinaire et simple avec le monde, comme pour les animaux, n’étant jamais très loin.

 EXTRAITS

L'hiver est rude

aucune plainte cependant

lundi 9 janvier 2023

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS : L’ÎLE REBELLE, ANTHOLOGIE DE POÉSIE BRITANNIQUE AU TOURNANT DU XXIe SIÈCLE.

 

J’avais, il y a quelques années, à l’occasion de la publication au Castor Astral de l’important ouvrage de la poète irlandaise Eavan Boland, Une femme sans pays, pu découvrir et faire un peu connaître autour de moi, le beau travail de traduction de Martine De Clercq, Maître de conférences à Université Jules Verne d’Amiens. Aujourd’hui c’est encore un plaisir pour moi, de saluer l’extraordinaire entreprise qu’en compagnie de Jacques Darras, cette passionnée de poésie anglaise vient de mener à bien pour le compte de la mythique petite collection Poésie de chez Gallimard.

Entreprendre de nous faire connaître l’état de la poésie britannique – limitée toutefois à ses composantes anglaise, écossaise et galloise – au tournant du XXIème siècle, en une somme de plus de 500 pages regroupant les textes écrits pour la plupart il y a moins d’une vingtaine d’années, par une cinquantaine d’auteurs nés grosso modo entre 1920 et 1970, est un considérable défi. On imagine mal la ténacité qu’il faut pour qu’un tel projet aboutisse. Et l’on ne doit pas s’étonner que découvrir ces auteurs, choisir leurs textes, en obtenir les droits de publication, les traduire bien sûr, aura pris plus de 10 ans à Martine De Clercq qui heureusement aura pu compter sur l’efficace soutien de son compagnon dont on connaît aussi l’immense curiosité et l’infatigable ardeur.

Bravo et merci donc à eux.

Pour me hisser un peu maintenant à la hauteur de l’ouvrage, il me faudrait reprendre ici mot à mot la dense et bien éclairante préface par laquelle Jacques Darras rend littérairement et historiquement accessible pour le lecteur français l’ouvrage qu’il a aidé à voir ainsi le jour. On comprendra que je ne le fasse pas ni ne m’ingénie à en paraphraser ou à en résumer les principales données. J’invite les esprits curieux, les intelligences ouvertes à s’y reporter sans attendre. Pour ma part je précise qu’on ne lit pas bien sûr une anthologie comme on lit un roman. La lecture ici relève un peu de l’aventure, du glanage, de l’herborisation, du picorage  mais aussi de la frustration. Partant à la rencontre, on ouvre le livre au hasard et tombant sur un texte qui vraiment nous parle, nous retient, on éprouve le désir d’en lire davantage, ce qui bien sûr est impossible. Pour qui surtout ne lit l’anglais que de piètre façon. N’empêche que le plaisir est bien là de ressentir, rien qu’à feuilleter l’ouvrage, la puissante vitalité qui anime et si diversement, la poésie de nos voisins anglais. Bien sûr encore, on ne sait pas ce qu’auront décidé de ne pas retenir Martine De Clercq et Jacques Darras parmi la quantité j’imagine de textes qu’ils auront pu découvrir. On ne sait pas non plus ce qui aura comme c’est bien normal encore échappé à leur émérite attention. Une cinquantaine de poètes, certes c’est important, mais n’est sûrement encore qu’une modeste partie de ce qui dans un pays comme l’Angleterre, se considère comme tel. Méfions-nous donc des généralisations. Mais je remarquerai quand même qu’il semble bien que la poésie de l’autre côté de la Manche soit moins éthérée, arachnéenne, moins conceptuelle, prétentieuse ou distante, vaine peut-être aussi, qu’elle ne l’est encore parfois, je dis bien parfois, chez nous. Travaillant moins le langage, la langue, la posture, que nous n’avons tendance à le faire. Avec plus de confiance en fait dans les vertus partagées de la communication. De la compréhension intuitive, cordiale et sensible à la fois.

Le lecteur de cette anthologie de poésie britannique contemporaine trouvera donc moins de metapoésie, de fureur programmatique et de complexité formelle qu’il n’en trouve en général dans les vers des poètes français. Confronté qu’il sera à plus de matérialité. Une immersion plus directe, me semble-t-il, dans toutes sortes de situations, de paysages aussi bien urbains que ruraux, naturels que sociaux. Sans qu’on puisse parler pourtant de poésie simplement descriptive. La volonté étant presque toujours bien là d’une sorte de protestation contre l’ordre encagé, cadenassé des choses. Mais bon, cette sorte d’aventureuse taxinomie n’a finalement qu’assez peu de sens. À  chacun bien sûr de s’emparer de l’extraordinaire ensemble de textes qui se voient ici rassemblés pour en faire son propre miel. L’île rebelle, s’intitule fièrement cet épatant ouvrage. J’aime cette idée, moi qui par temps clair peut voir presque de ma maison les falaises de Douvres, de vivre à la frontière d’une terre entourée d’eau, qui continue à faire de la poésie le lieu non d’un conflit, d’une ardeur belliqueuse, contre le vaste monde, mais d’une naturelle et féconde indocilité. D’une indiscipline vitale. Qui soumise comme elle le reconnaît à tout ce qui écrase n’a de cesse toujours, que de se redresser.

***

Pour permettre à chacun de se faire une toute petite idée de la variété et de l’intérêt des textes rassemblés par Martine De Clercq et Jacques Darras dans cette anthologie, je propose ici de découvrir 3 de ces textes qui m’auront, pour différentes raisons, plus particulièrement parlé. Il y est question aussi bien de la détérioration de nos campagnes, que des débordements de la fièvre footballistique, ainsi que d’attachement à des personnes aimées que la maladie de leur esprit conduit à certaines divagations. Il y est question aussi d’un cimetière qui rappellera peut-être la célèbre Elegy Written in a Country Churchyard  de T. Gray que beaucoup peut-être auront découverte au cours de leurs études. Les textes présentés dans l’Anthologie sont en général assez longs. Ils sembleront peut-être un peu bavards à nous français qui restons toujours au fond de nous les héritiers de la formule poétique dense héritée de Mallarmé. Ils ne manqueront pas toutefois de ravir par là-même ceux qui à l’instar de Stéphane Bouquet pensent, comme il le développe bien dans La cité de paroles, que la poésie n’est pas chose sacrée ou ésotérique, mais l’un des modes supérieurs du partage et de la conversation.

J’ajouterai pour terminer que cette anthologie bilingue constitue un extraordinaire instrument de travail pour les professeurs d’anglais qui voudraient se servir de la poésie contemporaine pour renouveler leurs matériaux et faire découvrir à leurs élèves diverses facettes de ce monde si particulier dont ils enseignent la langue et la civilisation.

lundi 2 janvier 2023

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS : PORTE DU SOLEIL, LE DERNIER LIVRE DE CHRISTOPHE MANON, AUX ÉDITIONS VERDIER.

 

Giovanni di Paolo, Inferno, école toscane du XVème siècle

Sunt lacrimae rerum ![1] Peut-être qu’en effet comme s’écrie Enée découvrant à Carthage une fresque évoquant les divers épisodes de la guerre de Troie, les œuvres d’art, pourvu qu’on y reconnaisse aussi des traces de sa propre vie, de ses propres angoisses, des drames qu’on aura vécus, sont les larmes des choses, bien plus en fait qu’une simple occasion de plaisir artistique voire une forme supérieure d’embellissement de la vie.  Établissant toute une série de correspondances entre des faits révolus et des situations présentes,  des émotions passées et d’autres actuelles, nombreuses en effet peuvent être les œuvres qui possèdent, comme le précise encore Virgile, ce charme mortel de pénétrer l’âme et d’ébranler fortement certaines sensibilités.

C’est ce que nous fait, entre autres choses, comprendre, le tout dernier ouvrage de Christophe Manon, Porte du Soleil, qui sous le prétexte d’une quête des origines, se constitue finalement en récit poétique des tribulations d’un cœur blessé, dépourvu d’espérance, saisi d’une incompréhensible douleur, d’accès violents de rage[2], que son arrivée au soleil de Perugia, berceau de sa lointaine famille, plonge dans l’enfer[3] d’une existence qu’il ne maîtrise plus.

jeudi 29 décembre 2022

WILLIAM S. MERWIN : L’ENTRAÎNANTE PROTESTATION DU DIRE

Je ne suis pas spécialement fier d’avoir en 2006 publié dans ce qui était encore la Quinzaine Littéraire cet article à propos de la sortie en France d’un livre du poète américain William S. Merwin. J’étais à l’époque totalement passé à côté de la publication en 2004 aux éditions FANLAC d’un ouvrage intitulé La Renarde dont Jacques Réda n’hésita pas à composer un éloge bien plus inspiré que ce que j’ai pu de mon côté écrire. Mais comme l’ami Christophe Manon qui, lui-même, je viens de le voir, reste attaché à ce poète disparu il y a quelques trois ans, je pense qu’il n’est pas inutile de reprendre ici cette présentation qui aura au moins le mérite de témoigner que les poètes ont souci de leurs morts et d’en maintenir autant qu’ils peuvent le vivant souvenir.

"On s’étonnera en découvrant le recueil du poète William S. Merwin, paru en 1973 aux Etats-Unis sous le titre Written to an unfinished accompaniment qu’il ait fallu attendre jusqu’à aujourd’hui pour qu’un éditeur français – en l’occurrence Cheyne - nous offre la première édition d’un des ouvrages les plus marquants de ce poète abondant et protéiforme qui depuis le milieu des années soixante collectionne dans son pays mais aussi à l’étranger les prix les plus prestigieux.