Humoristes, pamphlétaires, sans compter certes, nombre
de collègues envieux ou portant plus haut leur estime, se sont amusées à moquer
ces merveilleux faiseurs dont les généreuses sécrétions ne trompent finalement que
« l’épaisse et morne bourgeoisie des lettres », satisfaite de
pure apparence, que croque Virginia Woolf dans son Journal d’un écrivain
(13 juin 1927).
Pierre Jourde n’a pas la réputation d’être tendre. Il
sait aussi que l’art est profondément mensonge. Et que la fameuse « authenticité »
à laquelle il a consacré tout un livre, est un leurre. Cela ne signifie pas que
l’artiste, disons ici le poète car le poète est avant tout artiste, puisse se
dire véritablement poète, au prétexte qu’il sache admirablement fabriquer les
petites machines à faire poésie que dans certains milieux on appelle poèmes.
Dans sa Littérature sans estomac il énumère ainsi les composants de la
plupart de ces petits poèmes qui s’échangent toujours aujourd’hui sur les
réseaux, provoquant les mêmes commentaires-bateau, suscitant les mêmes
admiratives et hypocrites extases.
Sémantiquement, écrit-il, « chaque vers doit
contenir une impropriété qui puisse avoir l’air d’une possible métaphore »,
la métaphore étant par excellence, ce qui fait poétique.
Syntaxiquement, « quelques subordonnées, pas
trop, associeront des propositions sans rapport évident du point de vue du sens ».
« Lexicalement, il importe que l’impropriété
n’accouple que des termes honorables », jolis, qui permettent
« au premier venu de reconnaître le caractère poétique de l’objet ».
« Il faudra donc des fleurs, de la mémoire, de l’intime, du noir, du
vent, des visages, des enfants, de l’évanoui, de la souffrance, de l’amour, de
la nuit, du regard et, bien entendu du silence ».
Cette charge bien entendu reste des plus sommaires. D’autant
que devant la variété des formes que prennent ces petits poèmes il faudrait en
dresser toute une typologie. Ce que l’ennui m’empêche ici de faire doutant de
l’effet qu’au final peut aujourd’hui produire un pauvre billet de blog. Rédigé
de surcroît par un presque anonyme, dépourvu d’avenir comme du moindre pouvoir
institutionnel. Disons pour aller à l’essentiel que l’élément commun de ces
diverses productions reste le souci constant de persuader le commun des
lecteurs de l’ampleur de sa sensibilité, de la profondeur de sa réflexion et du
caractère extraordinaire de sa façon quotidienne d’être au monde. Un monde
auquel le vague des mots et l’artifice astucieux de leurs associations
confèrent un faux mystère. Une existence postiche. Surtout quand l’auteur se
réclame du sentiment le plus sincère.
De fait la grande majorité de ces jolies fabrications
vient de petits bourgeois, bourgeoises, sympathiques ou pour reprendre encore
une fois les mots de Virginia Woolf de petites personnes charmantes,
propres, sensibles qui « en dehors de cela qui ne porte pas loin et
n’illumine guère » se plaisent à s’exprimer « comme cela doit
être ». Non plus aujourd’hui comme au siècle dernier : « léger,
sûr, proportionné, et même émouvant », mais énigmatique, cosmique,
ébaubissant. Mêlant de préférence tous les ordres de la nature dans des
aphorismes vagues qui ne sont que des phrases. Quand ce ne sont pas de
minuscules trivialités relevées d’un jet gluant de sentimentaliste fade.
Bon. Inutile d’en rajouter. La poésie est un art qui
plus que d’autres sans doute prête à la caricature. Sans doute car chacun étant
aujourd’hui plus ou moins agrégé de lettres, croit en posséder le métier ou
pouvoir intervenir à sa façon dans le langage. Pour y faire prospérer son petit
capital symbolique. J’avais au départ simplement l’envie de faire découvrir un
texte drôle pioché dans une anthologie de l’humour moderne, intitulée Fumisteries
et présentée par Daniel Grojnowski et Bernard Sarrazin, un texte également
présent dans le recueil de 50 contes choisis et présentés par Grégory Haleux,
récemment paru aux éditions de l’Ethernité et intitulé Les Aventures du
poète. Ce texte d’un auteur dont le nom ne dira sans doute rien à la
plupart est d’un certain Georges Auriol, a été publié pour la première fois
dans le Chat noir du 6 mars 1889. Intitulé Manufacture de sonnets,
c’est une fantaisie qui moque le caractère artificiel des productions poétiques
de l’époque. Hasard ou pas, croyant me souvenir de l’avoir déjà lu quelque
part, j’en retrouvai la mention dans le livre ci-dessus évoqué de Jourde. Qui
m’a conduit si j’ose dire à ces divagations.
Pour le reste, dussè-je ici m’en claquer l’aorte*,
« Je laisse au
lendemain son air mystérieux,
Et mon esprit flâneur
suit à travers les cieux
Le rêve qui troubla l’âme
du vieux cloporte »**
NOTES
* synérèse
audacieuse, certes, à la fin de cet alexandrin mais en parfaite adéquation,
conviendront les plus fins, avec le thème abordé.
** Chute d’un sonnet fabriqué d’Auriol dans lequel je
me suis fondu pour mieux laisser tomber.