jeudi 4 septembre 2025

CAMPAGNES ANCIENNES. POÈMES.

J’aime qu’un texte ne s’envisage pas comme une structure close. Si le poème est bien pour moi à chaque fois comme un paysage nouveau de langue, j’aime l’idée que son lecteur le reconstitue à sa façon et selon ses propres harmoniques. Lecteur de mes propres textes, je les lis rarement deux fois de la même manière. Me laissant différemment porter, selon le degré d’intelligibilité que, dans l’instant, je m’en forme, par les diverses suggestions, sémantiques autant que musicales qu’il porte. Car un texte n’est pas une forme à jamais figée. Une sorte de papillon épinglé sur sa plaque de liège. Tout en puissances et surgissements, il vit et se revit. Se réincarnant sans cesse. Au cœur de cette inépuisable métamorphose et relance du vivant et de l’intelligence liée qu’exalte si bien, Montaigne parlant du monde comme d’« une école d’inquisition ». Et de notre quête de connaissance comme d’une agitation, une chasse. Sachant qu’il y est sans doute excusable comme il dit de manquer à la prise. Moins, de s’abstenir d’y entreprendre les courses les plus belles.


 

CULTIVER SON IGNORANCE ! À PROPOS DE L’EXPOSITION MONDES ARCTIQUES, DE L’ALASKA AU NUNAVUT, AU CHÂTEAU-MUSÉE DE BOULOGNE-SUR-MER.


 

« Depuis la péninsule du Labrador jusqu’à l’Alaska, la grande forêt boréale étale un manteau continu de conifères où prédomine la silhouette typique de l’épinette noire, à peine interrompu de loin en loin par quelques bosquets d’aulnes, de saules, de bouleaux à papier ou de peupliers baumiers. Les animaux sont à peine plus variés : élans et caribous pour les herbivores, castors, lièvres, porcs-épics et rats musqués pour les rongeurs, loups, ours bruns, lynx et carcajous pour les carnivores forment le gros contingent des mammifères ; à quoi s’ajoutent une vingtaine d’espèces communes d’oiseaux et une dizaine de poissons, ces derniers faisant bien pâle figure auprès des trois mille espèces qu’abritent les fleuves d’Amazonie. […] Les caractéristiques de la forêt boréale sont exactement inverses de celles de la forêt amazonienne : peu d’espèces coexistent dans cet écosystème « spécialisé », représentées chacune par un grand nombre d’individus. Et pourtant, en dépit de l’homogénéité ostensible de leur milieu écologique — en dépit aussi de leur impuissance face aux famines qu’engendrait régulièrement un climat d’une extrême rigueur —, les peuples subarctiques ne paraissent pas considérer leur environnement comme un domaine de réalité nettement démarqué des principes et des valeurs régissant la vie sociale. Dans le Grand Nord comme en Amérique du Sud, la nature ne s’oppose pas à la culture, mais elle la prolonge et l’enrichit dans un cosmos où tout s’ordonne aux mesures de l’humanité »[1].

Oui. De plus en plus je me demande si je ne vais pas au Musée pour approfondir toujours davantage ce large puits d’ignorance que les discours contraires du temps voudraient me donner l’illusion par là de combler. Ainsi, avant de mettre le pied dans les salles d’exposition consacrées aux Mondes arctiques, de l’Alaska au Nunavut, que le magnifique Château-Musée de Boulogne-sur-Mer, nous propose désormais de découvrir, avais-je vraiment conscience de ne rien savoir de ces terres lointaines, de tous ces peuples dits premiers qui les habitèrent et continuent vaille que vaille d’y survivre.