Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
mardi 30 septembre 2025
SORTIE DE MATIÈRE DE DOMINIQUE QUÉLEN CHEZ FLAMMARION. SINGULIER FAÇONNAGE.
mercredi 24 septembre 2025
SUR JAN BRUEGHEL L’ANCIEN. LE MONDE EST NOTRE LIEU.
jeudi 18 septembre 2025
AVEC PÉTRARQUE. APPRENDRE À VIVRE PLUS LARGEMENT SA VIE. SUR LE LIVRE DE JEAN-PIERRE SUAUDEAU CHEZ JOCA SERIA, COURIR À CE QUI ME BRÛLE.
L’histoire,
les belles histoires nécessitent parfois quelques arrangements avec la réalité.
Le mensonge, l’invention sont les nerfs de la littérature.
Jean-Pierre Suaudeau
Certes, on en apprendra sans
doute plus sur Pétrarque à travers le long article même brouillon que lui accorde
l’édition française de Wikipedia, qu’à travers ce beau livre de Jean-Pierre
Suaudeau, Courir à ce qui me brûle, que ce dernier consacre principalement à
l’évocation des divers séjours que fit l’auteur du Canzoniere à Fontaine
de Vaucluse, sur les bords de la Sorgue, où peut se visiter aujourd’hui, sur
l’emplacement de ce qui fut autrefois sa maison, le petit musée qui en perpétue
la mémoire.
C’est que le livre de Jean-Pierre Suaudeau n’est pas exactement ce qu’on peut appeler une biographie. Du moins une de ces biographies d’artiste, qui reposant sur une écrasante documentation, une connaissance impressionnante de leur sujet, s’efforcent par leur agencement de restaurer au jour le jour dans ses moindres détails, la continuité supposée d’une vie singulière. Ce livre est une fiction. Une de ces fictions biographiques, dans lesquelles comme le remarque Dominique Viart à qui l’on doit cette expression, leur auteur se tourne moins vers la reconstitution factuelle de la vie d’une personne autre qu’il ne cherche à donner forme, figure, à la représentation subjective qu’il s’en fait. [1]
mercredi 10 septembre 2025
RECOMMANDATION DECOUVREURS : ÉLÉGIES MINEURES DE CHRISTOPHE MANON AUX ÉDITIONS NOUS.
Et alors où serons-nous ? que deviendrons-nous ? dans quelles ténèbres serons-nous cachés ? dans quel gouffre serons-nous perdus ? Il n'y aura plus sur la terre aucun vestige de ce que nous sommes. «La chair changera de nature, le corps prendra un autre nom ; même celui de cadavre, dit Tertullien, ne lui demeurera pas longtemps ; il deviendra un je ne sais quoi, qui n'a point de nom dans aucune langue »
Bossuet
Je pense être maintenant suffisamment familier de l’œuvre de Christophe Manon pour me dire qu’il ne restera pas insensible à cette envie qui m’aura pris de placer la courte note qui suit sous, non point l’égide, le parrainage, mais la dure, réaliste et puissante perspective dressée par Bossuet dans l’oraison funèbre composée par lui à l’intention d’un certain Père Bourgoing, supérieur général des Oratoriens.
Sic transit gloria mundi !
jeudi 4 septembre 2025
CAMPAGNES ANCIENNES. POÈMES.
J’aime qu’un texte ne s’envisage pas comme une structure close. Si le poème est bien pour moi à chaque fois comme un paysage nouveau de langue, j’aime l’idée que son lecteur le reconstitue à sa façon et selon ses propres harmoniques. Lecteur de mes propres textes, je les lis rarement deux fois de la même manière. Me laissant différemment porter, selon le degré d’intelligibilité que, dans l’instant, je m’en forme, par les diverses suggestions, sémantiques autant que musicales qu’il porte. Car un texte n’est pas une forme à jamais figée. Une sorte de papillon épinglé sur sa plaque de liège. Tout en puissances et surgissements, il vit et se revit. Se réincarnant sans cesse. Au cœur de cette inépuisable métamorphose et relance du vivant et de l’intelligence liée qu’exalte si bien, Montaigne parlant du monde comme d’« une école d’inquisition ». Et de notre quête de connaissance comme d’une agitation, une chasse. Sachant qu’il y est sans doute excusable comme il dit de manquer à la prise. Moins, de s’abstenir d’y entreprendre les courses les plus belles.
CULTIVER SON IGNORANCE ! À PROPOS DE L’EXPOSITION MONDES ARCTIQUES, DE L’ALASKA AU NUNAVUT, AU CHÂTEAU-MUSÉE DE BOULOGNE-SUR-MER.
« Depuis la péninsule du Labrador jusqu’à l’Alaska, la grande forêt boréale étale un manteau continu de conifères où prédomine la silhouette typique de l’épinette noire, à peine interrompu de loin en loin par quelques bosquets d’aulnes, de saules, de bouleaux à papier ou de peupliers baumiers. Les animaux sont à peine plus variés : élans et caribous pour les herbivores, castors, lièvres, porcs-épics et rats musqués pour les rongeurs, loups, ours bruns, lynx et carcajous pour les carnivores forment le gros contingent des mammifères ; à quoi s’ajoutent une vingtaine d’espèces communes d’oiseaux et une dizaine de poissons, ces derniers faisant bien pâle figure auprès des trois mille espèces qu’abritent les fleuves d’Amazonie. […] Les caractéristiques de la forêt boréale sont exactement inverses de celles de la forêt amazonienne : peu d’espèces coexistent dans cet écosystème « spécialisé », représentées chacune par un grand nombre d’individus. Et pourtant, en dépit de l’homogénéité ostensible de leur milieu écologique — en dépit aussi de leur impuissance face aux famines qu’engendrait régulièrement un climat d’une extrême rigueur —, les peuples subarctiques ne paraissent pas considérer leur environnement comme un domaine de réalité nettement démarqué des principes et des valeurs régissant la vie sociale. Dans le Grand Nord comme en Amérique du Sud, la nature ne s’oppose pas à la culture, mais elle la prolonge et l’enrichit dans un cosmos où tout s’ordonne aux mesures de l’humanité »[1].
Oui. De plus en plus je me demande si je ne vais pas au Musée pour approfondir toujours davantage ce large puits d’ignorance que les discours contraires du temps voudraient me donner l’illusion par là de combler. Ainsi, avant de mettre le pied dans les salles d’exposition consacrées aux Mondes arctiques, de l’Alaska au Nunavut, que le magnifique Château-Musée de Boulogne-sur-Mer, nous propose désormais de découvrir, avais-je vraiment conscience de ne rien savoir de ces terres lointaines, de tous ces peuples dits premiers qui les habitèrent et continuent vaille que vaille d’y survivre.