Désireux de m’offrir une petite
pause entre deux éditions du Prix des Découvreurs je me décide à partager ici quelques
images que m’a récemment fait découvrir le livre de Vincent Zonca, Lichens, que
je ne saurais trop recommander pour la richesse et la profondeur de ses vues. La
première du japonais Hiroshige II représentant une scène de cueillette de
champignons-lichens centenaires poussant sur les roches, les Iwatake, également
appelés « nourriture de l’ermite », montre deux cueilleurs
suspendus à l’intérieur de nacelles d’osier, au-dessus d’un torrent bouillonnant.
L’un gratte la paroi d’une montagne à pic, l’autre se penche vers lui, le
visage hilare apparemment en train de lui adresser quelque plaisanterie. Chacun
porte un large chapeau rond, conique qui rappelle la forme des champignons que
l’artiste a représenté en gros plan dans le coin supérieur droit de son image. Cette image qui m’a retenu pour son pittoresque
ne possède pas la forte charge symbolique que je trouve à cet impressionnant
panneau de 5 mètres de long du maître ancien Kano Sansetsu, intitulé le Vieux
prunus qui servit à l’origine de décor pour un des murs intérieurs d’un
temple mortuaire. Image du renouveau printanier touchant un arbre vénérable, tout
couvert de lichens et profondément mutilé par le temps, l’œuvre de Santetsu ne
fait pas qu’illustrer la puissance finalement de la vie, célébrant à la manière
du Ronsard des Odes le
contraste entre cycle naturel et cycle humain. Il émerveille par l’extraordinaire
économie de moyens de ses formes, le pouvoir enfin qu’a l’art de se montrer
toujours pour nous d’une éternelle jeunesse. Dans son livre Zonca rapproche ainsi
ce vieux prunier de Santetsu d’une œuvre plus récente d’un autre grand maître
de la peinture japonaise, Ogata Kôrin, Prunus blanc et prunus rouge dont
le génie décoratif l’amène à évoquer l’œuvre du peintre autrichien Klimt, dont l’Arbre
de vie, c’est vrai, n’est pas sans faire penser au style de cette école
« rimpa » à laquelle appartient Kôrin. Dans la peinture
japonaise écrit Zonca à propos de ces œuvres, « les lichens font
fleurs, ils sont esthétiquement des fleurs au même titre que celles du prunus »
ajoutant un peu plus loin qu’il faut surtout voir dans le lichen « un
élément naturel parmi d’autres, un objet de vénération et de décoration, ayant
des qualités de forme, de couleur, de texture, de rythme, se révélant en
association, en symbiose, avec le cerisier ou d’autres éléments du paysage ».