Présenté comme « une fantaisie », « un conte politique et poétique », Julien le rêveur, rappelle l’importance que tient le rêve dans l’œuvre et bien entendu la vie de Christiane Veschambre qui livre en effet ici un texte qui sans avoir la profondeur et la gravité de Basse langue ou de dit la femme dit l’enfant, eux aussi parus aux belles éditions Isabelle Sauvage, réjouira bien des lecteurs par la façon dont se voient épinglée « l’idéologie par laquelle on resserre [aujourd’hui de plus en plus] l’étau autour de ceux qu’il faut rendre profitables » au système économique injuste qui nous est imposé.
Julien, classé parmi les « Décrocheurs » n’a d’autre compétence que d’être un rêveur invétéré. Il mettra un temps cette compétence au service des autres en devenant une sorte de rêveur public, déréglant ainsi le fonctionnement de l’Agence Pôle-Emploi qui subit sa contagion. Les choses naturellement reviendront dans l’ordre et comme tout se finit bien dans les contes, il nous faudra imaginer Julien heureux avec beaucoup d’enfants.
EXTRAIT :
La réalité avait cependant perdu peu à peu du terrain, et plus vite qu'on aurait pu l'imaginer. Incompréhensible phénomène de contagion, caractère particulièrement suggestible de ces polemployés, charisme indécelable jusque-là de celui qui avait requis les compétences de Julien, on ne pouvait dire, mais toujours est-il que les uns s'étaient mis à raconter les rêves qu'il leur arrivait de faire mais qu'ils laissaient jusque-là tomber dans la poubelle des encombrants, et les autres s'étaient mis à rêver au cours de nuits jusqu'à présent raisonnablement consacrées au néant réparateur nécessaire aux employés sous contrat à durée indéterminée.
L'atmosphère avait insensiblement changé, l'agence bruissant de récits improbables, merveilleux — comme celui de la rencontre avec «des hommes bleus» qui l'invitaient au « pays du sentiment», avait confié l'un ou cauchemardesques — comme celui d'un autre qui devait passer une douane avec une valise contenant le corps d'une fillette morte.
Bientôt ce ne furent plus les seules pauses-café qui s'éternisèrent. Quelque chose d'à la fois plus alangui et plus électrique se répandit. Les chômeurs venant pointer étaient d'abord troublés puis sentaient vite qu'il se passait quelque chose d'improbable. Une certaine indulgence teintait les entretiens relatifs à la recherche d'emplois, au moment même où le gouvernement venait de décider le recrutement et la formation de polpolemployés — à savoir des policiers du polemploi chargés de démasquer les fraudeurs au chômage (c'était ça, avait expliqué le ministre de la Volonté du travail, le vrai problème : tous ceux qu'on avait jusque-là laissés s'engraisser trop longtemps avec le RPS qui, s'était-il exclamé sur un ton de familiarité frappée au coin du bon sens, « nous coûtent un pognon dingue !» — son jeune conseiller en sémiologie discursive avait insisté sur l'ajout du « nous»). Il y eut même la fois où, entrant sur son ordinateur les renseignements relatifs à un homme venant pour la première fois à l'agence, le polemployé lui demanda : «quel est votre dernier rêve ? » au lieu de « votre dernier emploi», avant d'éclater de rire (on n'avait jamais entendu un éclat de rire dans l'agence) en se rendant compte de son lapsus.
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