jeudi 12 septembre 2019

FAUVELLE, MICHON, COETZEE, LA VENUS HOTTENTOTE ET L’ÉCRITURE BONNE.

Pour Jean-Marie Perret

Gravure de Hans Burgkmair, vers 1508 représentant les khoekhoes
Sensible à certaines remarques qu’on aura pu me faire, je reviens, fidèle à ma manière à la fois concentrique, allusive et indirecte d’envisager, comme je peux, les choses, au livre de François-Xavier Fauvelle, A la recherche du sauvage idéal, qui m’a fourni le point de départ de ma récente réflexion sur quelques impostures courantes de notre poésie. Oui, on ne saurait trop insister sur l’originalité et l’intérêt de la démarche par laquelle cet ouvrage tente de rendre compte de la réalité d’un très ancien groupe humain que les aléas de l’histoire auront amené à disparaître non sans nous avoir laissés construire d’eux une image désolante qui en dit long sur les carences de notre propre équipement moral.



Partant, à travers le livre de J.M. Coetzee, intitulé En attendant les barbares, de ce qu’il pense être notre fascination pour tout ce qui incarne à nos yeux « l’étrangeté radicale », c’est par une succession d’éclairantes régressions temporelles, d’aujourd’hui au tout début  du XVIIIème que F.X. Fauvelle nous conduit dans son dernier chapitre à partager ce qu’il imagine, grâce à l’ensemble des sources qu’il a pu rassembler, avoir été, quelque part, dans la vallée de l’Orange, la vie d’un kraal (campement) khoekhoe. 


Ce que je retiens de ce que l’histoire fit de cette population d’africains « malencontreusement placés au mitan de l’une des routes commerciales les plus importantes de l’histoire de l’humanité », c’est la difficulté qui, face à l’étrangeté, l’altérité, des manières et des êtres, semble avoir toujours été la nôtre, à sortir de notre statut de spectateur, pour entrer avec elles dans une relation plus égalitaire. De sujet à sujet. L’épisode bien connu des violences tant physiques que symboliques infligées, par toutes les couches de la société, jusqu’aux savants les plus reconnus, à la malheureuse Vénus hottentote, Sarah Baartman, devenue pièce de musée, n’en fournit, dans l’exposé de Fauvelle, que l’expression la plus emblématique.


À ce propos j’imagine, si le sujet l’avait intéressé, le livre qu’un auteur comme Pierre Michon aurait pu tirer d’une telle figure. L’exemple de la façon dont  il aborde à partir de ce qu’il sait et imagine de la vie du facteur Joseph Roulin, celle en grande partie mythifiée de Van Gogh, les pages qu’il consacre dans son livre autour de Rimbaud à Carjat, ce second couteau qui s’était rêvé artiste et ne doit qu’à quelques photographies de célébrités de ne pas avoir sombré totalement dans l’oubli, ou plus significativement encore celles qu’ils réservent aux premiers bénédictins venus, autour de l’an Mil, établir leurs monastères dans les îles et les marais de Vendée, oui cela me fait rêver à la manière dont ce grand écrivain, par la stupéfiante façon qu’il a de rendre compte, plongeant dans les profondeurs des choses, de leur caractère muable et incertain, serait parvenu à faire lever dans les mots, puis dans notre pensée, puis dans notre sensibilité, cette puissante pâte humaine que, par ses origines et sa destinée, mais aussi son irréductibilité foncière, lui aurait offerte un être tel que Sarah Baartman.


Mais il y a du Michon, du moins par une certaine disposition de l’intelligence, dans le soin que F.X. Fauvelle prend de mettre en évidence, sans rien rabattre de la qualité et de la précision de sa documentation, le caractère incomplet et à jamais ouvert de son tableau final, tissant ouvertement les images fantasmées qu’il élabore, des fils qu’il emprunte à ses diverses sources. Par quoi nous est sinon prouvé, du moins rendu en partie manifeste, qu’il existe une science ou une connaissance, bonne. Comme il existe aussi une bonne poésie. Qui se soucie des conditions de vérité ou du moins d’authenticité dont elle procède. Ce qui n’exclut ni l’invention, ni l’imagination. Mais relève par son refus de vouloir à jamais enfermer les choses, d’un respect et d’un souci généralisés mais toujours bien particuliers, d’être.

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