mercredi 3 juillet 2019

UN CONTE POUR SAUVER LES FILLES ET LES MÈRES ? LOUISE D’ISABELLE ALENTOUR CHEZ LANSKINE !

Non, Louise, cet ouvrage de poésie qui raconte l’histoire d’une femme violée de façon répétée au cours de son adolescence, par un beau-père, n’est pas un livre tragique. Terrible si l’on veut, comme l’est à coup sûr, l’histoire de ces femmes syriennes évoquées dans cet autre beau livre d’Isabelle Alentour composé d’après le documentaire réalisé par Manon Loizeau1 sur la façon dont le régime de Bachar Al Assad utilise le viol comme instrument de répression. Mais de même qu’Ainsi ne tombe pas la nuit loin de se terminer sur le constat de l’anéantissement de ces femmes doublement martyres, du régime inhumain du Boucher de Damas et du caractère impitoyable de la coutume, montre au final toute la beauté de leur dignité puissamment réaffirmée, Louise témoigne d’une forme de reconquête de soi-même et se conclut sur l’espérance revenue de « la belle clarté [et de] la belle sérénité du matin. »






En fait, le fil directeur de ce récit-poème est moins l’histoire de ce viol subi par l’héroïne (j’emploie ici volontairement le mot) à l’âge de 14 ans que celle, beaucoup plus large et plus complexe, de sa relation déçue avec une mère apparemment dépressive, faible en tout cas, qui en dépit de son amour, aura fermé les yeux ou n’aura pas su protéger comme elle l’aurait dû, son enfant. C’est l’histoire d’une fille qui s’est sentie abandonnée que nous raconte Louise. Pas celle uniquement d’une adolescente violée.



Le livre d’ailleurs s’ouvre et se conclut de façon significative sur la mort de la mère. Prétexte au tout début à revoir au grenier, d’anciennes photographies et à s’interroger sur l’énigme d’une existence qui, elle aussi, aura comporté son lot singulier de douleur. Pour finalement dans les dernières pages saisir intuitivement le lien profond de souffrance et de déchirement qui les attache l’une à l’autre.  Et, par delà tous les reproches, et les appels non entendus, refaire corps avec la disparue, dans l’apaisement, le calme revenu de la mémoire.



Disons-le quand même aussi, Louise n’est pas un livre facile. On ne l’appréhendera pleinement qu’après l’avoir relu. Non seulement parce que l’écriture très élaborée d’Isabelle Alentour est infiniment et heureusement plus du côté de la suggestion et de l’ellipse que du compte-rendu détaillé et analytique,  mais parce que l’intelligent et subtil dispositif énonciatif qui le soutient ne livre pas à première lecture toutes ses clés. C’est là d’ailleurs que réside une certaine spécificité de la poésie qui plus qu’aucune autre forme de parole résiste à toute lecture impatiente et superficielle. Ainsi Louise, le personnage, s’exprime-t-elle au style direct, à la première personne, tantôt par l’intermédiaire d’un pronom « je », signe qu’elle est alors redevenue, en partie, sujet de sa propre parole, tantôt au moyen d’une forme plus étrange, clivée, un « j/e » qui marque formellement le moment de son existence où elle menace de basculer dans la folie et se voit accueillie en hôpital psychiatrique. Entre ces deux instances, c’est à travers la troisième personne qu’Isabelle Alentour évoque les moments impossibles à dire, qui auront suivi son viol, accompagnant toutefois son personnage de paroles adressées et attentives comme pour lui témoigner qu’elle ne reste pas seule et suivre le mouvement qui la conduit lentement à briser l’armure qu’elle s’est constituée, sortir de l’espèce de mutique et radicale altérité où la violence de ce qui lui a été infligé aura failli la maintenir.



Car si Louise est bien ici une pathétique et douloureuse victime, elle ne se réduit pas à ce triste statut. Chevalière à rebours qui affronte, contre sa volonté, les monstres, elle finit par trouver les mots puis les paroles puis la force qui, la délivrant progressivement de la carapace mortifère dans laquelle elle a dû, en l’absence d’autre protection, trouver refuge, lui permettront d’écrabouiller sur le drap la hideuse araignée, symbole de toutes les abominations qu’on lui aura infligées et laissées subir dans la solitude et le noir. Puis enfin libérée, rêver d’un livre plus lumineux, plus heureux que ceux qu’on fait lire aux enfants. Un conte enfin qui sauverait et les mères et les filles.



J’imagine bien volontiers que le livre d’Isabelle Alentour qui sans se laisser aller à une fiction autobiographique, sait d’expérience de quoi tout cela retourne, est fortement nourri de cette belle espérance. Lui qui sait dans une série de petits textes dispersés en italiques, faire revivre la somme des tendres et parfaits souvenirs d’enfance dont son héroïne (j’emploie toujours ici volontairement le mot) conserve au cœur la nostalgie, en acceptant que désormais, comme le visage toujours aimé malgré tout de sa mère, ils soient passés, sur l’autre rive.

 

Note :
1.       Il s’agit du documentaire, Syrie, le cri étouffé, qu’on peut visionner sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=djqLnSaAR6w

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