Le Fuxing Park Shanghai, Source Wikipedia |
Tenter de rendre compte dans son détail et ses mille et une
subtilités de l’ouvrage de Pierre Vinclair que les éditions LURLURE, viennent
de m’envoyer en compagnie d’un autre bien intéressant ouvrage d’Ivar Ch'Vavar
que je compte avoir le temps de lire plus attentivement dans les semaines qui
viennent, est une tâche à laquelle je préfère ne pas me risquer, conscient de ne
pouvoir rivaliser avec l’acuité du regard critique et l’ampleur réflexive de l’auteur
de Terre inculte, ouvrage consacré
par Vinclair à donner tout en la commentant pas à pas, sa propre traduction du Waste land de T.S. Eliot.
Bien qu’il se veuille
écrit « avec les mots si clairs
d’une langue si propre », un livre
comme Sans adresse, exige des
lecteurs compétents, bien au fait des problématiques nombreuses auxquelles il
entreprend en partie de répondre car ce livre n’est pas simplement « ce recueil de doutes et de joies, de peines,
d’ennuis, mais aussi d’illuminations, d’idées loufoques, d’interrogations
politiques ou esthétiques » que nous présente son éditeur, recueil qui
serait un peu parent, de par le sentiment d’exil éprouvé par l’auteur parti
depuis plus de sept ans dans les terres lointaines d’Asie, des magnifiques Regrets de Du Bellay, assurément l’un de
nos touts premiers poètes.
Sans adresse dont
le titre, joue ici sur les mots, est un livre adressé. En reprenant la formule
caractéristique des Regrets où Du Bellay
interpelle les divers destinataires de ses sonnets, Pierre Vinclair lui donne
figure de confidence, quitte parfois comme l’exprime très clairement le poème
placé en quatrième de couverture à placer son lecteur inconnu, celui
précisément du livre, dans l’inconfortable situation de se sentir sinon
repoussé, du moins peut-être parfois, de trop.
Écrivant à l’aimée, au parent, on ne fait
Pas de « l’art », mais un don – son regard. Adressé,
Le poème peut être ainsi qu’un masque, encore :
Avec deux trous, pour que tu y mettes tes yeux.
Tu peux tout voir – sauf le motif à la surface :
Une grimace horrible au lecteur inconnu »
C’est vrai que le livre de Vinclair ne cache rien des mille
et une trivialités de l’existence, un peu lasse qui est la sienne dans ce Shanghai
où rien d’autre que l’attachement à son épouse qui y travaille ne semble le
retenir. À un ami qui suit un régime sans gluten il avoue être flexitarien, composant avec cette
matière l’incipit d’un sonnet qu’on pourrait croire parodique si ce n’était le
sérieux que l’auteur met dans sa démarche. Une démarche qu’il explique
d’ailleurs longuement à travers un échange qu’il reproduit entre lui et le
poète Laurent Albarracin.
On sait que le sonnet, cette forme d’origine italienne, dont
Du Bellay fut, chez nous, avec l’Olive
l’un des premiers introducteurs, travaillant ainsi à établir le modèle d’une forme
qui allait devenir dominante dans notre poésie, n’a jamais disparu de notre
champ artistique : les poètes les plus modernes n’hésitant pas à la
reprendre à leur compte avec les plus diverses intentions. Roubaud, Réda, Cliff
comptent parmi les plus notables auxquels on ne manquera pas d’ajouter le trop
méconnu Robert Marteau qui en fit, avec ses différents journaux, l’instrument
d’une aventure poétique absolument merveilleuse, unique je crois en son genre.
En ce sens Pierre Vinclair n’innove pas. Ce qui ne signifie
pas qu’il ne s’essaie pas ici, à quelque chose de singulier. Il n’est bien sûr
pas question pour lui de concourir au prix des Rosati et d’ignorer tout ce que
l’histoire de la poésie a pu entraîner sur le plan tant du renouvellement des
formes que sur celui de la relation entre celles-ci et le sens. Mais, contrairement
à certains qui n’ont recours au sonnet que pour jouer du décalage entre la forme
terriblement classique et prétendument dépassée qu’ils y voient et les jeux de
tonalités les plus ouvertement modernes ou contemporains qu’ils y fourrent, cherchant
par-là à produire un certain effet plus ou moins subtil d’humour ou de comique,
Vinclair insiste dans l’échange susmentionné avec Laurent Albarracin sur le
fait qu’il n’utilise cette forme que comme un génial instrument de pensée, l’obligeant
à tenir ensemble deux rythmes : le métrique d’abord, donné par les césures
et le mélodique ensuite, déterminé par les unités de sens et la construction de
la phrase. L’idée qu’il semble poursuivre, à savoir qu’il serait possible
aujourd’hui d’inventer un usage déshistorisé
du sonnet qui permettrait toujours de dire et de chanter le monde, sur tous les
plans, sur tous les tons et en faisant appel à tous les niveaux de langues ne
me paraît toutefois pas être une idée si nouvelle, comme le montre par exemple
un texte comme le Sonnet poubelle d’Hervé Le Tellier auquel
je me réfère régulièrement dans mes interventions. Ce qui n’empêchera bien sûr
pas le lecteur d’apprécier, comme je l’ai fait, tout l’effort de ce livre-journal pour parvenir à tracer,
sous « le corset des mots »,
les signes vrais et justes d’une vie qui veut se montrer sans posture, « se regarder sans poser » dans sa
mobile, critique et interrogative quotidienneté.
« La poésie hélas
n’enivre/ que l’original qui s’y livre », finit par reconnaître Pierre
Vinclair en conclusion de l’un de ses touts derniers textes. Je ne le
démentirai pas sur ce point, bien conscient comme je l’ai toujours dit, que
l’effort de création qui porte l’entreprise poétique comporte en lui-même sa
propre récompense : cette « joie
puissante du poème où tout se tient » écrit Vinclair. Victoire
personnelle provisoirement remportée sur le chaos ou l’exil. À l’intérieur
d’une langue qui nous sépare en même temps qu’elle unit. Ce qui ne signifie
nullement bien sûr qu’il ne sert à rien de lire de la poésie. Heureusement. Car
par la lecture aussi, bien des originaux s’y livrent. Ne cherchant nulle
vérité. Aucune insaisissable réalité. Simplement comme dit pour finir,
Vinclair, la merveille. De se sentir
relié.
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