J’apprends aujourd’hui la mort de Marie-Claire Bancquart. Elle fut l’une
des toutes premières véritables poètes vivantes qu’il me fut donné de
rencontrer. L’une des premières aussi que j’imaginais de faire rencontrer, il y
a une bonne trentaine d’années, à mes élèves et à se voir sélectionnée pour le
Prix des Découvreurs. Les mots me manquent pour exprimer la reconnaissance que
j’ai à la fois pour l’accueil qu’elle m’a réservé et la haute idée de la poésie
qu’elle a contribué à forger en moi. La mort n’était pas pour elle cette chose
terrible et angoissante que presque tous nous craignons. Mais une réalité qui
continue à nous faire participer au grand devenir de l’univers. Elle était ce
quartier d’orange dont le jus coule entre nos dents, image qu’elle reprit en
titre pour l’un de ses plus beaux recueils paru en 2005 chez Obsidiane. Et au
sujet duquel je me permets de reprendre ce que je lui en écrivais après l’avoir
reçu.
Chère Marie-Claire,
dans ce grand tintamarre déplorable
du temps, le recueil que vous venez de m'adresser est sans doute un des rares à
en appeler clairement au mystère et à l'émerveillement de notre présence totale
au monde. Un monde qui n'est pas simplement ce malheureux monde fracassé de
l'existence sociale défaite à force de manipulations politiques et financières mais
aussi le grand monde ouvert et resserré à la fois de notre existence charnelle
tissée d'un infini de fils à l'ensemble de l'univers.
Chère Marie-Claire, toujours, ce
qui m'a retenu dans votre travail, c'est qu'il travaille un espace qui
s'affirme comme l'un des plus ouverts et des plus larges de notre poésie
actuelle. Aussi bien celui de la langue et des mots, celui de l'Histoire et du
mythe, comme il sied sans doute à l'ancien professeur que vous êtes et qui,
entre autre, vous constitue, que celui surtout des petites histoires de notre
quotidien, petites histoires du corps sensible jusqu'à éprouver en lui les
présences lointaines, diffuses, diffractée et réfléchies des millénaires, reconnues
à travers celles des animalités autant que des végétations voisines. De là mystères
et correspondances. Et interrogations – sur l'origine autant que sur la
destinée (Qui?). Mais surtout, affirmations de présences et de liens.
Car ce qui me frappe aussi dans votre
poésie, surtout dans ce dernier livre, notamment par rapport à sa thématique
propre, telle qu'annoncée en couverture, c'est sa considérable énergie. Son
absence également d'apitoiement sur elle-même. Si souffrances et douleurs
essentielles y sont comptabilisées et fortement, à débit, elles n'impliquent
dans le ton aucun dolorisme. Ce qu'affirme d'ailleurs magnifiquement le parfait
trimètre du titre dont les deux menaçants segments extérieurs ne font
qu'exalter l'image juteuse, ensoleillée, prise entre.
Peu de livres, à ma connaissance,
se sont ainsi situés dans la perspective d'affirmer, comme vous le faîtes
admirablement cette sensualité trouvée même à la mort, la mort proche,
approchée sans terreur, comme une participation d'un autre ordre à la dynamique
fondamentale de l'univers. A une vie, cette fois, sans alphabet, sans mot. A
hauteur de champignons. De plantes.
Vous lisant, mal habité, ces
derniers temps, de tristes sentiments d'échec, d'angoisse et d'inquiétude aussi
pour des proches, plongé dans le rétréci des choses, l'obscurci, le repli de
ceux qui doutent maintenant de leur courage, je vous remercie de ce rappel à
l'ordre, non pas heureux, mais rayonnant, des vivantes richesses du monde.
En amitié.
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