LE TINTORET SUZANNE ET LES VIEILLARDS VIENNE |
Il est des livres
dans lesquels j’ai plus de difficulté à entrer que d’autres. Ainsi les ouvrages
à caractère moral reposant sur des successions d’aphorismes. Je crois que
l’évolution de ma propre pensée m’a progressivement éloigné de tout ce qui,
formule générale, concept ou autre, tend à emprisonner la réalité dans l’obscure
abstraction des structures closes.
Le livre de Jean-Pierre
Vidal, Exercice de l’adieu, n’est donc pas, a priori, fait pour
moi. Lui qui dans la lignée de poètes-penseurs ou de penseurs-poètes comme
Joubert, par exemple, auquel il se réfère dans une partie importante de son
ouvrage, se présente à première vue comme un composé de notes visant à traduire
son expérience vécue en réflexions générales sur l’amour, la beauté, le désir
ou la perte, sans compter l’âme, le corps, le temps ou la présence…
On ne jouit
toutefois que par contraste. Cet aphorisme que je répète à l’envi depuis des
siècles au point de ne plus même savoir à qui je l’ai emprunté, s’est une
nouvelle fois vérifié à la découverte de ce beau livre que j’ai lu tout en
pratiquant de ces lectures auxquelles je suis mieux habitué. Et, outre bien entendu,
la parfaite maîtrise de la langue qui est celle de Jean-Pierre Vidal, j’ai pris
plaisir, non à tenter de réfléchir à certaines des pures formulations qu’on y
trouve, mais à suivre une sensibilité confrontée au caractère poignant d’une
vie dont on s’aperçoit qu’elle n’a plus totalement, physiquement, prise. Ni sur
le temps, qui jeune, ne semblait pas être compté. Ni sur les corps qui, pas
encore, pour elle, se dérobaient.
Exercice, le
mot employé par Jean-Pierre Vidal, ne doit pas être pris dans son acception
scolaire. C’est dans sa dimension spirituelle qu’il doit être entendu. Car il s’agit ici non d’un effort de
style, mais d’un effort d’âme. Qui, animé par les ressources propres de l’intelligence
tout à la fois inquiète et lucide s’appuie sur de puissants intercesseurs telles
les œuvres diverses de Rimbaud, André Dhôtel, Joseph Joubert ou de Simone Weil.
Pour se porter à la hauteur de ce qu’impose le passage des temps. Savoir :
habiter l’adieu. L’adieu comme présence. Ce qui me semble devoir être l’une des
sagesses, parmi les plus profondes, de l’âge comme aussi de la poésie.
Marie Alloy dans un éclairant texte de présentation parle mieux que je ne saurais le faire, du
livre de Jean-Pierre Vidal qu’elle a édité dans sa belle collection du Silence
qui roule. J’y renvoie. Ajoutant toutefois avant de terminer, que m’aura aussi
particulièrement retenu dans cet ouvrage, la discrète façon dont à
travers l’effort de réflexion de son auteur, la tension qui le porte vers une
conscience vivante et réactualisée de la somme de ses diverses expériences, se
dit tout de même l’intime, toute la présence en creux, d’une vie sensible,
charnelle et singulière. Ainsi de cette relation à la jeune beauté plus admirée
qu’aimée dont on sent bien quelle blessure secrète – à moins que ce ne soit
chez moi qu’effet pur de lecture – elle laisse. Et c’est cela peut-être qui
fait que Jean-Pierre Vidal est poète. Profondément. Ses livres ne lui servent
pas simplement par les mots à mesurer puis combler la distance. Ils savent prolonger
jusqu’à nous, leurs murmurants silences.
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