jeudi 8 décembre 2022

PHILOSOPHIE DE NOS VIES VULNÉRABLES. COMPTINES DE L’INEXISTENCE D’ALEXANDRE BILLON CHEZ GROS TEXTES.

Alexandre Billon est philosophe. C’est un fait. Il est aussi poète. On le sent. Attaché à sa famille, c’est encore un époux amoureux, un père qui reste aussi un fils. Le fils d’un père mort avec lequel il continue d’entretenir le dialogue. Sur leur façon d’aimer le monde. Et de le trouver beau.

N’étant pas philosophe, je me suis toujours un peu perdu dans les notions d’être, de non-être, de néant, d’existence, d’inexistence, ne retenant finalement vraiment des choses que les phénomènes par quoi elles se manifestent ou pas à ma sensibilité. Paradoxalement, c’est le cas aussi, je pense, d’Alexandre Billon, pour qui la lumière du soleil, le mouvement des vagues, le vol d’un cerf-volant, la couleur d’un vieux slip, les bouts d’écorce d’un marronnier ramassés dans une cour d’enfance, une gorge qui pique, l’absence même de l’être aimé s’écarquillant au bout des doigts, en disent bien plus long sur notre condition que toutes les métaphysiques.

Ce qui ne veut pas dire que la poésie d’Alexandre Billon soit du genre réaliste. Que non. Fantaisiste, humoristique, pourquoi pas fantastique, procédant au fond d’un esprit joueur à la fois curieux, farfelu et inquiet, qui n’aurait pas coupé ses liens avec l’enfance, elle se lance régulièrement dans de folles imaginations[1], s’ouvrant devant elle le champ finalement vaste pour la pensée de cette inexistence dont elle prétend ramener ses comptines surprenantes souvent, autant que douce-amères.

Comptines ? Il me faut quand même interroger ce mot qu’utilise Alexandre Billon pour titrer son recueil. Tantôt longs, tantôt courts, ses textes n’ont rien de particulièrement rythmés, se refusant généralement au mètre comme à la rime. Et si jeu bien sûr il y a ce sont jeux de pensée, non ces jeux bien connus de formules propres à la comptine, auxquels nous avons affaire. Quelques répétitions ponctuelles, « d’néant d’néant, d’néant » ou « groin groin groin » ne suffisent en effet pas à imposer à nos yeux l’idée que la fameuse souris verte de nos enfances, les pic et pic et colegram, sans compter les ratatam, nous ont laissée de ces populaires créations qui nous apprenaient à grandir. Le terme de comptine me semble donc là tout simplement pour conjurer l’esprit de sérieux qu’on pense trop souvent être le propre du philosophe. Plus profondément peut-être pour exprimer de la part de l’auteur l’idée certes un peu pathétique qu’il est toujours l’enfant attendant du jeu qu’enfin il le désigne. Ou le libère. Car on ne peut s’empêcher de penser, à la lecture de ce livre, qu’il tourne finalement tout autour d’une blessure. La perte de ce père qui reste au fil des pages le papa avec lequel on échange. Qu’on ne se résigne pas à voir retourner au néant, quoi qu’en puisse dire Parménide. Finalement, il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour me faire avancer ici que ce livre un peu foutraque et vivant qui ne roule pas des mécaniques et d’apparence souvent drôle, reste en fait dominé par un fort sentiment de vulnérabilité. Ce qui me va très bien. Tant je pense, que si comme le dit Aragon, « rien n’est jamais acquis à l’homme », c’est bien pour cela qu’il nous appartient de saisir chacun des instants héraclitéens qui passent. Et d’embrasser autant qu’on peut nos morts. Sans oublier les vivants.



[1] Comme quand par exemple elle imagine un monde se retournant sur lui-même où de « la bouillie marron rose » que nous mâchons savamment, sortirait une saussice Herta redevenant devant nos mains qui se desserrent, un beau cochon groin groin qui disparaît dans les champs.

 


 

mardi 6 décembre 2022

APRÈS-MIDI DÉCOUVERTES AU CHANNEL DE CALAIS AVEC CHRISTOPHE MANON, LAURENCE VIELLE ET LE MUSICIEN JERÔME PAQUE.

Des années que nous avons le plaisir d’accueillir pour leur faire découvrir un peu la poésie contemporaine les élèves du lycée Berthelot de Calais. Dans l’un des cadres aussi parmi les plus extraordinaires de notre région : la salle du Passager que l’équipe de la Scène nationale du Channel que l’on ne saurait trop remercier met à disposition.

mardi 29 novembre 2022

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. À LA RENCONTRE D’ALAIN LÉVÊQUE À L’ATELIER CONTEMPORAIN.


Je ne connais pas Alain Lévêque. Il me semble pourtant à le découvrir aujourd’hui dans ce livre de l’Atelier contemporain, intitulé À la rencontre, sous-titré, Carnets & essais sur des peintres, 2003-2020, que sa façon d’aborder la vie, la vie à travers la peinture, la poésie, les paysages, toute l’immensité des choses du monde, à partir de la reconnaissance largement consentie de notre finitude, qu’il est de ces esprits amis, de ces compagnies fraternelles que le temps, l’étude, les voyages, les rencontres, toute l’attention portée à ce qui nous entoure, m’auront heureusement permis de rassembler en moi.

vendredi 25 novembre 2022

ANTHOLOGIE DÉCOUVREURS. SHIFUMI DE LAURENT ALBARRACIN.

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Les amateurs de poèmes courts, j’imagine qu’il s’en trouve au moins autant sinon plus, que de poèmes longs, trouveront j’espère leur bonheur dans ces neuf shifumi – j’hésite à mettre ou pas un « s » - que j’ai retenus du dernier livre de Laurent Albarracin qui part donc de ce jeu bien connu emprunté au Japon qui lui a donné son nom. Chez nous le pierre, papier, ciseaux aura fini par supplanter la mourre, ce jeu du nombre illusoire des doigts qu’évoque dans L’Ermite, Guillaume Apollinaire. Oui, Guillaume, les humains savent tant de jeux ! Dont ceux qu’ils pratiquent avec les mots (nombre/nombril !), toutes les formes du langage, reportées sur la page, modulées par la voix, éclairées par l’esprit, sont loin d’être les moindres.

Au lecteur maintenant de jouer. Peut-être aussi d’arbitrer. S’il retrouve bien entendu la règle. Qui sans doute est extensive. Souple. L’art ayant quand même toujours besoin pour se parfaire, de liberté.

jeudi 24 novembre 2022

SHIFUMI. LE DERNIER OUVRAGE DE LAURENT ALBARRACIN AUX ÉDITIONS PIERRE MAINARD.

Geishas jouant à une variante du shifumi par Kikukawa Eizan, vers 1820

Finalement on aime quand la poésie s’en remet à ce que pour l’essentiel peut-être elle est faite. Jouer librement dans une forme bien à elle et reconnaissable, du rapport que notre langue entretient avec les choses parfois elles-mêmes inventées, donc avec la langue, que nous ne cessons, artistes si l’on veut, de recréer. Bon. Shifumi, le petit livre de Laurent Albarracin que viennent de publier les éditions Pierre Mainard, doit être dit par moi, aimable. Méritant d’être aimé. Sans pour cela qu’il cherche à plaire ou à faire illusion.

lundi 21 novembre 2022

À QUI VRAIMENT L’ATTRIBUER ? À PROPOS DE CONNAISSANCE DU CENTRE AUX ÉDITIONS LANSKINE.

Il y a des rues, du ciel, des toits, des arbres, des trains, des couleurs, des saisons, de l’air… et par-dessus tout, comment dire, la forte sensibilité, l’intelligence subtile, d’une femme qui participe ici de la respiration profonde, unique et puissante de l’univers. Les hommes n’y sont pas oubliés, certes. Mais ramenés en fait à leur échelle absurde, dérisoire. (p.92)

Poreuse au monde, Cécile Riou, de toute évidence l’est. Non seulement de façon passive comme on le voit souvent mais de manière active. Avec une constance en tout cas qui ne se dément pas.  « Promeneuse », elle se dit.  Démarquant bien ses itinéraires de tous ces parcours casaniers que dictent les obligations sociales, le souci de leur commune ou singulière rentabilité, (p.70) elle marche. Elle roule. Et vole. S’envole. De son appartement/terrasse au cœur de la ville de Bourges où en partie elle travaille, jusqu’au soleil, à la lune, aux étoiles, faisant sienne finalement la remarque de Pascal à propos de l’infini dont le centre comme il dit est partout.

mardi 15 novembre 2022

SUPPORTER L’INSUPPORTABLE. SUR LE LIVRE DE FRANÇOIS COUDRAY ÇA VEUT DIRE QUOI PARTIR AUX ÉDITIONS ALCYONE.

De quelle consolation sont capables les mots ? Face à la perte. Au deuil. À la souffrance, impossible chez certains, à supporter. Je ne sais. Ne sachant en fait qu’une chose : c’est qu’ils restent nécessaires. « Il fait plus clair quand quelqu’un parle » nous fait comprendre Freud. « Toute peine est supportable dans la clarté » écrit la philosophe Simone Weil.

Mettre des mots sur le suicide d’un frère plus jeune[1], s’interroger sur tout ce que la réalité comme le sentiment, de son absence, aura transformé et continue de transformer en lui, constitue le dur et sans doute indispensable travail auquel François Coudray s’est jeté au sens presque physique du terme, dans l’ouvrage qu’il fait aujourd’hui paraître chez Alcyone. Divisé en 3 courtes sections, Cendre[2], Lieu, Corps, émaillé de diverses expressions ou citations empruntées à une bonne dizaine d’auteurs aimés, Ça veut dire quoi partir est un livre par lequel une douleur tente progressivement de s’habiter elle-même, la déchirure d’une absence de se recoudre en présence, un vide enfin de se renverser en plein.