mercredi 5 septembre 2018

ON NE LIT PAS POUR LE PLAISIR !


Il est, en matière de lecture, des stéréotypes dont la répétition m’agace de plus en plus profondément. Celui en particulier de ces médiateurs de culture qui s’acharnent à vouloir convaincre que lire est un plaisir, un « délice », chose dont je ne conteste pas la possible réalité, bien entendu, mais le peu de pertinence qu’elle possède par rapport à la finalité qu’elle vise, à savoir : défendre, au profit des publics principalement les plus démunis - et ces derniers ne font apparemment que s’étendre - l’idée que la dite lecture est indispensable au développement d’une subjectivité ouverte capable de résister aux diverses puissances d’asservissement de l’esprit humain, que nos sociétés numériques ont considérablement renforcées.




S’il est aujourd’hui un impératif, face à la multiplication des clichés par lesquels notre société tend à faire se coaguler nos réactions devant l’image de plus en plus artificialisée qu’elle nous donne du monde, c’est bien celui de valoriser toutes les entreprises de dé-standardisation, de dés-homogénéisation permettant à nos sensibilités d’opérer ces recadrages perceptifs par lesquels l’esprit prend conscience de l’importance des filtres qui s’interposent entre lui et la réalité et de la responsabilité qui, de ce fait, lui revient, de refuser de se laisser coloniser par telle ou telle représentation ou pensée imposées insidieusement de l’extérieur. Ce qui implique un effort certain en vue de se construire.



Ou du moins de le tenter.



Ainsi, les ouvrages que nous proposons au titre de la participation des établissements au Prix des Découvreurs ne doivent pas être lus pour le plaisir. Si ce n’est celui, in fine, que confère la satisfaction de toute activité tant soit peu émancipatrice. Et d’avoir entrouvert sa fenêtre sur des paysages nouveaux.



À l’heure où comme le signale Yves Citton dans son dernier ouvrage Médiarchie, « grâce à l’effet-réseau, l’impact en termes de media sociaux des plus grands succès dans tous les genres est dramatiquement plus grand que celui des titres secondaires [et qu’il ] paraît désormais clair que l’avenir du divertissement de masse ne sera pas de «  vendre moins de davantage de titres  », mais de vendre beaucoup plus d’exemplaires de titres en nombre plus restreint », le choix des Découvreurs de faire entrer dans les classes des œuvres parfois publiées à moins de 300 exemplaires par de « micros éditeurs » dont aucun média de masse ne connaît et ne mentionne jamais l’existence, est un choix qui va beaucoup plus loin que la tentative de promotion d’un genre littéraire déclaré par certains obsolète et en voie de disparition. À l’opposé de ceux qui voudraient « actualiser » les références littéraires des jeunes des écoles en faisant entrer en masse les produits pour la plupart formatés de l’industrie du livre de jeunesse, les Découvreurs entendent rappeler chacun et les enseignants bien sûr en tout premier lieu, à la responsabilité qu’ils ont de participer réellement et non pas qu’en surface, à l’éveil critique des intelligences et des sensibilités qui leur sont confiées.



Il ne suffit pas de vouloir parce que l’on appartient peu ou prou à ce qu’il est convenu d’appeler les professionnels du livre, élargir par tous les moyens l’offre actuelle et déjà très conséquente de livres. Il faut être davantage conscient de la nature nécessaire  des expériences que l’on veut par cela promouvoir. Qui doivent plutôt que des expériences de consommation, se penser comme des expériences de nature quasiment artistique. Issues d’une forme de curiosité qui ne se fonde pas sur le plaisir de la reconnaissance du même et la satisfaction plutôt mortifère de se découvrir de plus en plus à l’aise dans l’univers modélisé des catégories familières, mais sur l’intensité passionnante d’un parcours où l’esprit se voit réinterrogé sur ses propres capacités d’interprétation et de partage. Dans son pouvoir aussi de création.



On ne lit pas pour le plaisir. Non. Mais pour s’efforcer d’être !

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