La revue en ligne POEZIBAO a
récemment publié le commentaire éclairé de Michel Collot sur l’importante
anthologie d’Yves di Manno et d’Isabelle Garron qui sous le titre d’Un Nouveau Monde, se présente comme « un vaste panorama des écritures de poésie
en France depuis 1960» ainsi qu’« un
récit répertoriant les étapes majeures » de leur histoire.
Dans sa longue et précise mise au
point Michel Collot met avec pertinence l’accent sur les partis-pris, à ses
yeux insuffisamment explicités, qui font que cet ouvrage, par ailleurs remarquable, donne une image
partiale et incomplète du champ de création qu’il est supposé décrire. Comment
en effet justifier écrit-il que des poètes aussi importants, nécessaires et
divers que Philippe Jaccottet, Antoine Emaz, Jacques Darras, Jean-Marie Gleize,
Marie-Claire Bancquart, Robert Marteau, pour n’en citer que quelques-uns,
soient passés sous silence quand d’autres, de peu de poids, dont je tairai
charitablement le nom, bénéficient, c’est vrai, d’une reconnaissance à mes yeux
usurpée.
Michel Collot nous explique que « prisonniers d’un modèle théorique qui
remonte aux années 1960 et 1970, qu’ils considèrent comme l’âge d’or de la
poésie française, les anthologistes sous-estiment des phénomènes qui se sont
fait jour depuis 1980 et qui ont contribué au déclin du textualisme et du
formalisme qui avaient dominé la scène poétique française au cours des deux
décennies précédentes : notamment la réhabilitation et la redéfinition du
lyrisme, une plus large ouverture au monde, et la recherche d’une nouvelle
oralité ».
D’autres explications d’ordre
sociologique pourraient je pense encore être avancées. Dans la société de
réseaux, d’apparences et de réputations qui est la nôtre et auquel le microcosme
de la poésie n’échappe malheureusement pas, la valeur que d’aucuns attribuent
ou n’attribuent pas aux œuvres qu’ils considèrent n’est-elle pas en partie déterminée
par le degré de proximité que leurs auteurs entretiennent avec les principaux
centres de pouvoir éditoriaux qu’ils reconnaissent comme légitimes ou
qualifiants. Et cela indépendamment en partie de l’intérêt propre des œuvres.
Avoir été publiée chez tel ou tel plutôt que chez tel autre, avoir été lue chez
Corti par exemple plutôt que dans la librairie de Saint-Chély d’Apcher ne
compte finalement-il pas plus pour évaluer l’importance de l’œuvre que sa
qualité intrinsèque de soulèvement et de retentissement ?
Alors, il est bon, tandis que la
presse a plutôt unanimement salué le caractère impressionnant et très complet
de l’ouvrage réalisé par Yves di Manno et Isabelle Garron, que la mise au point
de Michel Collot nous aide à mieux comprendre la portée et les enjeux de cette
entreprise qui mène quand même à occulter une part et pas la moins
vivante de la poésie d’aujourd’hui. Celle notamment qui passe par la voix sans
céder au spectacle. Se laisse aussi partager. Sans tomber dans la connivence.
Ou la naïveté.
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