jeudi 27 février 2025

L’HOMME DE SKRIDA, AUX ÉDITIONS ESPERLUÈTE. NOTRE SEMBLABLE DIFFÉRENT.

Non, l’Homme de Skrida n’est pas le titre du dernier polar de l’auteur islandais Arnaldur Indriðason. C’est pourtant comme dans la plupart des livres de cet auteur aujourd’hui bien connu, une sorte d’enquête sur une disparition. Sophie Braganti est en effet de ces écrivains poètes qui partant du présent aiment à explorer le passé. Ce passé enfoui d’avant que nos sociétés modernes n’emportent avec leurs progrès incertains les puissantes et complexes relations que nous entretenions avec notre familier mais toujours plus ou moins farouche habitat terrestre.

Exposé « dans un cube de verre de cinquante centimètres cubes,/ éclairé par une rampe de lampes led » dans le lointain musée d’une île située à quelques kilomètres seulement au sud du cercle polaire arctique, l’Homme de Skrida n’est qu’un petit tas d’os dont un cartel indique en quelques lignes les données que les scientifiques qui l’ont étudié ont pu rassembler sur lui. Découvrant lors d’une résidence d’écriture ces pauvres restes « ramassés presque à la petite cuillère», la niçoise Sophie Braganti décide d’en raconter ou plutôt d’en inventer – au double sens quand même du terme – l’histoire, dans un poème narratif nourri de ses lectures mais de ses longues marches aussi, à l’intérieur du singulier paysage qui s’étend autour d’elle.

mardi 25 février 2025

DEUX NOUVEAUX LIVRES DE VALÉRIE ROUZEAU À LA TABLE RONDE.


 

Bien reçu aujourd’hui les petits oiseaux de la petite dame. Avant de parler du tout dernier je ne peux m’empêcher de revenir sur ce Vrouz qui reparaît donc aujourd’hui dans la collection de poche des éditions de la Table ronde et que je ne saurais trop inviter chacun à lire comme à relire.

Ah ! que la vie est quotidienne […]

Non ! vaisselles d’ici-bas

Jules Laforgue Les Complaintes

 

Dans le monde de l’écriture poétique contemporaine, Valérie Rouzeau occupe une place très particulière. Elle apparaît comme une sorte de phénomène où se concilieraient à la grande satisfaction de nos plus anciens préjugés d’école, l’œuvre d’un côté, la vie de son auteur de l’autre. On aime chez Valérie Rouzeau cette impression qu’on a, quand on la voit, d’un être totalement raccord comme on dit, avec celui qu’elle nous donne à imaginer dans chacun de ses livres.

vendredi 21 février 2025

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. ÉRIC SAUTOU, LE SOUVENIR, AUX ÉDITIONS UNES.


 

Rassemblant les doutes, les inquiétudes, les interrogations, les images, les attentes, les constats souvent douloureux, qui font pour lui toute l’obsession de sa relation incomplète avec la vie, Éric Sautou, dans la claire et transparente opacité de son dernier livre, ne cesse d’exposer son existence à la plaque sensible d’une parole dont il faut entendre l’émouvante et incisive vibration.

mardi 18 février 2025

RETOUR SUR LES SENSIBLES COMMUNS.

Odilon Redon, L'Art céleste, 1894

 

Il y a de cela plusieurs années, pour tenter d’éclairer les discussions un peu vives provoquées par une réflexion[1] de Marie Alloy dans son bel ouvrage l'Empreinte du visible où elle soutenait en gros l’idée qu’on ne pouvait parler de la peinture qu’en poète, je proposais ces remarques tirées des réflexions d'une personne qui s'est beaucoup intéressée à l'expérience intuitive, Claire Petitmengin. Selon cette professeure et chercheuse en philosophie et sciences cognitives, nous vivons moins dans un monde d'images, de sons et de sensations tactiles, que dans un monde de formes, de mouvements, d'intensités et de rythmes, c'est-à-dire de qualités transmodales, transposables d'une modalité à l'autre, que le chercheur Daniel Stern appelle « vitality affects ». C’est cette transmodalité qui permettrait notamment à l'enfant d'expérimenter un monde perceptuellement unifié (où le monde vu est le même que le monde entendu ou senti). Ce serait elle aussi qui permettrait la résonance, l'accord entre deux univers intérieurs, base de l'intersubjectivité affective.

dimanche 16 février 2025

DÉCOUVRIR AUJOURD’HUI LE DERNIER LIVRE D’ÉRIC SAUTOU, LE SOUVENIR AUX ÉDITIONS UNES.

 

CIMA DA CONEGLIANO ECCE HOMO NATIONAL GALLERY LONDRES

 

Merci aux éditions Unes de m'avoir adressé ce livre d'Eric Sautou que je vais m'empresser de lire. En attendant, ce texte pour aussi le plaisir de l'associer à ce souvenir (pour moi) d'un visage de Christ, admiré il y a quelques années à la National Gallery.

samedi 15 février 2025

ET SI S’EFFACENT DE FRANÇOIS COUDRAY AUX ÉDITIONS L’AIL DES OURS.


 

Avec ça veut dire quoi partir, Prix des Découvreurs 2024, j’ai appris à connaître la poésie de François Coudray et la façon qu’elle a de tourner, pas simplement de tourner mais aussi se retourner puis s’enfoncer dans la béance d’une absence. Celle en l’occurrence pour lui du frère qui n’aura pas supporté, un jour, la blessure pour lui de la vie.

L’ouvrage que les éditions L’Ail des ours a dernièrement publié de lui continue cette exploration en la rapportant également à la figure disparue de deux grand-mères, Yvonne et Juliette, auxquelles le poème des pages 7 à 11 est adressé. Et si le livre est court, comme le veut le principe apparemment de la collection, une vingtaine de pages, accompagnées de reproductions de gouaches de Renaud Allirand, il n’en parvient pas moins à faire sentir au lecteur ce sourd travail du temps qui à l’intérieur de nous rassemble dans un présent qui n’en finit pas de se succéder à lui-même tout un passé qui s’effaçant continue avec nous de faire obscurément corps.

Histoire de toucher. De tact. La main tout au long de ces pages fragiles sera l’image de ce qui dans le poème comme dans l’émouvante et physique réalité fait tout autant signe de deuil que de tendresse, d’attachement. Que ce soit la main dans le souvenir, vieille, qui « caresse grumeaux de farine sur la toile cirée de la cuisine » ou celle fantasmée du frère qui vous envoie d’un geste comme un « avion de papier » loin de lui sur la dune, la main des disparus reste, pour François Coudray, celle avant tout qui guide cette autre main qui, dans le poème, cherche le texte qui tout en leur offrant demeure les laissera libres aussi de s’éloigner de lui.

jeudi 13 février 2025

DEUX POÈMES ANCIENS POUR PENSER L’ACTUALITÉ TOUJOURS DE LA POÉSIE.

CLIQUER POUR LIRE LE TEXTE

 

Depuis quelques années je n’écris plus ou presque plus de poésie. Bien des raisons à cela. Bonnes à la fois et mauvaises. Que je n’ai pas l’intention de communiquer ici. Me reste toutefois non le plaisir mais la chance de pouvoir relire certains des textes que j’ai pu un jour publier et de me rendre compte qu’ils sont toujours vivants. Vivants, c’est-à-dire qu’ils font plus que conserver la puissance de signification que la forme que j’aurai arrêtée d’eux leur a autrefois donnée. Ce pouvoir, ils continuent de l’élargir et de l’approfondir en moi.

Ainsi les deux poèmes que j’entends aujourd’hui partager, extraits de parmi tout ce qui renverse. Dans la dernière partie du livre qui participe à sa façon de sa signification d’ensemble, j’écrivais que j’avais placé côte à côte dans ces deux pages une évocation discrète de la fin du poète russe Ossip Mandelstam et des évènements qui continuent de déchirer le Proche orient.

mardi 11 février 2025

SAUTONS DANS QUI RESPIRE AVEC JADIS POÏENA D’HÉLÈNE SANGUINETTI CHEZ FLAMMARION.

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SAUTONS

dans qui respire,

 

Se servir du point comme tremplin. De la virgule non pas comme une pause, mais une entaille, pour accélérer l’écriture, la pousser en avant. En avant ! C’est le mot d’ordre du poème dans l’œuvre d’Hélène Sanguinetti, même quand, traversé par un deuil, il se tourne vers le Jadis, « la douceur propre au jadis », comme elle l’écrit dans son Avant-Propos qui explique la raison pour laquelle elle a finalement accepté la proposition d’Yves di Manno, de conjuguer dans un même recueil son dernier livre-poème, Jadis, Poïena, sous titré une poème et son tout premier livre, Fille de Jeanne-Félicie, écrit il y a plus de 38 ans.

C’est en fait de mouvements et de relations, d’élans, de ruptures, de coups d’arrêt et de reprises, d’une suite syncopée d’impulsions que procède l’art poétique d’Hélène Sanguinetti. Qui cherche moins à rendre compte du réel qui l’entoure qu’à lui rendre coup pour coup, répondant toujours à la violence à la fois merveilleuse et terrible des choses par une façon bien à elle de stimuler, d’électriser la langue, pour la reconvertir en vie. Jusque dans la chute, la perte ou le regret.

Jadis, Poïena, d’Hélène Sanguinetti, est une mise en théâtre de voix venant de divers points répliquer, au sens presque sismique du terme, au deuil qui l’a frappé. Choc puissant dont les marques restent bien visibles à l’intérieur d’un(e) poème qui, à la façon des grandes lyriques d’autrefois, commence par invoquer les Muses, aujourd’hui devenues ombres et revient par deux fois, à l’intérieur de courts blocs de prose, sur l’enfant qu’elle a été, Fille de mère bien sûr, mais aussi de tout un paysage, milieu, matériel et humain, qui lui auront fait famille.

Alors, quand s’élèvent ces voix, jusqu’à celle de deuil qui aujourd’hui profondément les colore, il se produit la même chose dans sa langue qu’une explosion d’énergie qui fait, qui veut, que « des mers reculent / d’autres avancent », que les « fleurs/fanées se réveillent,/ se remettent/ en bouquet,/ de l’autre côté/ de la frontière, », tandis que les images toujours vives des anciennes amours reviennent, descendent « sans freiner/ à peine un bout/ de savate ROUIIIIINNNNN ! » jusqu’à l’eau de la rivière.

Ça sent bon alors « l’amour du sauvage », « l’amour des Huns ».

Ces « Huns » dont en même temps il importe de ne pas oublier la violence destructrice dont ils restent chargés dans notre imaginaire.

 


 

vendredi 7 février 2025

TIEPOLO. PRÉNOM GIANDOMENICO. POUR L’ALLANT SPECTACLE MALGRÉ TOUT DE LA VIE.

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Revoyant il y a quelques jours, pour les classer, les innombrables photos prises à Venise lors du dernier séjour que j’y aurai effectué, les bien surprenantes et attachantes fresques de Tiepolo rassemblées à la Ca’Rezzonico m’ont donné envie d’en savoir plus. On passe dans les musées, on passe dans les rues, on traverse des paysages, toujours trop vite. Et sans savoir vraiment. Et il est bon de prendre le temps parfois de s’arrêter pour comprendre, ne serait-ce qu’un peu ce qu’on croit avoir vu.

En fait, les Tiepolo sont deux. Goethe qui avait pu découvrir leur travail dans la Villa Valmarana ai Nani, à Vicenze, les confondait, célébrant dans son Journal, un style à la fois naturel et sublime, alors que ce « naturel » comme il disait, n’était propre qu’à Giandomenico, ce fils de Gian Battista dont le particulier génie continue toujours aujourd’hui à lui faire de l’ombre.