Le tableau de
Vermeer intitulé la Ruelle est peint
autour de 1658. Ce n'est qu'en 2015 qu'un professeur d'histoire de l'art de
l'Université d'Amsterdam réussit à identifier avec précision non seulement le
nom de la dite ruelle mais aussi l'adresse des deux maisons séparées par des
cours, l'une fermée, l'autre ouverte, qui s'y trouvent représentées. La clé du
mystère se trouvait depuis sa création en 1667, dans le contenu d'un Registre des travaux de dragage des canaux de la
ville de Delft, appelé aussi Registre
des droits de quai, qui précisait
au centimètre près la largeur de toutes les maisons de la ville ! Merci donc à
l'honorable Professeur Frans Grijzenhout
qui du même coup nous permet de savoir que la porte ouvrant sur la courée de
droite était à l'époque appelée Porte des
tripes (Penspoort en néerlandais)
: la veuve vivant dans cette maison, qui n'était autre qu'une tante de
Johannes, gagnant sa vie en cuisinant ces honnêtes et serviables boyaux. Allez.
Un peu de pittoresque flamand ou bruegélien ne peut ici - au 42 de la Vlamingstraat - faire de
mal. Et qu'il me soit permis, au passage, de maudire mon inculture qui me
fit sûrement passer bien des fois en ce lieu, sans jamais y remarquer, dans la
cour que plus de 3 siècles n'auront pas suffi à dissimuler définitivement au
regard, d'ombre de jeune fille penchée, sur le tonneau du temps. Encore moins
le fantôme repenti de cette femme assise qu'on devine toujours un peu dans le
tableau et que maître Johannes aura fait disparaître pour augmenter sa vue d'un
lumineux effet de contraste et de profondeur.
Pourquoi,
recueillant ainsi chaque jour de nouvelles preuves de mon ignorance, ne puis-je
m'empêcher de penser alors devant la masse colorée de la liane qui recouvre
tout le pan de mur à gauche de la composition et lui sert ainsi comme on dit de
portant que ce ne peut être là un lierre comme le prétendent la plupart des
descriptions que j'ai lues. Mon œil y percevant des nuances de mauve veut à
tout prix en faire une glycine. Ce qui d'ailleurs combattrait avec bonheur les
lourdes odeurs de panse qui devaient transpirer de la cuisine proche. Erreur.
La glycine originaire du Céleste Empire,
m'apprend mon cerveau numérique, n'aurait fait son apparition en Europe que
beaucoup plus tard. Au début du XIXème siècle. Pourtant les Pays-Bas de
l'époque de Vermeer, répond mon idée fixe, ne sont-ils pas déjà, par leur
commerce, un peu aussi, la Chine ?
Bref. Pour revenir à
notre bon professeur, on reste comme toujours, d'abord un peu sidéré par
l'intelligence et l'application dont l'esprit humain est capable pour résoudre
toutes sortes d'énigmes qui finalement restent d'un intérêt bien secondaire. En
tout cas pour tout le reste, à quelques exceptions près, de notre grouillante
humanité. Puis on admire. On sent que le monde, la moindre chose a de quoi
incessamment relancer toujours notre curiosité. Nos infinis désirs de
rapprochements. Notre besoin de sens. Et l'on se dit avec bonheur que sans
doute il se trouvera toujours quelque part et parfois même en nous un
professeur Grijzenhout pour mettre nos questionnements les plus rares, comme
j'espère surtout nos plus nécessaires, sur la voie salutaire d'un début de
réponse.