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Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
samedi 28 mars 2020
jeudi 26 mars 2020
mardi 24 mars 2020
POÉSIE ENTRE LITTÉRATURE ET ART. DE SA DIMENSION PHATIQUE À SA NÉCESSITÉ VITALE.
Bernardino Luini, La forge de Vulcain |
Comme tout acte de parole il me semble que la raison première
de la parole poétique est d’affirmer une présence. « Je suis là »,
« Je suis là » dit le poème. Par quoi, sous toutes les formes qu’il
aura prises, c’est toujours un vivant, quel qu’il soit, qui existe et cherche à
se faire reconnaître. Par les autres bien sûr. Et peut-être plus profondément
par lui-même d’abord.
Qu’importe alors ce qui est dit. Misérable ou génial,
bouleversant ou ridicule, pénétrant ou superficiel, élémentaire ou abstrus, le
poème est le signe d’abord, l’indice d’une vie, d’un esprit, d’une sensibilité,
qui se révèlent à eux-mêmes pour s’assurer de leur existence, entrer en
relation avec d’autres vivants, en s’exposant dans le monde.
Que cela s’effectue trop souvent sur le mode un peu vain de
la posture, du contentement de soi, bref de toute la gamme des travers dont est
affligée notre malheureuse nature n’y change rien.
Nous avons besoin de mettre des paroles sur notre vie.
Besoin aussi, par la parole, d’échapper à la solitude foncière de notre
condition.
Ce qui fait toutefois la singularité de cette parole
poétique c’est qu’elle est le plus souvent travaillée pour elle-même,
travaillée sans adresse. Sans que le plus souvent personne n’y soit
personnellement, directement, apostrophé. Un chant, plutôt qu’un discours,
s’élève, sans que son auteur puisse dire exactement qui le recueillera. Qui
l’entendra.
Si bien que cette parole n’a socialement de valeur,
d’importance, que par la somme des
résonances qu’elle est susceptible d’engendrer parmi la diversité des existences
singulières qui lui feront accueil. Ces dernières s’y penchant moins pour y
découvrir quelque information relative à son auteur qu’une sorte d’excitation
de leur propre désir de sens. Une mise en expression de leur propre sentiment
du monde.
Par le jeu des formes et des figures qu’elle mobilise, la
poésie émeut. C’est dire qu’elle met en branle. Constitue une puissance
d’action sur la sensibilité et aussi sur l’esprit de ses lecteurs. Et ce n’est
pas parce qu’elle laisse indifférente la plupart des vivants d’aujourd’hui
aliénés à des formes industrielles de distraction qu’il faudrait la croire
inutile et impuissante.
Si certains ont pu écrire un peu vite qu’elle sauvera le
monde, il est certain quand même que la façon qu’elle a de restituer au langage
un peu de sa forme et de sa force primitives en se faisant non pas le media d’une
illusoire rationalité mais le conducteur sensible d’une relation nourrie
d’intelligences et d’échos avec les mots qui font se lever, dans le cœur et
l’esprit, les choses, devrait favoriser davantage ces pensées de la relation devenues
de plus en plus nécessaires, au détriment des intellectuels et mortifères systèmes
par lesquels nous avons, pour notre malheur, entrepris d’encager le vivant.
Mais comme il existe chez les politiques cette fameuse
langue de bois qui rend insupportables la plupart de leurs interventions, il
existe chez les poètes aussi tout un art de la parole creuse, de l’emballage avantageux du vide qui tout en fédérant autour de lui les médiocres, détourne
de la poésie bien des esprits exigeants ne pouvant se satisfaire de belles
phrases sans portée.
C’est qu’au-delà de sa dimension purement phatique, pour
exister véritablement comme art, il faut à la poésie intention, détermination
et effort. On n’écrit pas pour faire joli. On écrit pour voir clair. Plus
clair. Pas pour faire parade de soi comme ces méprisables montreurs que
dénonçait en son temps Leconte de Lisle mais pour faire un peu avancer en soi, avec et
vers les autres, la science complexe, éprouvante et jamais aboutie de la vie,
qui cherche toujours à se dire. Et de partout nous traverse et déborde.
Cet effort, cette intention, on les voit bien à l’œuvre chez
des poètes qui comme Pierre Vinclair, Ivar Ch’Vavar, Stéphane Bouquet par
exemple voire encore Jean-Pascal Dubost ne se contentent pas de publier des
recueils mais cherchent d’abord à faire livres et ne rechignent pas à faire
avancer de pair l’œuvre purement poétique et l’approfondissement critique.
Dans son tout dernier ouvrage qui reste encore à paraître, agir
non agir, Pierre Vinclair, par exemple, s’interroge à la lumière de la
dramatique crise écologique en cours sur les pouvoirs que la poésie est
susceptible de mettre en œuvre pour concourir à l’édification de ces nouvelles
formes de pensée et d’approche du vivant qui seules nous permettront de
retisser des liens non destructifs avec les autres espèces au sein d’un habitat
terrestre que nous aurons réappris à cultiver et respecter.
On peut trouver l’objectif quelque peu disproportionné par
rapport à la pauvreté de la réception dont le livre de poésie fait de nos jours
l’objet. Mais « faire des livres pour faire des livres, et non parce
qu’on est tendu vers un impossible, n’est que de l’apiculture textuelle ou de
la menuiserie d’épaves » tranche Vinclair pour qui « l’absence
d’effort signe l’affiliation à la littérature, ce corpus de textes inutiles »
alors que l’impossibilité, c’est-à-dire ici l’extrême exigence du projet que
sert l’effort, « signe l’affiliation à l’art ».
Et c’est de cela sans doute, oui, que nous avons besoin :
sortir du champ quelque peu ranci et sans grand dessein civilisationnel de la
littérature, pour artistiquement se colleter en vivant, au vivant, celui
qui comme l’écrit Alain Damasio dans la postface du livre essentiel de Baptiste
Morizot, justement intitulé Manières d’être vivant, relève de la volonté
de s’inscrire dans le monde «en complice, en tisseur, en convive »,
« appelle dans l’écriture une variété de timbres, de poussées, de
salves et de sensations, de souffles et de bourgeonnements », bref,
l’engagement dans tout le corps rendu infiniment présent du poème d’une
autre et plus accueillante vitalité.
dimanche 22 mars 2020
mercredi 18 mars 2020
MIEL, LITTÉRATURE ET MODE D'EMPLOI DES MACHINES Á LAVER !
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J'aurai bientôt l'occasion, j'espère, de présenter et commenter un peu le livre de réflexion de Pierre Vinclair qui accompagne chez Corti la publication de La Sauvagerie qu'il définit comme une "épopée totale concernant l'enjeu le plus brûlant de notre époque, la crise écologique et la destruction massive des écosystème".
En attendant je propose au lecteur de se pencher sur quelques pages de cet ouvrage qui ne devrait pas laisser indifférent.
samedi 14 mars 2020
vendredi 13 mars 2020
JEUX DE PISTES. LIRE SANDRA MOUSSEMPÈS AUX ÉDITIONS DE L’ATTENTE.
Dira-t-on du livre de Sandra
Moussempès, Cinéma de l’affect, sous-titré Boucles de voix off pour
film fantôme, qu’il
défie tout commentaire : la complexe élaboration que son auteur fait subir
aux confidences qu’elle y adresse à ses lecteurs, les laissant finalement comme
face à une « porte sans serrure dont nul ne possèderait »
comme elle l’écrit, le code secret, « code intérieur bien sûr, aucune
combinaison chiffrée ne pouvant être efficace ».
C’est vrai que le livre de
Sandra Moussempès n’est pas de ceux qu’on peut lire d’un œil distrait et qui se
comprennent avant même d’être lus. Si la maîtrise de la langue, contrairement à
ce que vers quoi s’oriente de plus en plus la logique du temps, y est
absolument parfaite, donnant des phrases d’une précision et d’une évidence syntaxiques
remarquables, l’univers référentiel, comme on dit, vers lequel ces phrases font
signes, interroge par son apparente opacité. Et la diversité des pistes –
j’emploie le mot ici dans le sens que lui donnent les actuelles techniques
d’enregistrement audio-visuelles – la façon dont elles sont combinées,
superposées, ont de quoi dérouter.
Qu’est-ce toutefois que dire
sa propre vie, sinon entrer tout entier en relations. Au sein d’un espace-temps
formel où la matérialité des choses dont on fait multiplement l’expérience,
apparaît toute tissée d’affects mobiles qui s’accumulent en nous pour
s’exprimer en pensées, se voir traduire en voix, à travers des opérations
d’organes et d’intelligence qui nous demeurent en grande partie obscures.
C’est bien consciente de tout
cela que Sandra Moussempès se met ici en scène. Avec cela qu’elle nous fait, si
je peux dire, tout un cinéma. Non pour épater le bourgeois. Mais pour se
libérer de certaines angoisses. Et continuer à se construire. Par une
compréhension plus affinée sinon des opacités, du moins de ces divers brouillages,
occultations ou effets parasites imposés à toute volonté d’expression.
Dédié à un certain R.,
présenté comme « l’amoureux errant de ce dédale », Cinéma
de l’affect, doit être d’abord lu comme une chronique amoureuse. Une
relation apparemment bousculée, difficile dans laquelle la complicité première
des corps, des voix et des projets, les attachements, le « conte de fée
psychique sans dialogue » qu’ils génèrent, finalement se désagrègent,
laissant l’esprit s’interroger sur la nature réelle de ce qui a eu lieu :
« escroquerie ou flamme jumelle, connard ou amour vrai, la
reconstitution des faits se trouve dans une sacoche vide jamais retrouvée ».
Mais comme l’esprit – pourquoi
ne pas d’ailleurs dire ici l’âme ? -
a besoin de sens, d’insérer chaque séquence de son propre vécu dans une
sphère d’existence et de compréhension plus large, la rumination à laquelle
Sandra Moussempès se livre dans cet ouvrage, passe par l’interrogation des
principaux domaines d’expérience qui lui sont chers et façonnent depuis
longtemps son imaginaire. Ainsi de sa relation singulière à la voix. Comme à ce
que nous avons en nous de plus intime. Et qu’on aurait bien tort de ne
considérer que comme un simple organe de parole. Du son. Du bruit. A la fois appareil et produit de langage. La
voix c’est ce qui porte. Et nous porte vers l’autre. De la chair et de l’être.
Pris dans une même tension. Et dans un même appel.
Ainsi Cinéma de l’affect interroge
t-il la voix. Celle de son auteur d’abord. Dans son rapport au chant. Et par
suite dans son rapport au père. Puis à l’ensemble de sa « lignée ».
Insistant plus particulièrement sur cette Angelica Pandolfini, cette arrière-grand-tante
qui au début du XXème fut une cantatrice célèbre et dont Sandra
Moussempès dit avoir hérité de son timbre. La découverte sur YouTube d’un
enregistrement de la voix de sa lointaine parente l’amenant à ce constat,
renforcé par une certaine confiance accordée aux expériences spirites, que
« les voix ne se dispersent jamais tout à fait » même si
« on ne sait pas où elles vont et si elles montent au ciel avec les
défunts ».
Alors, que se conserve-t-il ou s’invente-t-il de nous, dans
la voix ? Celle que par exemple on aura laissée s’enregistrer sur le
répondeur de l’amant. Celle qu’on aura conservé de lui sur tel ou tel appareil.
Rejoindront-elles un jour toutes celles qui aujourd’hui remisées dans « un
hangar désaffecté au département des rubans sonores démagnétisés », conservent
dans le fouillis des appareils devenus obsolètes – vieux magnétos à bandes,
K7 audio, répondeurs téléphoniques ou Walkmans sans leur casque - « les messages des années 80, 90, des
voix de défunts ou d’enfants à présent adultes ».
De fait, toutes ces voix, chacune avec son timbre propre,
qui auront tenté de se trouver passage, de s’éterniser sur la cire d’un
microsillon, dans la chambre numérique d’un appareil enregistreur, et se seront
posées comme autant de voix off sur les images saccadées du film étrange de
leur vie, ne sont-elles pas figures de cette condition qui fait de nous, fondamentalement,
fantômes ? Egarés parmi d’autres fantômes, esprits, revenants, simulacres,
phantasmes, ectoplasmes… , toutes formes que nous désirons pour les aimer ou
les avoir aimées, saisir ou ressaisir, sans que bien sûr cela nous soit
possible. Même avec les meilleurs appareils – le cœur en est-il un ? – du
monde.
Reste l’art. L’écriture conçue comme un art, venant tresser
ses filets de mots, ses emboitements de formes, imposer ses miroirs déformants.
L’art qui, comme dans un vieil épisode de Colombo, n’en finit pas de tourner
autour de ses sujets, jusqu’à ce que l’approximation devant laquelle il nous
laisse, nous lasse. Nous réduisant pour conclure à la sommaire définition de ce
que nous sommes. Défilant sur l’écran à la façon rapide d’un générique. Ici :
« une Emily Brontë parisienne, d’origine basque et sicilienne,
sub-londonienne d’adoption, devenue quasi Normande. »
mardi 10 mars 2020
LA NUIT DES ROIS À LA COMÉDIE FRANÇAISE. VIVE LE VRAI SPECTACLE VIVANT !
La Nuit des rois de Shakespeare est une pièce
farcesque. Une vraie pièce de carnaval. C’est en ce sens d’ailleurs que le
célèbre metteur en scène allemand Thomas Ostermeier l’a monté en 2018 à la
Comédie française. Et c’est un pur régal que de voir en mars 2020 cette pièce continuer
sous sa direction à vivre en intégrant pour les tourner en dérision quantité
d’éléments qui font la tristesse sinon le malheur de notre sombre actualité, du
recours insupportable au 49.3 à la propagation angoissante de la peur du
coronavirus.
Il est loin le temps où l’on se rendait en habits à la
Comédie Française pour y voir jouer des pièces à costume. Aujourd’hui pour
reprendre le slogan d’une marque de fast food on y va comme on est. Et
les acteurs jouent en slip. Quand ils ne le baissent pas pour montrer quelque plus
intime partie de leur anatomie. Et si je ne pousse pas la naïveté au point d’ignorer,
dans ce changement d’esprit, la mise en place de nouvelles postures, j’aime
voir par là le théâtre renouer vraiment avec l’une de ses fonctions principales
qui est de parler au présent pour un public vivant.
Pour faire mieux réagir son public Thomas Ostermeier n’hésite
jamais à bousculer les codes. Ainsi la part qu’il fait tout au long de sa mise
en scène au mauvais goût tant des costumes que de certaines des plaisanteries
qu’il donne à faire à ses très remarquables acteurs, va, comme le veut d’ailleurs
tout l’esprit de la pièce, dans le sens d’une remise en question de tous les
attendus, de toutes les pseudo-définitions par lesquelles sont encadrées
d’ordinaire nos représentations et à travers elles, nos vies. À commencer par les
identités que nous nous supposons. Que nous attribuons aussi à nos partenaires
d’existence. Et jusqu’aux animaux avec lesquels nous partageons notre si
déroutante et confondante habitation.
J’ai eu la chance, la veille de la représentation au Français,
de pouvoir assister au théâtre de la Colline à la mise en scène du texte de
Peter Handke, Les innocents, moi et l’inconnue au bord de la route
départementale, par l’excellent Alain Françon. Force est de constater que
la belle esthétique de Françon, l’incontestable talent de ses acteurs,
l’intelligence aussi qu’on sent bien déployée partout sur la scène, n’empêchent
pas le texte très fort mais quand même un peu bavard de l’auteur, de susciter à
la longue un certain ennui que ne dissipe pas entièrement les fort beaux
tableaux d’hiver et de nuit de la fin. Le côté couillu de la représentation
donnée à la Comédie Française et l’implication que, par des effets d’ailleurs
un peu faciles parfois, les acteurs réussissent à obtenir du spectateur, font à
l’inverse que les presque trois heures de représentation passent là comme
lettre à la poste et qu’on entend bien aux applaudissements de la salle que
chacun serait bien encore resté des heures à prendre plaisir à ce vivant
spectacle qui venait de lui être offert.
Bien sûr les deux pièces ne sont pas de même nature. Ni de
même portée. Et si toutes deux engagent à la réflexion elles le font dans un
esprit totalement différent. Qui témoigne quand une nouvelle fois qu’au
théâtre, l’esprit de sérieux et la pertinence approfondie du verbe et de tous ses
discours l’emportent rarement sur le langage irrévérencieux, tout débridé des
corps et le sens actualisé de la raillerie et de la dérision.
lundi 9 mars 2020
CEZANNE À MARMOTTAN. PANURGISME ET CORONAVIRUS !
Á
quoi peut bien servir d’organiser à grands frais une exposition qu’on rend par
ailleurs quasiment invisible par les conditions de visite qu’on inflige au
public venu s’en régaler. Ce Cezanne, Rêve d’Italie que propose
actuellement le Musée Marmottan, a tout a priori pour séduire. Outre la
réputation bien entendu du maître d’Aix, tant auprès du grand public que des
vrais connaisseurs, sans compter bien sûr les artistes eux-mêmes, l’idée de
mettre doublement en perspective son œuvre en la comparant à ses sources
italiennes ainsi qu’aux nombreux peintres de la péninsule qui s’en sont ensuite
inspiré, a de quoi attirer. Toutefois comme les rapprochements effectués par les
organisateurs de l’exposition sont loin de sauter toujours immédiatement à la
vue, il faut pour tirer vraiment profit de la visite pouvoir prendre le temps
de tranquillement regarder et comparer les œuvres et de lire pourquoi pas les
nombreux cartels explicatifs qui très pédagogiquement les accompagnent.
Paysage classique de Francisque Millet |
Or une telle chose est impossible. Encombré de visiteurs et
surtout de groupes faisant cercles autour de différents conférenciers, au point
de masquer de leur masse importune la plupart des tableaux qui y sont accrochés, l’espace
relativement étroit des salles qui s’offre au parcours tient plus de la jungle amazonienne
ou du grand magasin le premier jour des soldes que du lieu de contemplation et
de réflexion qu’il devrait avoir pour vocation d’être.
C’est bien dommage assurément. Mais finalement bien
représentatif de l’évolution de nos sociétés qui font consommation de tout et
ont édifié le panurgisme touristico-culturel au rang de vertu cardinale. Alors
que l’art continue à ne pas trop nourrir son homme, la culture, elle, s’en
nourrit sans complexe, lançant les foules avides de distinction vers les
grandes choses souvent méprisées du passé, à grands coups de lancements
publicitaires.
On pourrait recommander aux responsables de Marmottan de réserver, comme cela se fait par endroits, les visites guidées à quelques
plages horaires pour redonner au visiteur solitaire un peu de la jouissance
effective du lieu. Pas certain que cette décision de bon sens prime sur la
politique du chiffre qui ravage la plupart des "managers" du temps. Ne reste
d’espoir alors que dans le coronavirus. Quand on s’apercevra que devant les
tableaux ici rassemblés, de Cezanne, de Tintoret, de Poussin ou de Morandi, ce
sont des foules qui s’entassent à se marcher sur les pieds, engoncés dans leurs
manteaux, leurs pardessus – le musée n’ayant pas de vestiaire ! – chaque
visage à moins de cinquante centimètres de son voisin, peut-être que pour
éviter la fermeture on se résoudra à ne faire entrer qu’un petit contingent de
visiteurs qui enfin pourra profiter de ce qu’il n’hésitera sans doute plus alors
à estimer avoir été une belle exposition.
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