Le prénom Robinet serait un diminutif affectueux de Robert qui signifie gloire et renommée. Il n’est plus guère utilisé mais fut à la fin du XVème siècle le prénom d’un peintre enlumineur de talent, Robinet Testard dont j’ai pu en partie découvrir l’œuvre sur Gallica où se feuillettent librement quelques-uns des ouvrages par lui illustrés, tel le Livre des échecs amoureux moralisés, livre d’éducation princière, d’Évrart de Conty, médecin personnel du roi de France Charles VI, dans lequel le jeu d’échecs fait figure d’allégorie de la vie où chaque décision peut mener le joueur à la victoire comme à la défaite. Le verso du folio 136 de cet ouvrage qui en compte plus de 400 montre l’image étonnante d’une Proserpine quelque peu délabrée[1] se tenant devant la porte des Enfers représentée sous la forme d’une tête fantastique de hibou[2], à côté de son époux Pluton. Cerbère se tient à leurs pieds. Un lugubre concert monte des tristes personnages qui les entourent et que leurs instruments, harpes, psaltérion (?) n’empêchent apparemment pas d’entendre les ricanements diaboliques des démons occupés dans un coin à tourmenter les damnés. Je ne sais quel effet pouvait produire ce type d’image sur la sensibilité des gens de cette époque. Aujourd’hui elle ne nous retient plus que par son pittoresque. Et c’est ainsi que je la vois. Comme une image qui ayant perdu l’essentiel sans doute de son pouvoir tire en revanche son intérêt de l’attraction qu’exerce toujours sur nous ce passé autre qui nous fait signe d’entrer. Mais se dérobera toujours dans son entièreté à nos plus attentives et savantes interprétations.
Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
dimanche 14 décembre 2025
vendredi 12 décembre 2025
POÉSIE DES IMAGES. JOUR 6. AVEC.
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| SIMON QUADRAT |
J’aime bien chez ce peintre anglais, né en 1946 et tout nourri de peinture, la façon qu’il de renvoyer à la vie ordinaire, je veux dire commune, celle que l’on partage avec chacun, dans sa cuisine ou sa salle à manger, en marchant dans les rues pour se rendre au travail ou le dimanche poussant la promenade jusqu’au bord de la mer. Les choses toujours y sont non pas telles qu’on aurait pu les voir réellement ou les photographier, mais comme on peut les sentir dans leur présence toujours prête à s’absenter mais que la peinture retient comme une chose précieuse, touchante, du présent. Peut-être que Simon Quadrat n’est pas le plus grand peintre capable de nous le faire ressentir et que ses toiles nous en remémorent parfois d’autres plus considérables dans leur invention, leur nouveauté, mais l’artiste ici nous rappelle que nous existons bien, non pas immenses et forts ou comme esprits planant bien au-dessus de la réalité des choses, mais de plain-pied avec le monde, ses matières, avec les autres, à nos côtés.
mercredi 10 décembre 2025
POÉSIE DES IMAGES. JOUR 5. CAMPAGNES.
Aujourd’hui, au-dessus du toit des maisons, ce ne sont pas des cheminées d’usines qui se dressent. Les toiles de John Caple né en 1966 dans les Mendips, petite région de collines au sud-ouest de Bath, montrent une campagne profonde. De maisons fortement blanchies, souvent isolées, au milieu d’arbres noirs, quand la saison s’avance à grands pas vers l’hiver et que diminuent les rouges clartés du jour. La peinture ici ne cherche pas le réalisme. Mais la présence. La présence de quelque chose, qui traverse le temps, nous rappelle, et nous fait habiter l’inquiétante étrangeté d’un moment suspendu bizarrement familier. Dans ces compositions d’apparence naïve, mais d’apparence seulement, c’est l’eau, celle des sources, des mares, des rivières, qui captent toutes les lumières. L’eau seule qui est mobile. Quand de la terre au ciel, les hommes devant leur maison, les fûts et les ramures dépouillées des arbres, et les collines au loin, dans leur ombre, font front. Se dressent. Et nous reviennent. Comme sourdes apparitions.
mardi 9 décembre 2025
POÉSIE DES IMAGES. JOUR 4. PAYSAGES.
Ce qui frappe dans les sévères mais élégantes compositions de Maurice Wade (1917-1991) c’est l’absence totale non de présence humaine car les paysages qu’elles montrent sont des paysages très largement remodelés par l’homme, mais de tout personnage. En ce sens ses toiles ont quelque chose d’abstrait. Mettant en évidence essentiellement des formes stylisées que viennent renforcer des contrastes appuyés en même temps que subtils de couleurs. Pourtant les paysages que l’artiste nous montre sont bien reconnaissables. Ils sont ceux de sa région natale (Stoke-on-Trent) dont on identifie immédiatement les célèbres bottle-kilns (cheminées de poteries en forme de bouteilles ventrues) ainsi que des vues du Trent and Mersey Canal à proximité de Longport par où transitaient les matières nécessaires à l’approvisionnement de la célèbre manufacture de Wedgwood. Cette atmosphère de solitude quelque peu angoissante en même temps que sublimée, recueillie, comme celle d’un jour non pas d’avant mais d’après les hommes, où l’espace s’ouvre et s’offre, se duplique dans ses propres impassibles reflets, comme pour m’aspirer, n’est pas sans m’évoquer la force inquiétante des diverses versions de l’Île des Morts d’Arnold Böcklin.
lundi 8 décembre 2025
POÉSIE DES IMAGES. JOUR 3. TRAINS.
Rob Rowland a grandi dans les Midlands où il est né. Son esthétique qui est celle des films noirs et des affiches de cinéma des années 50 et 60 s’attache à exprimer la poésie des paysages urbains des villes populaires du centre industriel de l’Angleterre. Fasciné par les trains son œuvre fait la part belle aux rails, à la fumée des anciennes locomotives. Et me fait souvenir comment moi-même dans les mêmes années nous nous installions en bandes sur la passerelle qui se trouve toujours au-dessus des voies de la gare de Boulogne-sur-Mer pour nous laisser entièrement envelopper par le panache des énormes machines qui grondaient au-dessous de nous. Alors certes, il y a de fortes chances pour que ces toiles de Rob Rowland soient méprisées de ces beaux connaisseurs d’art qu’excitent les grands objets esthétiques et ruineux du moment. N’empêchent qu’elles me parlent et que dans leur distance elles me transmettent ce sentiment de présence et d’émerveillement face à la vie, la vie passée peut-être, dont j’ai toujours eu besoin pour me sentir davantage être.


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