Il me faudra revenir sur ces Filles bleues au bord de la mer qui pour moi empruntent moins au Proust des Jeunes Filles en fleurs ou aux Filles du feu de Nerval qu’à certaines pages du Sanglot de la terre et des Complaintes d’un Laforgue qui serait passé par le surréalisme, certaines images de Munch aussi voire d’Oscar Kokoschka. C’est cru. Savant et barbare à la fois. Solidement ancré dans le paysage particulier d’une vie – Berck, « pour moi le nombril de la planète » - tout en restant terriblement ouvert à l’universel d’une condition envisagée sous l’angle double de l’éternité cosmique et de notre caducité d’êtres marchant vers la mort. Il ne faut pas hésiter à plonger dans un tel livre. Ça fouette. Emporte. Et vivifie !
Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
vendredi 24 octobre 2025
mardi 21 octobre 2025
SUR L’ANGLE MORT DE CORINNE DUPUY PARU DANS LA COLLECTION PEREC 53 DE L’ŒIL ÉBLOUI.
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| LES PREMIERS TITRES PARUS DE LA COLLECTION PEREC 53 |
Créée en 2013, l’œilébloui, petite maison d’édition nantaise publie des ouvrages qui ambitionnent de nous faire partager les coups de cœur, comme on dit, de son fondateur, Thierry Bodin-Hullin. Nés de l’amitié, animés d’un véritable esprit de partage, les livres de cette maison présentent ce petit je ne sais quoi de singulier qui fait qu’on les remarque et les trouve attachants.
Grâce à une collecte internet rapidement financée à plus de 130%, l’œilébloui a récemment lancé, une inventive collection, Perec 53[1], qui en référence au titre du dernier roman inachevé de Georges Perec, 53 jours, se propose de publier sur l’espace de quelques années, 53 livres de chacun 53 pages, imaginés par 53 artistes et écrivains, éclairant de leur regard l’œuvre aussi bien que la vie, de l’auteur de La Disparition et de La Vie mode d’emploi.
Viennent de me parvenir les trois derniers ouvrages de cette collection.
C’est un souvenir très personnel qui m’a retenu à la lecture du beau livre triste de Corinne Dupuy, L’angle mort, où cette dernière tente de comprendre ce qui aura pu relier la vie de son ancien compagnon, Bernard Magné, professeur agrégé de Lettres classiques et celle de Georges Perec dont il est devenu au fil des ans l’un des principaux spécialistes.
samedi 18 octobre 2025
jeudi 16 octobre 2025
MARCHER DANS LA VILLE COMME À L’INTÉRIEUR DE SON SIÈCLE. SUR LE DERNIER LIVRE DE MILÈNE TOURNIER CHEZ LURLURE.
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Durant toute une année, d’un 31 mai à l’autre, jour après jour, Milène Tournier s’est astreinte à rendre compte, parfois d’une simple ligne, parfois au moyen d’un texte plus long, des marches qu’elle a improvisées à travers l’espace sans cesse renouvelé et ouvert de la rue. Nous entraînant avec elle dans divers quartiers de Paris ainsi que de sa banlieue. Poussant parfois des pointes jusqu’à des localités plus lointaines.
La forme d’une ville, comme nous l’aura dit Baudelaire puis rappelé le regretté Jacques Roubaud[1], change plus vite hélas que le cœur des humains. Quand j’avais l’âge, un peu moins peut-être même, de Milène, je me promenais volontiers avec dans la poche le Piéton de Paris de ce Léon-Paul Fargue aujourd’hui quasiment oublié mais auquel à l’époque je vouais une sorte de culte pour la façon dont il ouvrait sa solitude à la « somme brasseuse et polymorphe »[2] du monde dont, y marchant lui aussi, infatigablement, il traversait l’assidu fourmillement.
Allant à leur tour à la rencontre de ce foisonnement, les textes de Milène Tournier se montrent toutefois bien différents de ceux du Piéton de Paris ou de Haute Solitude, cet autre maître livre du vieux poète parisien. Ce n’est pas seulement que le monde volontiers pittoresque de la première moitié du siècle dernier a presque aujourd’hui disparu. C’est aussi que si parfois, dans 31 kilomètres aujourd’hui, se retrouve la même capacité à retenir le réel à travers un système d’analogies étranges et fulgurantes, comme à travers cette évocation au Musée militaire d’un tank présentant un faux air de grand piano à queue, le regard que porte Milène Tournier sur la ville se montre beaucoup plus direct, présent, empli de l’immédiate fragilité de son objet, du tremblé de ses lignes que celui de son aîné qui vise surtout à la généralité nostalgique d’un tableau définitivement assuré dans son architecture, ses couleurs et ses traits.
dimanche 12 octobre 2025
CHANTER POUR LES SOURDS. LA POESIE PRISE ENTRE L'OFFRE ET LA DEMANDE.
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« Chanter pour les sourds » disait Théophile Gautier « est une occupation mélancolique ».
Je ne compte plus en effet le nombre de poètes, parfois très estimables, qui sur les réseaux sociaux, se plaignent du peu de cas que la société à laquelle ils s’adressent, fait de leur production. On peut comprendre la frustration, le découragement, la tristesse et jusqu’au désespoir qui finissent par envahir le cœur de certains qui ne faisant l’objet que d’une très relative et médiocre attention voient la scène poétique concentrer ses feux sur quelques personnalités dont le principal mérite, à leurs yeux, ne relèverait que de la double habileté relationnelle et communicationnelle.
jeudi 9 octobre 2025
mardi 7 octobre 2025
FASSIN, GELLÉ, MOULIN, DUBOST : LES NOUVEAUTÉS D’OCTOBRE DANS LA COLLECTION LITTÉRATURES DE L’ATELIER CONTEMPORAIN.
Des nouveautés en nombre ce mois-ci dans la Collection Littératures de l’Atelier Contemporain.
La première, La douceur rouge des étoiles, signée de Laurent Fassin qui s’y voit accompagné de peintures de Benoît de Roux, a pour ambition de rapprocher la poésie de la musique en substituant notamment à ce qu’on a coutume d’appeler ses blancs, terme pictural, ce que l’auteur, lui, veut appeler silence. Le poème s’entend alors comme partition susceptible « sans renoncer à l’horizontalité qui préside à son essor, reconduite de ligne en ligne et vers après vers », de se donner un caractère, à sa façon, polyphonique. Deviendrait ainsi possible « une lecture à double entrée, horizontale et à la fois verticale, reconnaissant au poème une étonnante capacité à se métamorphoser sans cesse ». Cela bien sûr n’est pas absolument nouveau mais convient plutôt bien à ces évocations en partie fugitives des multiples absences, rougeoyantes solitudes et fragiles éclaircies qui composent avec insistance, le monde en profondeur ouvert, en constant mouvement et tension qui fait ici entendre ses voix.
vendredi 3 octobre 2025
RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. LE NU DANS LA TAILLE, UN RÉCIT POÉTIQUE DE YANNICK KUJAWA, CHEZ EDERN EDITIONS.
Boulonnais depuis toujours, j’ignorais tout de l’existence, depuis le XVIIème siècle, dans la bocagère région d’Hardinghen, de ces « champs souterrains grands comme des océans » que mon ami Yannick Kujawa aura entrepris d’évoquer à travers la pathétique histoire d’une fille « toute blanche dans un noir d’encre ». J’aurai donc si longtemps parcouru, à pied, à vélo, en voiture, ce territoire, sans jamais soupçonner qu’il y eut là des mines de charbon, les premières apparemment à avoir été dans le Nord exploitées, exploitées en l’occurrence étant le mot juste, puisqu’y descendaient pour quelques malheureux sous des enfants des deux sexes qui n’y faisaient pas long feu.
Comme je l’écrivais il y a une bonne dizaine d’années à propos d’un poème de l’irlandaise Eawan Boland, évoquant une gravure[1] illustrant toute l’horreur de la Grande Famine du milieu du XIXème siècle qui réduisit de plus d’un quart la population irlandaise en l’espace de quelques années, le grand art, même s'il dénonce avec le plus de force, la misère infligée aux femmes, s'apparente souvent quand même, par la brutalité de sa technique à un rapt, un viol, arrachant à jamais le corps représenté, à son air natal, pour l'emprisonner dans sa page. Du coup devenue cage. Rien de tel dans l’ouvrage de Yannick Kujawa qui, dans une grande simplicité de trait, une disposition d’esprit profondément empathique à l’égard des humbles, réinstalle poétiquement son personnage de Blanche au cœur de cette beauté cosmique qui continue pour elle, dans ses immenses dimensions et d’espace et de temps, de faire paysage à ses plus profondes détresses. Par quoi c’est tout son être qui s’en trouve exhaussé. Alors certes, on dira que cette histoire faite pour nous serrer la gorge cherche quand même par là à nous rendre comme l’écrivait Paul Celan, le chagrin habitable. Mais n’est-ce pas aussi parfois, dans ces temps d’assez grande sécheresse, ce dont nos cœurs ont besoin. Comme des belles figures de martyrs et de saints de Fra Angelico.
J’y reviendrai.
EXTRAITS







