Anton Räderscheidt, l'Homme aux gants jaunes, 1920 |
Chacun connaît le célèbre portrait du
Titien, couramment désigné sous le nom
de l’Homme aux gants, propriété exclusive du Louvre depuis 1792. Le gant
de peau que le beau jeune homme représenté a retiré de sa main droite forme dans
son autre main comme un passage d’écorché, concourant à la fascination induite
par cette image où le romantisme, par nous projeté sur la pose, se combine à
l’expression d’une discrète cruauté.
On s’en doutait un peu. La pittoresque
histoire des gants ne date pas d’hier. Déjà ce miroir des Princes avant la
lettre que constitue la célèbre Cyropédie du grand historien grec
Xenophon, rapporte que les perses, ceux-là mêmes qui, n’eut été la détermination de l’astucieux
Thémistocle, faillirent, au Vème avant J.C., conquérir l’ensemble du
monde connu, l’hiver, portaient des moufles !
Dans l’histoire de notre langue le mot gant,
qui vient des pays du Nord comme une grande partie de notre vocabulaire
guerrier, s’impose d’abord tout hérissé de fer. Les gants dont il est question
pour la première fois dans la Chanson de Roland sont semblables à celui
du Saint Guillaume qu’au Groeningemuseum de Bruges, on voit toujours posé, d’un
geste protecteur, quelque trois siècles plus tard, au premier plan du volet
gauche d’un triptyque de Memlinc, sur l’épaule fourrée d’un certain banquier
Moreel. Ces pièces d’armure étaient couvertes sur le dos de la main, de lames.
De clous. Ce qui, dit au passage, devrait, pour les amateurs de textes anciens,
rendre toute son agressive réalité à l’expression jeter le gant.
Plus près de nous, les gants jaunes du petit
tableau du peintre néo-réaliste Anton Räderscheidt * - que nous a fait découvrir en
2012, l’exposition intitulée La Ville magique organisée par le Musée d’Art
Moderne et d’Art Contemporain de Villeneuve d’Ascq, le L.A.M. - ont certes
perdu l’agressivité du fer. Mais pour emprunter celle plus rigide encore, à
l’image, du bois. L’individu qui les porte n’a rien du belluaire. Du
conquérant. Encore moins de l’élégante étrangeté du jeune vénitien avec lequel
il partage pourtant l’orientation du visage ainsi que l’opposition en noir et
blanc, jusques en haut des poignets, de la veste et de la chemise. Planté devant
deux rangs de bâtiments grossiers aux fenêtres parfaitement uniformes qui
bornent une place vide et grise, son apparence est durement corsetée, roide.
Corps en fait de Pinocchio. Ou de soldat de bois. Qu’on dirait monté sur tiges.
Ou tenu par des fils. Nous sommes en Allemagne au début des années 20. Les
temps ne portent plus à la souplesse. Après les fiers et beaux massacres de 14,
vont commencer les grandes manipulations et exterminations de masse.
L’Histoire, elle, ne prend jamais de gants.
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