« Quelque diversité d’herbes qu’il y ait, tout s’enveloppe sous le nom de salade ». C’est avec cette plaisante remarque de Montaigne qui ouvre ainsi un court chapitre du Livre I des Essais, intitulé Des noms, que j’ai bien envie de commencer ma présentation de Gestion des espaces communs, livre de Dominique Quélen, paru il y a déjà quelque temps, aux éditions LansKine. Je ne sais si Michel de Montaigne que Dominique Quélen cite d’ailleurs également pour clore l’avant dernière partie de son ouvrage, se serait régalé à la lecture d’un ouvrage qui, sans quelque assaisonnement tiré du Tractatus de Wittgenstein, comme des efforts de la linguistique contemporaine, paraîtrait sans doute bien étrange à son ancien palais. La rare pénétration pourtant dont il fait montre à propos des relations entre le mot et la chose, en ferait pourtant un goûteur d’exception.
« Il y a le nom et la chose ; le nom c’est une voix qui remerque et signifie la chose ; le nom, ce n’est pas une partie de la chose ny de la substance, c’est une pièce estrangere joincte à la chose, et hors d’elle. » Il faudra garder à l’esprit cette utile et féconde remarque[i] pour accompagner la suite d’observations, d’investigations, portant sur ces espaces supposés communs, du monde et de la langue, qu’explore avec un sérieux drolatique, mais pas que, un Dominique Quélen qui, introduisant son ouvrage en le présentant comme « l’histoire naturelle d’un espace où les objets ne sont reliés entre eux que parce qu’il est clos», poursuit en s’inspirant d’une formulation de Perec dans Tentative d’épuisement d’un lieu parisien[ii] : « nous n’allons pas choisir ce qui restera quand nous aurons enlevé tout le reste, mais quand nous aurons même enlevé ce qui restera, tout en gardant incertaine jusqu’au bout la nature de ce que nous ferons en écrivant »