dimanche 21 juin 2020

QUE CARCASSE ET CORDAGES. POÉSIE DE CARTON-PÂTE, VRAIMENT ?

Difficile de faire comprendre parfois que mon attachement au contemporain n'est en rien exclusif d'une profonde admiration que je voue aux grands écrivains du passé. Aussi pensé-je utile de publier à nouveau la réaction qu'un texte peut-être un peu rapide d' Antoine Emaz, paru il y a quelques années sur POEZIBAO a suscitée chez moi. Cela ne remet évidemment pas en cause la considération que j'ai toujours eue pour ce poète dont je connais par ailleurs si bien, l'ouverture et la profonde sensibilité à la chose poétique.


QUE CARCASSE ET CORDAGES

Reconnaissons le. L’expression ne manque pas d’allure. Antoine Emaz a du style. Mais quand il parle ici – sous la forme d’ailleurs d’un bel hexamètre baroque - de textes tels que ceux de Du Bellay et de Ronsard, d’autres tels que Desportes ou Jean-Baptiste Chassignet, son propos ne manque pas d’affliger. D’inquiéter. Pour lui. A moins de se dire qu’il s’est laissé emporter. Piéger. Par le souci d’un bon mot. D’une posture. D’une phrase qui dès son départ ne demandait qu’à devenir injuste. Voici le fait. Dans un passage de son journal de bord, sur POEZIBAO, où se mêlent attention aux livres écrits, reçus, aux petites misères et merveilles formant le lot d’une vie fonctionnarisée qui s’envisage à ras, sans désir apparent de soulèvement héroïque, Antoine Emaz qui est aussi professeur écrit : Bossé sur L’isolement de Lamartine, pour une lecture critique : mettre à nu la rhétorique romantique du sentiment comme du paysage. Vu sous cet angle, le poème devient creux comme un décor de carton-pâte, à moins que l’élan lyrique ne soulève et n’emporte. Ce sont des poèmes sur lesquels il vaut mieux ne pas s’appesantir si l’on veut continuer d’admirer un peu. Même effet avec Ronsard et du Bellay, ou bien la poésie baroque ; si l’on prend le parti de suspecter le texte, on ne voit plus que carcasse et cordages.

Certes, dès que l’esprit se met à suspecter quelqu’un, il le transforme assez vite en coupable. Les innocents passés entre les mains des polices de tous bords en savent malheureusement quelque chose. Et à ce titre je ne connais pas un seul poème qui pourrait trouver grâce. Chez l’un on suspectera le je, accusé d’être un autre, chez l’autre, on fera reproche à l’auteur de se cacher sous l’universel, accusé de n’être plus personne. Sans compter tout le reste. Toute l’histoire des 30 dernières années de la poésie du XXème n’a résonné que de tels procès. Multiples. Contradictoires. Qui ont bien failli finir, d’ailleurs, par lui coûter la vie.

Il ne s’agit pas bien entendu d’oublier de se montrer critique. Et d’accueillir béatement tout ce qui se présente. Il existe et existera toujours une poésie exécrable que l’amateur de poésie (j’emploie de terme d’amateur au beau sens du XVIIIème) n’aura aucune difficulté à reconnaître comme telle. Mais pour ce qui concerne la poésie véritable, celle qui relève avant tout d’une relation singulière au langage – singulière et éprouvée ; singulière parce qu’éprouvée – la suspecter, est le contraire même de ce qu’il faut commencer par faire. Pierre Drogi me paraît plus inspiré quand dans un entretien avec Serge Martin dont rend aussi compte Florence Trocmé dans son flotoir, il rappelle que si le poème est un point d’arrivée, il est aussi pour son lecteur, cette fois, point de départ, réclamant à ce dernier qu’il le fasse à son tour sien. L’accueille. Sur le modèle dit-il de la musique. Comme le musicien annote la partition qu’il lui faut interpréter.

Tout cela Antoine Emaz le sait. Comme il sait que la poésie française du moins jusqu’à Baudelaire relève en partie du discours. Qu’elle argumente. Et peut-être résumée. Et que l’analyse qu’en fait le professeur manifestant le savoir-faire rhétorique du poète ne peut prétendre dire le dernier mot de ces textes qui agissent par mille et une autres touches pour certaines infiniment discrètes dont la somme nous échappera toujours. Variations plus ou moins subtiles des rythmes, mystère des combinaisons de sonorités, dans leurs couleurs, leur hauteur, leurs nuances profondes. Résonances de leurs images. Accord particulier de ces dernières avec le paysage musical auxquelles elles sont subtilement nouées… Ce qui agit toujours dans l’Isolement de Lamartine et plus encore sûrement dans certains admirables poèmes de Du Bellay n’est pas l’idée sur laquelle ils sont bâtis. Mais leur musique. Leur corps insécable d’art et d’imaginaire. Ce qu’on peut bien continuer d’appeler leur charme (carmen). Lequel est le fruit, chez leurs auteurs, de cette expérience profonde d’êtres sensibles, immergés dans les mots. Pris dans les formes de leur temps qui les programment, certes – carcasses - mais auxquelles ils donnent un surcroît d’intensité, une puissance vitale toute particulière, y répondant par l’invention d’un geste personnel, une formule intime, qu’on ne trouvera pas ailleurs.

Faire comprendre à chacun que dans le Quand vous serez bien vieille de Ronsard ce n’est pas, d’un point de vue poétique, le fameux carpe diem qui importe mais l’invention de l’image pour la première fois rassemblée de la jeune maîtresse et de la vieille solitaire qu’elle sera, soutenue - autour notamment du puissant imaginaire, à l’époque, de la mort - par tout un réseau de résonances domestiques, d’extraordinaires jeux de contrepoints phoniques que l’oreille plus que l’esprit me semble-t-il doit s’exercer à sentir, éprouver, en en ruminant, remâchant la lecture, voila ce qui devrait être de nature à rendre un peu mieux justice à cette poésie qui certes n’est plus d’aujourd’hui, mais vers laquelle, fort d’ailleurs des leçons du dernier Barthes ( celui de la Préparation du roman) qui dénonçait la néomanie moderne, rien ne devrait nous interdire de continuer de regarder. Assidûment. Filialement. Librement.

NOTE :

Pour être juste, l' expression d'Antoine Emaz se trouve prise dans une tournure hypothétique qui la dégage de ce qu’elle pourrait avoir d’insupportable. N’empêche que son propos fournit des armes à l’imbécile prétention de certains neomaniaques qui ne valent pas mieux pour moi que toutes ces vieilles oreilles conservatrices incapables de curiosité envers tout ce qui compte aujourd’hui. Ou plutôt devrait compter aujourd’hui. Chose que fait fort pertinemment comprendre Walter Benjamin dans son Livre des passages quand il remarque que plus l’importance sociale d’un art décline, plus on assiste dans le public à une dissociation entre l’esprit critique et la disposition à la jouissance, comme on peut aisément l’observer en ce qui concerne la peinture. L’on apprécie fortement, sans le critiquer, ce qui est conventionnel, tandis que l’on juge avec répugnance ce qui est véritablement nouveau.

samedi 20 juin 2020

CAHIER D’EXTRAITS PRIX DES DÉCOUVREURS 2020-21. OURSON LES NEIGES D'ANTAN ? DE LUCIEN SUEL & WILLIAM BROWN.

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Septième et avant-dernier Cahier d’accompagnement du Prix des Découvreurs 2020-21, celui que nous consacrons à OURSON LES NEIGES D’ANTAN ? édité chez Pierre Mainard, a ceci de particulier qu’il permet de découvrir la relation que le poète Lucien Suel aura entretenu durant plus de 10 ans avec l’artiste gallois d’origine canadienne William Brown. Le livre reprend en effet l’ensemble de leur collaboration et ceux qui seront curieux de plonger plus avant dans l’intimité de cet échange trouveront sur le site de Lucien Suel, SILO, de quoi satisfaire leur envie.

Nous avons pensé intéressant parmi les liens que propose l’édition numérique de ce Cahier de renvoyer aussi à l’art de la gravure ainsi qu’à l’Art postal ou mail-art, forme pratiquée par nos deux auteurs, qui se trouve d’ailleurs à l’origine de leur rencontre. Enfin on trouvera de quoi comprendre l’origine, le fonctionnement et l’intérêt de ce vers justifié que Lucien Suel qui en est l’inventeur, pratique à l’intérieur de cet ouvrage.


mercredi 17 juin 2020

CAHIER D’EXTRAITS PRIX DES DÉCOUVREURS 2020-21. SANDRA MOUSSEMPÈS.

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Le sixième des Cahiers d’accompagnement du Prix des découvreurs 2020-21 nous conduit dans ces espaces merveilleusement subtils qui s’animent aux frontières du son et de la voix.

Tout un travail autour de la voix, de ses vocabulaires, de ses principales dimensions, physiologique, organique, sociale, psychique, littéraire, mythologique, fantastique sans oublier la prise en compte des techniques visant à l’éduquer, la maîtriser, la conserver, peut être initié à partir de cette œuvre d’une grande richesse qu’est Cinéma de l’affect de Sandra Moussempès.

Comme pour les autres cahiers nous suggérons quelques pistes par tout un jeu de liens qui se révèleront actifs lors de la consultation sur l’écran du PDF ci-dessus ou du petit fascicule sous Calaméo. Découverte des plus prestigieuses salles d’opéra du monde, des histoires fantastiques générées à la fin du XIXème siècle par les inventions d’Edison, dialogue aussi avec l’œuvre d’une artiste contemporaine dont l’univers se rapproche étrangement par certains aspects de celui de notre auteur…

Mais bien entendu c’est au texte lui-même que nous demandons d’accorder la plus grande attention pour ce qu’il ouvre à la pensée par son approche inventive et sensible. En espérant que l’extrait que nous proposons éveillera en chacun le désir de découvrir l’ouvrage dans sa totalité.


jeudi 11 juin 2020

HOMME AUX GANTS JAUNES

Anton Räderscheidt, l'Homme aux gants jaunes, 1920

Chacun connaît le célèbre portrait du Titien,  couramment désigné sous le nom de l’Homme aux gants, propriété exclusive du Louvre depuis 1792. Le gant de peau que le beau jeune homme représenté a retiré de sa main droite forme dans son autre main comme un passage d’écorché, concourant à la fascination induite par cette image où le romantisme, par nous projeté sur la pose, se combine à l’expression d’une discrète cruauté.

On s’en doutait un peu. La pittoresque histoire des gants ne date pas d’hier. Déjà ce miroir des Princes avant la lettre que constitue la célèbre Cyropédie du grand historien grec Xenophon, rapporte que les perses, ceux-là mêmes qui,  n’eut été la détermination de l’astucieux Thémistocle, faillirent, au Vème avant J.C., conquérir l’ensemble du monde connu, l’hiver, portaient des moufles !

Dans l’histoire de notre langue le mot gant, qui vient des pays du Nord comme une grande partie de notre vocabulaire guerrier, s’impose d’abord tout hérissé de fer. Les gants dont il est question pour la première fois dans la Chanson de Roland sont semblables à celui du Saint Guillaume qu’au Groeningemuseum de Bruges, on voit toujours posé, d’un geste protecteur, quelque trois siècles plus tard, au premier plan du volet gauche d’un triptyque de Memlinc, sur l’épaule fourrée d’un certain banquier Moreel. Ces pièces d’armure étaient couvertes sur le dos de la main, de lames. De clous. Ce qui, dit au passage, devrait, pour les amateurs de textes anciens, rendre toute son agressive réalité à l’expression jeter le gant.

Plus près de nous, les gants jaunes du petit tableau du peintre néo-réaliste Anton Räderscheidt * - que nous a fait découvrir en 2012, l’exposition intitulée La Ville magique organisée par le Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain de Villeneuve d’Ascq, le L.A.M. - ont certes perdu l’agressivité du fer. Mais pour emprunter celle plus rigide encore, à l’image, du bois. L’individu qui les porte n’a rien du belluaire. Du conquérant. Encore moins de l’élégante étrangeté du jeune vénitien avec lequel il partage pourtant l’orientation du visage ainsi que l’opposition en noir et blanc, jusques en haut des poignets, de la veste et de la chemise. Planté devant deux rangs de bâtiments grossiers aux fenêtres parfaitement uniformes qui bornent une place vide et grise, son apparence est durement corsetée, roide. Corps en fait de Pinocchio. Ou de soldat de bois. Qu’on dirait monté sur tiges. Ou tenu par des fils. Nous sommes en Allemagne au début des années 20. Les temps ne portent plus à la souplesse. Après les fiers et beaux massacres de 14, vont commencer les grandes manipulations et exterminations de masse. L’Histoire, elle, ne prend jamais de gants.


mercredi 10 juin 2020

CAHIER D’EXTRAITS PRIX DES DÉCOUVREURS 2020-21.QUATUOR D'EMMANUEL MOSES.

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Pour ce cinquième des Cahiers d’accompagnement du Prix des Découvreurs 2020-21, consacré au Quatuor d’Emmanuel Moses nous avons choisi à travers l’extrait que nous en proposons de mettre l’accent sur le caractère « philosophique » de cette poésie qui interroge non seulement les sentiments, les sensations qu’éveillent en elle les vissicitudes, comme on dit, de la vie, mais aussi les idées, les pensées, qui tentent d’en rendre compte. Cela ne rend d’ailleurs pas le texte d’Emmanuel Moses, comme on le verra, plus abstrait. Loin de là. Comme pour les autres Cahiers nous avons multiplié les renvois à l’histoire de la peinture, incitant qui le voudra à se plonger dans la contemplation comme y invite le texte de l’auteur des extraordinaires portraits du Fayoum et dans l’art du memento mori. Tout en écoutant au passage un extrait d’un des plus déchirants morceaux de musique que je connaisse, le second mouvement du quatuor n° 14, en ré mineur, de Schubert, connu sous l’intitulé de La Jeune fille et la Mort.


jeudi 4 juin 2020

CAHIER D’EXTRAITS PRIX DES DÉCOUVREURS 2020-21. NAGER VERS LA NORVÈGE DE JÉRÔME LEROY.

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Quatrième des Cahiers d’accompagnement du Prix des Découvreurs 2020-21, celui consacré au livre de Jérôme Leroy fait l’objet une fois encore de nouveaux prolongements. Le jeune lecteur y trouvera matière à réfléchir sur l’engagement et sur la nostalgie. Il découvrira peut-être cet univers particulier de la saudade, aura peut-être envie de suivre sur Google maps les itinéraires de l’auteur au cœur de la France profonde, réagira sans doute à la courte séquence d’un film de Jean Eustache que nous lui proposons de voir, regardera de façon peut-être plus attentive l’un des chefs-d’œuvre de l’impressionnisme de Monet, appréciera j’espère l’une des plus belles toiles – Les Amoureux - d’un peintre naturaliste toujours trop méconnu Emile Friant, fera un petit détour vers les poèmes d’automne de Guillaume Apollinaire, le roman d’Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes et aussi, pourquoi pas le Bonjour tristesse de Françoise Sagan. Le tout j’espère sans rien qui pèse ni qui pose, à l’image de cette poésie attachante, ouverte et intimiste signée Jérôme Leroy.  

mardi 2 juin 2020

AH ! LA MERVEILLE ! PETITS POÈMES Á VOLONTÉ.

Si l’art ne se réduit pas à des formules, il en fait toutefois grand usage. Permettant à certains d’afficher à volonté, sans fatigue, semble-t-il, et non sans feinte modestie, les fruits de leur intarissable créativité. 

Humoristes, pamphlétaires, sans compter certes, nombre de collègues envieux ou portant plus haut leur estime, se sont amusées à moquer ces merveilleux faiseurs dont les généreuses sécrétions ne trompent finalement que « l’épaisse et morne bourgeoisie des lettres », satisfaite de pure apparence, que croque Virginia Woolf dans son Journal d’un écrivain (13 juin 1927). 

Pierre Jourde n’a pas la réputation d’être tendre. Il sait aussi que l’art est profondément mensonge. Et que la fameuse « authenticité » à laquelle il a consacré tout un livre, est un leurre. Cela ne signifie pas que l’artiste, disons ici le poète car le poète est avant tout artiste, puisse se dire véritablement poète, au prétexte qu’il sache admirablement fabriquer les petites machines à faire poésie que dans certains milieux on appelle poèmes. Dans sa Littérature sans estomac il énumère ainsi les composants de la plupart de ces petits poèmes qui s’échangent toujours aujourd’hui sur les réseaux, provoquant les mêmes commentaires-bateau, suscitant les mêmes admiratives et hypocrites extases.
Sémantiquement, écrit-il, « chaque vers doit contenir une impropriété qui puisse avoir l’air d’une possible métaphore », la métaphore étant par excellence, ce qui fait poétique.
Syntaxiquement, « quelques subordonnées, pas trop, associeront des propositions sans rapport évident du point de vue du sens ».
« Lexicalement, il importe que l’impropriété n’accouple que des termes honorables », jolis, qui permettent « au premier venu de reconnaître le caractère poétique de l’objet ». « Il faudra donc des fleurs, de la mémoire, de l’intime, du noir, du vent, des visages, des enfants, de l’évanoui, de la souffrance, de l’amour, de la nuit, du regard et, bien entendu du silence ».

 Cette charge bien entendu reste des plus sommaires. D’autant que devant la variété des formes que prennent ces petits poèmes il faudrait en dresser toute une typologie. Ce que l’ennui m’empêche ici de faire doutant de l’effet qu’au final peut aujourd’hui produire un pauvre billet de blog. Rédigé de surcroît par un presque anonyme, dépourvu d’avenir comme du moindre pouvoir institutionnel. Disons pour aller à l’essentiel que l’élément commun de ces diverses productions reste le souci constant de persuader le commun des lecteurs de l’ampleur de sa sensibilité, de la profondeur de sa réflexion et du caractère extraordinaire de sa façon quotidienne d’être au monde. Un monde auquel le vague des mots et l’artifice astucieux de leurs associations confèrent un faux mystère. Une existence postiche. Surtout quand l’auteur se réclame du sentiment le plus sincère.

 De fait la grande majorité de ces jolies fabrications vient de petits bourgeois, bourgeoises, sympathiques ou pour reprendre encore une fois les mots de Virginia Woolf de petites personnes charmantes, propres, sensibles qui « en dehors de cela qui ne porte pas loin et n’illumine guère » se plaisent à s’exprimer « comme cela doit être ». Non plus aujourd’hui comme au siècle dernier : « léger, sûr, proportionné, et même émouvant », mais énigmatique, cosmique, ébaubissant. Mêlant de préférence tous les ordres de la nature dans des aphorismes vagues qui ne sont que des phrases. Quand ce ne sont pas de minuscules trivialités relevées d’un jet gluant de sentimentaliste fade.

 Bon. Inutile d’en rajouter. La poésie est un art qui plus que d’autres sans doute prête à la caricature. Sans doute car chacun étant aujourd’hui plus ou moins agrégé de lettres, croit en posséder le métier ou pouvoir intervenir à sa façon dans le langage. Pour y faire prospérer son petit capital symbolique. J’avais au départ simplement l’envie de faire découvrir un texte drôle pioché dans une anthologie de l’humour moderne, intitulée Fumisteries et présentée par Daniel Grojnowski et Bernard Sarrazin, un texte également présent dans le recueil de 50 contes choisis et présentés par Grégory Haleux, récemment paru aux éditions de l’Ethernité et intitulé Les Aventures du poète. Ce texte d’un auteur dont le nom ne dira sans doute rien à la plupart est d’un certain Georges Auriol, a été publié pour la première fois dans le Chat noir du 6 mars 1889. Intitulé Manufacture de sonnets, c’est une fantaisie qui moque le caractère artificiel des productions poétiques de l’époque. Hasard ou pas, croyant me souvenir de l’avoir déjà lu quelque part, j’en retrouvai la mention dans le livre ci-dessus évoqué de Jourde. Qui m’a conduit si j’ose dire à ces divagations.
Mais pour conclure et quoi que sur moi l’on colporte
Et pour le reste avant de refermer la porte
Pour le reste, dussè-je ici m’en claquer l’aorte*, 
« Je laisse au lendemain son air mystérieux,
Et mon esprit flâneur suit à travers les cieux
Le rêve qui troubla l’âme du vieux cloporte »**


NOTES
* synérèse audacieuse, certes, à la fin de cet alexandrin mais en parfaite adéquation, conviendront les plus fins, avec le thème abordé.
** Chute d’un sonnet fabriqué d’Auriol dans lequel je me suis fondu pour mieux laisser tomber.

samedi 30 mai 2020

CAHIER D’EXTRAITS PRIX DES DÉCOUVREURS 2020-21. ALVÉOLES OUEST DE FLORENCE JOU.

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Véritable petit objet interactif* notre troisième Cahier d’accompagnement du Prix des Découvreurs 2020-21, consacré au livre de Florence Jou, entraînera certes ses lecteurs dans l’important travail de lien et de résidence qu’elle a accompli au Centre d’Art Contemporain, le Grand Café de Saint-Nazaire en proposant d’écouter soit l’intégrale de la performance qu’elle y a réalisée à partir de son texte, soit simplement le teaser, comme on dit, qu’en propose aussi Vimeo. Mais il ouvrira d’autres portes à la curiosité. Une œuvre se doit bien sûr toujours d’être intéressante en elle-même. Cela ne signifie jamais qu’elle doive se replier sur elle. Bien au contraire. L’œuvre est un nœud, un carrefour de sensibilité, de connaissance et de réflexion. Elle a pour source la vie, toute la vie et pour finalité toujours aussi la vie, mais la vie avivée, augmentée, fortifiée, redoublée… nourrie.

Ainsi le lecteur qui ouvrira notre cahier découvrira ce qu’est un Centre d’Art Contemporain, y verra le type d’œuvres qu’on y collectionne ou qu’on y expose et pourra s’interroger sur les différences qui fondent aujourd’hui les 3 paradigmes principaux de l’art que sont le classique, le moderne et le contemporain que trop souvent notre ignorance amène à opposer non pour les mieux comprendre mais pour se conforter dans ses malheureux préjugés.

La démarche de Florence Jou ayant une portée indiscutablement sociale et politique, et ne cachant en rien sa dimension d’engagement, nous avons aussi cru bon de renvoyer à l’esprit dit de Mai 68 à travers le rappel en illustration de certaines affiches mais surtout en proposant un lien vers un important travail sur l’esprit de révolution qu’on trouvera sur le site Gallica.

Et puis comme nous aimons les images élaborées par les artistes et la visite des musées auxquels nous consacrons finalement aussi bien du temps, nous avons attiré l’attention sur la grande figure, moderne, de Fernand Léger et le sympathique petit musée qui lui est consacré à Biot dans les Alpes maritimes, en proposant une découverte plus précise de son grand tableau intitulé Les Constructeurs. Pourquoi d’ailleurs ne pas profiter alors de l’occasion pour établir un parallèle avec les fresques réalisées aux usines Ford de Détroit, par le grand peintre mexicain Diego Rivera que nous avons évoqué dans notre cahier précédent consacré aux Autobiographies de la faim de Sylvie Durbec.

L’espace nous a manqué pour renvoyer au bien intéressant livre qu’Antoine Volodine a publié sous le patronyme de Maria Soudaïeva, Slogans, qu’on peut facilement utiliser pour motiver et orienter des ateliers d’écriture. Les curieux que nous n’aurons pas encore épuisés iront voir.

Note : dans ce Cahier, comme dans tous les autres, passer la souris sur le texte ou l'image pour voir apparaître les liens.

mercredi 27 mai 2020

CAHIER D’EXTRAITS PRIX DES DÉCOUVREURS 2020-21. AUTOBIOGRAPHIES DE LA FAIM, SYLVIE DURBEC.


Second de nos Cahiers d’accompagnement pour le Prix des Découvreurs 2020-21, le document que nous mettons aujourd’hui en ligne est consacré aux Autobiographies de la faim de Sylvie Durbec. Beaucoup se demanderont comme ils le feront à propos de certains des autres ouvrages de notre sélection en quoi ce livre est bien un livre de poésie, étant essentiellement écrit dans une prose qui tient davantage du récit autobiographique, voire du journal intime que de ce qu’on attend généralement sous l’appellation de poésie. C’est que les frontières de genre sont aujourd’hui devenues bien floues et qu’il faut bien admettre que les artistes de la langue que sont en fait les poètes ont considérablement élargi le domaine formel dans lequel la poésie traditionnellement les enfermait. Il y a aujourd’hui poésie chaque fois qu’en réponse aux chocs émotionnels de la vie s’élabore dans un travail créateur de langue et de parole une réponse intelligente et sensible capable de résonner en profondeur chez des lecteurs que la sécheresse et l’ignorance des temps n’auront pas rendu incapable de curiosité et de partage. Certes, la liberté très grande que prennent souvent aujourd’hui les poètes vis-à-vis du langage ordinaire et de la langue communicationnelle, le caractère parfois déroutant de leurs associations et la part importante qu’ils laissent à l’implicite, exigent une forme d’attention dont on n’a pas toujours l’habitude. C’est au lecteur ainsi, le plus souvent de prolonger en partie l’œuvre dont il élabore en lui-même et pour lui-même le sens. Et c’est par là peut-être que la poésie largement nous humanise.

Dans ce cahier dont nous rappelons qu’il est aussi conçu pour permettre à ceux qui l’utilisent de prolonger leur découverte de l’œuvre par une découverte plus large de diverses questions d’art et de culture, nous avons choisi, de proposer une réflexion artistique sur notre rapport contemporain à la nourriture à partir d’une riche exposition que nous avons pu voir en 2014 au MuCEM de Marseille, ainsi qu’une réflexion sur la notion de frontière à partir d’une œuvre bien connue de l’artiste mexicaine Frida Kalho que nous avons découverte pour la première fois il y a bien, bien longtemps, lors d’un séjour à Détroit. Des liens internet permettent d’approfondir ces éléments. Dont nous espérons qu’ils seront largement utilisés pour ouvrir toujours davantage l’horizon des jeunes à qui nous nous adressons.

lundi 25 mai 2020

CAHIER D’EXTRAITS PRIX DES DÉCOUVREURS 2020-21. FAUT BIEN MANGER D’EMANUEL CAMPO.


Suite à la publication de notre sélection pour le Prix des Découvreurs 2021, nous avons aujourd’hui le plaisir de mettre en ligne le tout premier document d’accompagnement consacré au livre d’Emanuel Campo, Faut bien manger paru à La boucherie littéraire.

Ces documents doivent permettre de découvrir dans un premier temps l’ensemble des ouvrages sélectionnés à travers un choix attractif d’extraits. Les illustrations nombreuses qui les accompagnent ne sont pas destinées à faire joli mais à fournir outre des éléments supplémentaires de compréhension, quelques pistes pouvant donner lieu en classe à des parcours d’Education Culturelle et Artistique (les fameux EAC).

Le Prix des Découvreurs comme son nom l’indique a effectivement pour vocation de permettre à ceux qui y participent la plus large ouverture possible aux univers poétiques mais aussi artistiques contemporains. Ainsi le dossier de 6 pages que nous consacrons à Emanuel Campo propose une réflexion sur la figure de l’artiste contemporain et l’esprit d’autodérision dont il fait souvent preuve.

Enfin nous rappelons que notre association se propose de mettre en relation les élèves avec les auteurs qu’elle sélectionne. Ces derniers peuvent pour la plupart se rendre dans les classes, voire si cela n’est pas possible pour des raisons financières, échanger par les moyens virtuels que chacun a pu apprendre à apprivoiser au cours de ces derniers mois.

L’ensemble des dossiers devrait être disponible début juillet.

samedi 23 mai 2020

DISPARITION DU GRAND TRADUCTEUR FREDDY MICHALSKI. HOMMAGE.

Il a traduit de l’anglais et de l’américain, plus de quatre-vingts livres, essentiellement du roman noir contemporain. Ses traductions de Ellroy et de James Lee Burke ont reçu le prix de la traduction de l’association 813. Il est aussi le traducteur d’Edward Bunker. Sans avoir écrit lui-même un seul ouvrage en tant qu’auteur, Freddy Michalski est considéré pourtant par certains comme l’un de nos meilleurs stylistes. Un grand maître de la langue dont je reproduis aujourd'hui l'entretien qu'il m'avait donné pour le CRDP de Lille au début des années 2000.

  Ce grand bonheur de ne pas connaître Vaugelas !


"C’est, comme souvent, par hasard, disons un hasard sollicité que je suis devenu traducteur. J’ai toujours aimé la littérature dite noire, ou plus simplement, ce qu’il était convenu d’appeler le polar. J’en ai lu des tonnes pendant mes années d’université, ce qui m’a aidé, je suppose, à supporter certains « pensums » qui, pour brillants qu’ils soient selon les critères convenables, reçus et acceptés, ne m’emmerdaient pas moins très copieusement. Ce qui ne signifie pas dans mon esprit que c’est une littérature facile et simplement distrayante. Quand j’ai découvert Faulkner, c’était pour moi un des sommets du roman noir. Et je n’en ai toujours pas trouvé d’équivalent. Idem pour Céline. Toujours est-il que l’exercice de traduction ayant toujours eu ma faveur, j’ai demandé, il y a maintenant quinze ans, à un ami enseignant, Pierre Bondil, lui aussi traducteur de son état et dont je savais qu’il connaissait personnellement François Guérif, aujourd’hui directeur de collection chez Rivages, de penser à moi si d’aventure une traduction se présentait. Il est arrivé un jour avec un livre qui suscitait chez lui quelques réticences, c’est le moins qu’on puisse dire : il s’agissait de Blood on the Moon, de James Ellroy. En me proposant de faire un chapitre d’essai. Le livre - ou son auteur, plutôt – a suscité en moi des réticences similaires, mais en même temps, j’ai été emporté par cette voix toute neuve, cet imaginaire hors du commun, et une construction qui ne ressemblaient à rien de ce que je connaissais. J’ai fait l’essai, il a été accepté, et j’ai traduit le livre, devenu en français Lune Sanglante. C’est ainsi que tout a commencé.
Mon choix de la littérature noire est délibéré. La littérature blanche, par opposition, particulièrement en France, m’apparaît beaucoup trop nombriliste, complaisante, psychologisante à outrance, sans parler de sa fascination caricaturale pour ce que je qualifie de psychanalyse de supermarché. La littérature noire, en revanche, m’apparaît ancrée elle dans sa réalité, sociale, économique, juste témoin de son temps, de la même manière que Balzac ou Zola ont été les témoins, défenseurs, illustrateurs de la vie de leur temps. Quand j’ai le malheur de lire un « roman français contemporain », les bras m’en tombent : on croirait que tous les auteurs ne rêvent que d’écrire comme Balzac, dans un français précieux et suranné, à croire que Proust, Joyce, Céline, Faulkner n’ont jamais existé. J’en ai pourtant essayé. Il en reste peu. En outre, je suis très sensible à la langue, ses inventions, son potentiel de création incessant, et c’est une chose que je trouve et dont je me délecte dans le roman américain, policier, noir, ou autre. L’Amérique a eu le grand bonheur de ne pas connaître Vaugelas.
  Les problèmes spécifiques que cette littérature pose au traducteur sont liés justement à une langue qui se soucie peu de règles cartésiennes, l’américain, essentiellement, et qui crée, sans ambages ni regrets ni orgueil particuliers, face à une autre langue qui s’embarrasse toujours de corsets et d’armures, comme si elle rêvait toujours à un paradis perdu d’une langue disparue. Les mômes de banlieue ont plus de potentiel créatif que l’académie, ou les critiques littéraires. En outre, la musique des deux langues est tellement différente que c’est toujours une gageure que d’essayer de donner au texte français un pouvoir évocateur aussi chargé que le texte d’origine.
La familiarisation, quant à elle, est venue avec le temps et les lectures. Et il y en a eu beaucoup. San Antonio, que j’ai jadis beaucoup aimé, m’a ouvert des horizons que je ne soupçonnais pas. Simenon, pour sa simplicité. Jim Thompson, pour son tragique désespéré et drôle. Et beaucoup, beaucoup, de ce qu’il est convenu d’appeler les sous-littératures. La lecture des premières traductions de Série Noire également. Ainsi que toutes mes découvertes (universitaires au départ) de la littérature anglaise : Shakespeare, Conrad, James Joyce et William Blake sont des monuments pour moi inégalables, à des titres très opposés.
Le problème des parlers régionaux est relativement simple : quand j’ai commencé à traduire James Lee Burke, je lui ai téléphoné pour savoir ce qu’il voulait faire en utilisant un cajun un peu simplifié chez certains de ses personnages. Lorsqu’il m’a répondu qu’il voulait simplement démarquer certains personnages de par leur culture ou leur éducation, ou manque d’éducation, j’ai renoncé à utiliser le cajun, qui aurait demandé un gros appareil de notes, la langue étant complètement différente du français contemporain. J’ai opté pour des approximations de ch’ti mi à cause des ressemblances de structure, de contrepoints et de rythmique, une certaine similitude dans la musique et les sonorités.
Le cas de Docherty est plus simple encore : quand j’ai rendu ma traduction, une autre traduction de Docherty était parue aux Presses Universitaires de Grenoble, par un universitaire de Strasbourg, ce qui a retardé de quelques années la traduction parue chez Rivages. William McIlvanney faisait parler les mineurs en dialecte écossais, marquant ainsi de manière délibérée la différence de classe et de culture. Je n’ai rien reconnu du parler des mineurs dans la traduction parue à Grenoble. La décision s’est imposée d’elle-même : je connais la patois ch’ti, je l’ai pratiqué – il a été ma langue après le polonais – et j’ai vécu toute ma jeunesse chez les mineurs. C’était aussi une manière de rendre hommage à ces hommes dont j’ai compris tardivement qu’ils avaient été les esclaves  de notre belle république. En entendant lire les dialogues, j’ai réentendu les voix qui ont bercé mon enfance. Et le décalage entre les deux langues est à mon sens aussi juste en français qu’en anglais
  J’ai la chance de pouvoir choisir les livres que je traduis, ayant un autre métier. Donc le découragement n’entre pas en ligne de compte. Petit adage arrogant : en traduction, il n’y a pas de problèmes. Il n’y a que des solutions.  Disons que ce qui me guide dans mes choix se résume à un mot : plaisir, souvent lié à une certaine perception de la difficulté inhérente à la chose à traduire. Un style, une vision, une voix, une nouvelle manière, ou une manière originale de percevoir et de rendre compte de la réalité. Tout a été dit, et écrit. Et on continue à lire, et à écrire. Un imaginaire qui voit plus loin, et donc qui ouvre plus avant, des mots un peu tordus qui te font sentir un petit au-delà des banalités, une musique qui traîne dans tes oreilles un peu plus longtemps, qui s’attarde et fait naître des images ou des associations incongrues, un plaisir et un amour de la langue, voilà un peu les critères qui me guident. Les livres que je préfère ne sont pas forcément ceux qui se sont les mieux vendus. Mais c’est ainsi.  
  Je ne suis pas un écrivain frustré. Il m’arrive d’écrire, des choses courtes, très alambiquées parfois, par pur plaisir des mots, mais je n’ai pas un imaginaire de romancier. Et j’ai trop de passions en à-côté pour me sentir frustré en quoi que ce soit. Avis très personnel : il y a bien trop de livres qui se publient, souvent pour de simples raisons de marché, pour occuper la place, ou parce que l’air du temps – et les médias – les commandent. Les gens, donc les éditeurs – devraient relire plus souvent Les Lettres à Un  Jeune Poète de R.M. Rilke. Ils y trouveraient peut-être la raison qui peut pousser un homme à écrire. Je préfère le dessin, la peinture, la gravure, et autres activités directement manuelles, quant à moi, comme moyens d’expression personnels. Je doute que tu voies un jour mon nom sous le titre d’un roman d’auteur. La traduction me suffit. Peut-être parce que ses difficultés sont plus circonscrites ? Qui sait ? J’aime écrire à mes amis. C’est tout. En outre, je ne connais guère de grands, très grands romanciers contemporains. Alors, tant qu’à faire, pourquoi se leurrer, et rajouter un livre de plus à la marée qui envahit chaque année les étals des soldeurs ?"

Propos recueillis par Georges Guillain

mercredi 20 mai 2020

METTRE EN PLACE DES PROJETS AUTOUR DU LIVRE, DE L’ECRITURE ET DE LA LECTURE DANS LE CADRE DE L’EAC.

CLIQUER POUR ACCEDER AU DOSSIER


L'Agence régionale du Livre et de la Lecture Hauts-de-France vient de diffuser un important et très complet dossier qui devrait aider bien des professeurs de lettres et des professeurs documentalistes à monter à la rentrée prochaine dans leur établissement des projets autour du livre et de la lecture et pourquoi pas plus spécifiquement autour de la poésie.
Il n'est pas impossible que les circonstances sanitaires obligent les établissements à limiter leurs sorties culturelles et artistiques. Des actions autour du livre couplées avec des rencontres d'auteurs et d'artistes, dont certaines peuvent d'ailleurs s'effectuer à distance grâce à l'emploi de ces outils numériques que chacun a plus ou moins appris sous la pression des événements à apprivoiser, vont retrouver, je pense, une nouvelle attractivité.
Avec le Prix des Découvreurs à venir nous nous y préparons.

Points abordés 

EAC, place au livre !

+ Politiques publiques
+ Témoignages d’auteurs
+ Comment monter un projet ?
+ Des actions EAC en région

samedi 16 mai 2020

UNE AUTOBIOGRAPHIE DE LA POESIE SELON LIONEL RAY !



Un beau texte de Lionel Ray. Que je salue au passage.
Retrouverez-vous le nom de tous les poètes évoqués ici et saurez-vous les associer aux images données. Attention tous ici n'en ont pas.

mercredi 13 mai 2020

AH ! SI J’ÉTAIS ROMANCIER. L’EXTRAORDINAIRE TRAVAIL DE JORIS HOEFNAGEL.


SEVILLE, BRAUN & HOEFNAGEL
Si j'étais romancier je crois que je m'intéresserais activement à Joris Hoefnagel. Connu pour être le dernier des grands enlumineurs et l'un des précurseurs, chez nous, de la Nature morte, ce fils de diamantaire anversois fut aussi dans la seconde moitié du XVIème siècle, un de ces étonnants européens ouverts à tout et voyageurs qui, après avoir étudié à l'Université d'Orléans puis de Bourges,  séjourné plus  de quatre ans en Espagne, un peu moins longtemps à Londres, avoir assisté dans sa ville natale à cette Furie espagnole de novembre 1576 qui marqua le début de la fin de l’emprise hispanique sur les Provinces du Nord, s'être mis comme artiste au service de l'un des princes les plus éclairés de son époque, le Duc Albert V de Bavière puis à celui du fameux empereur Rodolphe II, auprès duquel il eut peut-être l'occasion de croiser Arcimboldo, Le Caravage ou Johannes Kepler, termina son existence à Vienne après avoir aussi habité Munich, Francfort, Prague, raison pour laquelle sans doute on le trouva qualifié pour collaborer à l'illustration de ce gigantesque grand-œuvre que fut le Civitates orbis terrarum, autrement dit, Les cités du monde, ouvrage de Georg Braun que l'histoire retiendra pour avoir été le premier à dresser en quelque 546 perspectives, vues à vol d'oiseau, la cartographie des principales villes du monde.

Dans mon roman qui se prêterait à tant de scènes à la fois pittoresques et terriblement édifiantes, je ne manquerais surtout pas de m'attarder sur l'un des épisodes que je ferais passer pour l'un des plus marquants de la vie de mon personnage, celui où dans les toutes dernières années de sa vie, il découvre dans les collections de son maître, un petit ouvrage de modèles de calligraphies, réalisé entre 1560 et 1562 par un certain Georg Bocskay, et entreprend de le couvrir d'enluminures. Á un moment où l'ouvrage imprimé prend le pas partout en Europe sur le manuscrit, l'entreprise d'Hoefnagel pose une des toutes dernières fois la question de la primeur de la préservation et du caractère unique de l'objet livre sur sa diffusion et sa plus ou moins large démocratisation.  Que se perd-il quand un rustique papier couvert par la machine d'une encre bon marché prend le pas sur le tendre velin orné d'argent et d'or par des mains virtuoses ? Car virtuose Hoefnagel assurément l'est, lui qui affirme à chaque page sa supériorité sur la main pourtant si habile quoique maniérée à l'excès du calligraphe hongrois. Recherchant dans son dessin à systématiquement sortir la page de ses deux pauvres dimensions pour donner au lecteur l'impression de volume, il joue des ombres et du trompe-l'œil, faisant en sorte parfois que les tiges des plantes qu'il dessine donnent l'impression d'avoir crevé le papier où apparaît en effet au verso le bout de tige sensé l'avoir traversé ! 

Mais là n'est pas le seul prodige. Les spécialistes des papillons, par exemple, n’ont-ils pas réussi à comptabiliser en étudiant attentivement l'ouvrage, la présence répartie sur plus de 120 planches de quelques 60 lépidoptères dont 18 espèces pour eux seraient clairement identifiables. Quand on sait que ce Mira calligraphiae monumenta  - oui c’est le titre de ce magnifique ouvrage - ne fait que 16 centimètres sur 12, ce qui correspond à peu près au format aujourd'hui d'un simple livre de poche et que ces fameux papillons n'apparaissent jamais seuls, associés qu'ils sont toujours à des fleurs ou des fruits ainsi qu'à d'autres volantes bestioles, on mesure l'extrême habilité de notre fabuleux enlumineur, capable de reproduire sur une surface de quelques menus centimètres carrés, non pas une simple idée de papillon, ce qui est à la portée du premier amateur venu, mais la figure exacte du Demi-Deuil, du Tircis, de la Thécla du Bouleau, du Petit Nacré, de l'Azuré de la Bugrane, du Moiré franconien, du Tristan, du Sphinx et de la Noctuelle de l'Euphorbe, du Leucanie paillée, de la Zérène du Groseiller, du Sphinx Demi-Paon ou  de l'Écaille rouge... sans parler de leurs chenilles !

En cette toute fin du XVIème siècle, c'est à un grand tournant dans l'histoire de la représentation que nous assistons. Chacun croit ainsi bien savoir que dans l'iconographie médiévale la fleur de lys par exemple apparaît moins pour elle-même que pour l'idée de pureté dont elle est le symbole. Et comme l’écrit avec la stimulante ironie qu’on lui connaît, Daniel Arasse dans son étude d’un tableau de Francesco del Cossa, un innocent escargot peut très vite passer pour autre chose qu’il n’est : « ces braves primitifs croyant que l’escargot était fertilisé par la rosée, celui-ci était facilement devenu une figure de la Vierge dont l’ensemencement divin était, entre autres, comparé à la fertilisation de la terre par la pluie : Rorate coeli… Cieux laissez tomber votre rosée… ». Bien sûr les choses ne sont jamais aussi simples. Et comme nous y invite Arasse il faut le plus souvent faire crédit à l’intelligence singulière du peintre, tout autant d’ailleurs qu’à la nôtre, pour comprendre qu’il aura mis dans les éléments de son tableau souvent bien plus que ces mécaniques ou machinales significations.

Reste que dans cet univers, un escargot jamais n’est qu’un escargot, comme une rose n’est jamais, comme le pensait Gertrude Stein, une rose etc… La fidélité au réel n'est en effet pas le simple objectif de l'artiste pour qui la dimension religieuse, philosophique ou morale reste toujours première. Hoefnagel, lui, a cela d'intéressant qu'il apparaît à une époque charnière où le réalisme commence à l'emporter sur le symbolisme. Où la pensée bouge plus librement pour sortir de ses cadres. Ce réalisme ne va pas encore jusqu'à l'observation directe de la nature, l'artiste travaillant essentiellement d'après gravures. Et ne craignant pas de s'abandonner à sa fantaisie. Il s’ouvre simplement à de nouveaux espaces d’observation, qui sont autant d’ailleurs d’inquiétude que de fascination et où bien des plans se conjuguent certes mais en laissant plus de franchise et de licence à l’œil comme à la main. Ne se pliant plus, par moments, qu’au style, au goût. Au sentiment propre de la beauté. Devenue pour la première fois peut-être, souveraine. 

En résulte pour nous cette petite merveille insolite de livre aujourd’hui conservé au Paul Getty Museum de Los Angeles dont le site permet d’admirer en détail un grand nombre de planches. Et pour le romancier à venir que je ne suis malheureusement pas, une histoire passionnante, je pense, qui reste à raconter.