dimanche 17 janvier 2016

POÈMES POUR QUELQUES-UNS. CINÉ-PLAGE D’ETIENNE FAURE.

THESEE ET PROCUSTE
J’aime la poésie d’Etienne Faure. Comme j’aime la poésie de Jude Stefan dont je la sens, peut-être à tort, souvent très proche. Et cela me peine de savoir que ce type d’écriture sensible, intelligent, attentif et savant, tout habité de loin et de longtemps, n’est plus en mesure aujourd’hui de retenir qu’une maigre poignée de lecteurs, tant l’époque imbécile n’y entend plus qu’ « un cri de vieille poulie rouillée de bateau qui grince [...] envoyé par le fond ».

Ce n’est pas que la poésie d’Etienne Faure s’élève à d’inaccessibles hauteurs, qu’elle entretisse d’impénétrables spéculations qui ne pourraient qu’en écarter le vulgaire. Loin de là ! Cette poésie ne nous parle que de nous. De nos vies quotidiennes. Saisies à hauteur de notre regard d’homme. À travers les plus communs de nos affects : regrets, nostalgies, éblouissements, espérances... l’égarement surtout que nous ressentons d’être là face à la vie, les vies, puis la nôtre, qui passent.

mardi 12 janvier 2016

L’INDICIPLINE DE L’EAU. JACQUES DARRAS.



C’est avec le plus grand plaisir que nous saluons aujourd’hui la sortie dans la collection Poésie / Gallimard de l’anthologie personnelle de Jacques Darras, L’indiscipline de l’eau.

Ce volume dont nous avons rédigé la Préface, paraît à l’occasion du cinquantième anniversaire de cette prestigieuse collection qui avec ses plus de cinq cents titres publiés, pris à l’ensemble des littératures du monde, s’attache à mettre en résonance les poèmes d’aujourd’hui avec ceux de tous les siècles passés.

Nul doute que la poésie « illimitée » de Jacques Darras n’ait sa place au sein d’une telle entreprise.

Comme nous le rappelons dans notre préface, « le propre de la poésie pour Jacques Darras, n'est pas de définir les contours de Vérités arrêtées. Assénées. Le propre de la poésie pour lui est de lier. D'ouvrir. D'embrayer les organes moteurs du vers à la façon, pourquoi pas, des méta-mécaniques de Tinguely, pour nous mettre tout entier, corps et esprit, en mouvement. La poésie, comme il le dit dans sa Transfiguration d'Anvers , est par excellence l'art de la proximité et de l'inachèvement. Proximité avec la totalité toujours plus à explorer de l'Univers. Et du spectacle des bulles s'élevant à l'intérieur d'un verre de Champagne qui peut ramener aux profondeurs géologiques des temps où les plaines de la Marne, de l'Aube et bien sûr de la Vesle étaient encore recouvertes par la mer, jusqu'à celui des étoiles qui parlent de ces milliards et milliards de galaxies qui composent aujourd'hui notre ciel, certes, elles ne manquent pas les provocations qu'adresse la réalité, heureusement, à nos imaginaires. Car, nous le redit à chaque ligne toute l'œuvre de Jacques Darras, le caractère inachevé, dérisoire peut-être aussi, de notre propre construction humaine ne doit pas nous désespérer. Mais être considéré avant tout comme une chance. Puisque c'est de là que s'éprouve la vie. La possibilité pour elle de se nouer amoureusement, dynamiquement à l'autre. De relancer incessamment les images1. Par quoi "prennent forme les poèmes, les voyages, les projets proportionnés aux dimensions […] de l'univers".

Note : En cela Jacques Darras se montre d’ailleurs très proche de ce que nous avons évoqué dans l’un de nos tout derniers billets à propos du Noé  de Giono
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lundi 11 janvier 2016

DE L’AIR ! DE L’AIR ! DE L’AIR ! AVEC OUF DE LAURENCE VIELLE.

VALLOTTON
FELIX VALLOTTON LE BALLON 1899





Oui. Il y a quelque chose. Il y a vraiment quelque chose dans les poèmes et dans la façon surtout qu’elle a de les dire, de la comédienne et poète belge Laurence Vielle. Une dynamique de la parole accrochée à la vie ou de la vie accrochée à la parole y rejoint une part de notre laborieuse humanité en route sur la terre, s’émerveillant, dénonçant, s’essoufflant, repartant... pour emporter le lecteur/auditeur/spectateur loin loin loin, dans ce qu’il a pourtant de plus proche et le touche au plus profond.

Parente à certains égards de celle toujours renouvelée, libre et joueuse d’un Prévert, la poésie de Laurence Vielle n’a rien d’intellectuel. De philosophique. Encore moins d’hermétique. Si elle est travaillée, ce n’est pas dans le sens d’une complication métaphorique ou de la recherche d’une certaine originalité d’images ou de vocabulaire. D’un retardement voire d’une suspension de sens. Elle surgit au contraire, tout entière d’allant et d’évidence. Pour coller à la vie ordinaire dont elle mélange les histoires sans jamais les enfermer dans leurs pseudos vérités naturalistes.

samedi 2 janvier 2016

L’ÂME DU JARDIN PAR FLORA GUILLAIN, PAYSAGISTE.

Depuis longtemps nous apprécions les jardiniers. Les paysagistes. Ce début d’année nous paraît du coup propice à relancer le lien avec tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, contribuent à jardiner cette terre où nous savons aujourd’hui notre habitation, précaire. Du moins fragilisée. Le jardinier, s'il ne conçoit pas - comme on pouvait le faire à certaines époques de foi - son action à la manière d'un combat meurtrier entrepris contre le Mal ou les ténèbres, a beaucoup à nous apprendre. Pas seulement au plan pratique. Mais à des niveaux essentiels. Freud lui-même n’affirmait-il pas à la fin de sa vie qu’il lui semblait avoir perdu son temps et que la seule chose importante était le jardinage !
Nous ne rappellerons pas ici l’étymologie du mot homme qui accorde fondamentalement ce dernier à la terre. Le dossier que nous donnons à lire, que nous devons à une jeune paysagiste, y reviendra en détail et, outre de nombreux aperçus littéraires et philosophiques, donnera à tous ceux qui cherchent à refonder avec le monde des alliances à la fois durables et profondes, des pistes bien enrichissantes.

L’ÂME DU JARDIN :  un dossier illustré de plus de 40 pages établi par Flora Guillain

dimanche 27 décembre 2015

HOMMAGE. DEUX BEAUX COMPATRIOTES DE L’AILLEURS : ERNEST HAMY ET AUGUSTE PINART.

BALTHUS
BALTHUS
J’ai vécu mes premières années dans une rue de Boulogne-sur-Mer dont le nom, seulement maintenant, plus d’un demi-siècle plus tard, évoque autre chose que ces associations qui forment le fond ensommeillé, parfois plein de poésie, des esprits encore mal contrôlés que sont les esprits d’enfance.  
Ernest Hamy, cet élément de signalétique que je recopiais avec ma date de naissance sur les étiquettes de mes cahiers d’écolier, n’était pour moi qu’une séquence graphique intellectuellement vide  qui, même plus tard, lorsque je fus devenu moins ignorant et alors même que les hasards de l’existence m’eurent conduit à m’installer à deux pas du beau manoir  du Waast qui fut la résidence d’été de mon lointain compatriote, me laissa sans curiosité. Stupidement, ma pensée le rangeait parmi les vieilles notabilités, sans histoire et sans gloire. Pourtant Hamy fut dans la seconde moitié du XIX ème siècle, un de ces enfants de Boulogne que son époque et son tempérament généreux portèrent, pour reprendre les mots merveilleux de Montaigne à embrasser l’univers comme sa ville, à jeter ses connaissances, sa société, ses affections à tout le genre humain, persuadé aussi qu’il était, comme nombre de ses contemporains éclairés, des indiscutables bienfaits de la science, des sciences devrais-je dire, et de la marche irrésistible, juste un peu ralentie parfois, du Progrès.

mercredi 16 décembre 2015

AGIR DANS L’INCERTITUDE. AUTOUR DE VOYAGE À TRAVERS LES CLIMATS DE LA TERRE DE GILLES RAMSTEIN.

La Création L.A. Demarne, 1729
Je viens de terminer la lecture – passionnante – d’un livre de Gilles Ramstein consacré à l’histoire des climats de la terre.  Un voyage d’un peu plus de onze milliards d’années qui conduit du premier pilonnage subi par le disque primitif, entraînant l’apparition des océans, jusqu’à leur disparition complète puis à l’absorption de notre planète par la géante rouge qu’à ce moment sera devenu le Soleil. Spécialiste de la modélisation du climat au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, Gilles Ramstein est un scientifique pédagogue qui malgré la complexité des phénomènes dont il essaie de rendre compte, nous permet d’un peu mieux comprendre les phénomènes dont sommes aujourd’hui les acteurs plus ou moins inconscients ainsi que les potentielles victimes. En même temps, il ne cache rien du caractère encore bien incertain de la plupart de nos connaissances et des controverses qui animent toujours les milieux scientifiques face à l’extraordinaire diversité des interactions chimiques, physiques, biologiques et mécaniques qui président à la définition des climats successifs de la terre. 

jeudi 10 décembre 2015

DU TEMPS OÙ LA CLASSE OUVRIÈRE ÉTAIT DIGNE. DOCHERTY DE McILVANNEY

Le poète et romancier écossais, William McIlvanney, vient de mourir le 5 décembre dernier. Pour avoir, grâce à mon ami Freddy Michalski, son traducteur, eu la chance de découvrir son superbe roman Docherty qui raconte l’histoire d’une famille de mineurs écossais peu avant le surgissement de la première guerre mondiale, je voudrais rappeler ici que McIlvanney ne fut pas que cet auteur de romans policiers qu’on a pris l’habitude de voir en lui, même si ces romans qui influencèrent, dit-on son cadet Peter May, ne manquent pas d’intérêt.

Docherty est un roman magnifique, tout en sensibilité, qui témoigne de l’extraordinaire capacité de son auteur à comprendre et à manifester dans toute leur subtilité les liens qui, en dépit des malentendus de surface et surtout des difficultés à traduire sentiments et pensées dans les formes d’une parole claire, rassemblent les membres d’une famille ouvrière, dans un contexte social où la pauvreté pour ne pas dire une certaine misère n’a pas encore, loin de là, comme on le voit de nos jours, défait le souci de la dignité et le sens des solidarités humaines les plus profondes. 

Nos lecteurs trouveront dans l’extrait que nous publions ci-dessous un très beau passage où les qualités de l’auteur, j’espère, lui apparaîtront dans leur évidence. Dans cet extrait, un jeune fils de mineur doué pour les études mais qui méprise son instituteur, tente d’expliquer à son père, qui ne sait pas lire, pourquoi il ne veut plus prolonger ses études et désire, comme lui, descendre à son tour à la mine.  

mardi 8 décembre 2015

« TIRER L’ÊTRE VERS LE VOLUME ». CHRISTIANE VESCHAMBRE : QUELQUE CHOSE APPROCHE.


Elie Lascaux, La Maison de l'homme-plumes
 « Y-a-t-il un concept d’un pas qui vient dans la nuit, d’un cri, de l’éboulement d’une pierre dans les broussailles ? De l’impression que fait une maison vide ? ». Et si c’était justement de la capacité qu’elle possède, hors concept, comme le suggère Yves Bonnefoy dans les Tombeaux de Ravenne, de nous amener à sentir, éprouver, tout ce qui du fond, habité, de notre conscience, déborde notre pouvoir de « représentation », de « définition » du monde, que la poésie, une certaine poésie – d’ailleurs pas la plus répandue de nos jours – restait et restera toujours indispensable pour une partie d’entre nous.

Non. Il n’est pas vrai que la poésie soit faite pour nous permettre de nous exprimer.



mardi 1 décembre 2015

ODETTE PERDUE ET RETROUVÉE ! L’INTERLOCUTRICE DE GENEVIÈVE PEIGNÉ.

Qu’attend-on d’un écrivain sinon qu’il mette des mots sur des espaces de notre vie qui avant lui échappaient encore à la parole, ou qu’il éclaire à son tour d’un jour nouveau, d’une intensité plus puissante ou sous des angles singuliers, ce que les habitudes de langage, les conditionnements culturels ont fini par dérober à la conscience sensible. L’écrivain, de son côté fait quant à lui chaque jour l'expérience que, si la langue qu’il travaille peut être l’instrument d’une libération de sa parole,  elle peut aussi rester celui de son enfermement dans ce qu’Yves Bonnefoy appelait si bien « la séduction des structures closes ».
Le beau livre, et courageux, de Geneviève Peigné, l’Interlocutrice, me semble, à cet égard, particulièrement digne de retenir l’attention. De nombreux comptes rendus ont déjà été donnés de cet ouvrage, et qui lui rendent pour la plupart justice. Poignant, bouleversant d’humanité, délicat. Un émouvant mémorial consacré à une mère disparue victime de la maladie d’Alzheimer, une plongée dans la maladie et les affres du mal être, un essai tragique sur la vie et la lecture qui, comme l’écrit l’un des premiers Eric Chevillard dans le Monde des livres, avoisine à travers les paroles retracées de la mère, les effets produits par une certaine poésie contemporaine... tout a été dit, je pense, sur ce livre à nul autre pareil.