La Création L.A. Demarne, 1729 |
Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
mercredi 16 décembre 2015
AGIR DANS L’INCERTITUDE. AUTOUR DE VOYAGE À TRAVERS LES CLIMATS DE LA TERRE DE GILLES RAMSTEIN.
jeudi 10 décembre 2015
DU TEMPS OÙ LA CLASSE OUVRIÈRE ÉTAIT DIGNE. DOCHERTY DE McILVANNEY
Le poète et romancier écossais, William McIlvanney, vient de
mourir le 5 décembre dernier. Pour avoir, grâce à mon ami Freddy Michalski, son
traducteur, eu la chance de découvrir son superbe roman Docherty qui raconte l’histoire d’une famille de mineurs écossais
peu avant le surgissement de la première guerre mondiale, je voudrais rappeler
ici que McIlvanney ne fut pas que cet auteur de romans policiers qu’on a pris
l’habitude de voir en lui, même si ces romans qui influencèrent,
dit-on son cadet Peter May, ne manquent pas d’intérêt.
Docherty est un roman magnifique, tout en
sensibilité, qui témoigne de l’extraordinaire capacité de son auteur à
comprendre et à manifester dans toute leur subtilité les liens qui, en dépit des
malentendus de surface et surtout des difficultés à traduire sentiments et
pensées dans les formes d’une parole claire, rassemblent les membres d’une
famille ouvrière, dans un contexte social où la pauvreté pour ne pas dire une
certaine misère n’a pas encore, loin de là, comme on le voit de nos jours, défait
le souci de la dignité et le sens des solidarités humaines les plus
profondes.
Nos
lecteurs trouveront dans l’extrait que nous publions ci-dessous un très beau
passage où les qualités de l’auteur, j’espère, lui apparaîtront dans leur
évidence. Dans cet extrait, un jeune fils de mineur doué pour les études mais
qui méprise son instituteur, tente d’expliquer à son père, qui ne sait pas
lire, pourquoi il ne veut plus prolonger ses études et désire, comme lui,
descendre à son tour à la mine.
mardi 8 décembre 2015
« TIRER L’ÊTRE VERS LE VOLUME ». CHRISTIANE VESCHAMBRE : QUELQUE CHOSE APPROCHE.
Elie Lascaux, La Maison de l'homme-plumes |
Non. Il n’est pas vrai que la poésie soit faite pour nous permettre de nous exprimer.
mardi 1 décembre 2015
ODETTE PERDUE ET RETROUVÉE ! L’INTERLOCUTRICE DE GENEVIÈVE PEIGNÉ.
Qu’attend-on
d’un écrivain sinon qu’il mette des mots sur des espaces de notre vie qui avant
lui échappaient encore à la parole, ou qu’il éclaire à son tour d’un jour
nouveau, d’une intensité plus puissante ou sous des angles singuliers, ce que
les habitudes de langage, les conditionnements culturels ont fini par dérober à
la conscience sensible. L’écrivain, de son côté fait quant à lui chaque jour l'expérience que, si la langue
qu’il travaille peut être l’instrument d’une libération de sa
parole, elle peut aussi rester celui de son enfermement dans ce qu’Yves
Bonnefoy appelait si bien « la
séduction des structures closes ».
Le
beau livre, et courageux, de Geneviève Peigné, l’Interlocutrice, me semble, à cet égard, particulièrement digne de
retenir l’attention. De nombreux comptes rendus ont déjà été donnés de cet
ouvrage, et qui lui rendent pour la plupart justice. Poignant, bouleversant d’humanité, délicat. Un émouvant mémorial
consacré à une mère disparue victime de la maladie d’Alzheimer, une plongée dans la maladie et les affres du
mal être, un essai tragique sur la
vie et la lecture qui, comme l’écrit l’un des premiers Eric Chevillard dans
le Monde des livres, avoisine à travers
les paroles retracées de la mère, les
effets produits par une certaine poésie contemporaine... tout a été dit, je pense, sur ce livre à nul
autre pareil.
mercredi 25 novembre 2015
BANDE DE GAZA. SYLVIE NÈVE.
André ROBILLARD, LAM, Villeneuve d'Asq |
L’Atelier de l’Agneau vient
de publier Bande de Gaza, un
intéressant texte de Sylvie Nève que certains peut-être se souviendront d’avoir entendu, il y a quelques années, sur les antennes de Radio-France sous la
forme d’un oratorio mis en musique par le compositeur Éric Daubresse. Le livret
de cet oratorio s’accompagne de textes plus récents dont l’un d’ailleurs réagit
au propos d’un journaliste trouvant apparemment surprenant que l’auteure ait écrit, sans «y avoir jamais
mis les pieds », sur cette terre qu’elle a décidé, non de chanter, mais
de prendre comme objet de pensée « pour
y comprendre quelque chose ».
samedi 21 novembre 2015
GRAND STADE DE LUDOVIC JANVIER
Les récents événements auxquels nous pensons tous
ont associé dans les esprits l’image d’un stade, celui du Stade de France, et
celle d’une violence considérée parmi les plus extrêmes et les moins humainement défendables. Fidèle à cette philosophie qui tend moins à apporter des réponses toutes faites qu’à tenter
d’élargir et d’approfondir la réflexion en se refusant autant que faire se peut aux simplifications
parfois grossières des journaux, aux réflexes mentaux dont nous pourvoient les formes diverses de dressage auxquelles nous sommes plus ou moins soumis, j'ai éprouvé le désir de
relire le texte magnifique du poète Ludovic Janvier, intitulé Grand Stade.
" à tout instant la planète
est ce stade où c'est l'heure
pour nous cocus pour nous
battus de s'amuser au match
l'heure où beaux gisants
du voir venir on assiste tranquilles
à la ruée sur nous des
morts plein cadre sans bouger
de nos gradins chacun chez
soi où tout vient apparaître
crier puis disparaître
entre stupeur et sommeil
soixante-sept morts à zéro
l'autre jour un beau score "
mercredi 18 novembre 2015
CENDRARS. PATRICIO GUZMAN. FABIENNE RAPHOZ ... TIENS VOILA DU BOUDIN ! COMMENT SORTIR DU NOIR ?
C’est effectivement le travail des artistes. Des
écrivains. Des penseurs. Et bien entendu des poètes. Il serait toutefois
dangereux de minimiser les difficultés d’une telle entreprise. Tant la réalité,
si tant est qu’on puisse comme ça la désigner singulière, sidère. Tend à celui
qui voudrait la regarder en face –pas à partir de ses simples réflexes mentaux
- son visage pétrifiant de Méduse.
« Un profond bouleversement de l’intelligence qui fait qu’on ne parvient pas à trouver ses mots »
Le poète Blaise Cendrars a connu, lui qui s’est
volontairement jeté au cœur de l’épouvantable réalité de la première guerre
mondiale, ce profond bouleversement de l’intelligence qui fait qu’on ne
parvient plus à trouver ses mots, ses mots de poète, qui pourraient donner sens
et l’on sait que contrairement à d’autres, comme Apollinaire par exemple, il ne
se sentit plus en mesure – à l’exception d’ailleurs très significative de La Guerre au Luxembourg – d’écrire le
moindre vers. Et dut attendre la seconde guerre mondiale avant de pouvoir
évoquer sa propre blessure et de le faire, en prose.
Revenant en 1949, dans le Lotissement du ciel, sur ces moments où, soldat, il guettait à
son créneau la nuit couvrant le no man’s
land, il affirme qu’il ne trouve pas de réponse autre au terrible spectacle
de la condition humaine « jetée en
holocauste sur l’autel féroce et vorace des patries » que le refrain
de la Légion, ce refrain qui, écrit-il, « vous fait franchir les parapets de la raison ».
« La perpétuelle réinvention de l’horreur à laquelle les hommes se prêtent de si bon cœur, de façon si diverse et parfois bien dissimulée, sur l’ensemble de la terre »
lundi 16 novembre 2015
ÉMIR ABDELKADER. POUR QUI LE VEUT CORAN. POUR QUI LE VEUT GUINGUETTE !
Portrait d'Abd el-Kader par Jean-Baptiste-Ange Tissier, 1852, musée de Versailles. |
De
là à en inférer l’inutilité de l’art ou son impuissance face à ces terribles « architectes
de la sensibilité », comme les appelle Don De Lillo dans Mao 2 que sont ceux qui entendent, par la
radicalité de leurs actes accomplir la parole de Dieu, venger leurs propres
martyrs ou hâter la venue de tel ou tel régime qu’ils voudraient imposer à
tous, le pas est large qu’il importe surtout de ne jamais franchir.
L’art, s’il n’est pas propagande, ce qui lui arrive parfois, est l’anti-barbarie par excellence
jeudi 12 novembre 2015
LASZLO NEMES, BORIS PAHOR ET LES AUTRES ... FIGURATION D'INFIGURABLE
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Le magazine des Idées de Télérama propose cette semaine
un article bien intéressant à l’occasion de la sortie du film de László Nemes, Le Fils de Saul. Cet article revient en particulier sur le débat maintenant un peu
ancien mais qui n’a rien perdu de sa nécessité entre le célèbre réalisateur de Shoah,
Claude Lanzmann et l’important spécialiste de l’image qu’est Georges
Didi-Huberman. On sait que ce débat naquit à l’occasion de l’exposition de 4
photographies prises, dans les conditions qu’on imagine, par des membres
polonais d’un Sonderkommando qui voulaient, de cette manière,
« archiver » pour l’Histoire les abominations dont ils étaient, pour
reprendre le mot de Primo Levi, « les vrais témoins » en même
temps que les involontaires et tragiques complices.
Je ne discuterai pas de la valeur du
film de László Nemes dont je m’étonne quand même qu’il ait été si facilement
adoubé par le bien sourcilleux Lanzmann. Je me propose simplement de prolonger
la réflexion à travers quelques textes que la vision du film aura contribué à
réveiller dans ma mémoire : celui du petit livre de Didi-Huberman,
intitulé Ecorces, écrit à partir de
sa visite du camp de Birkenau et des photos qu’il a prises lui-même des lieux
où travaillaient les membres du Sonderkommando qu’on voit dans le film. Celui
du roman de Vassili Grossman, Vie et
Destin où il raconte pour la première fois, je pense, dans l’histoire de la
littérature, la mort dans une chambre à gaz d’un de ses personnages et où,
aussi, il met en scène un ancien comptable faisant le compte des
« personnes » dont on lui impose de brûler les corps. À cela
j’ajouterai deux courts extraits, eux-aussi bien intéressants du beau livre de
Boris Pahor, Pélerin parmi les ombres,
que j’ai découvert à l’occasion de la publication du petit livre que j’ai été amené à écrire à la suite de la visite que j'ai effectuée du camp
d’extermination du Struthof. Il m’a également paru nécessaire de donner
quelques extraits du livre paru en Poche sous le titre évocateur Des voix sous la cendre, où le lecteur
trouvera le texte des Manuscrits retrouvés des Sonderkommandos
d’Auschwitz-Birkenau.
Ecouter: l'émission de Caroline Broué Le débat sur la représentation de la Shoah est-il clos?
Ecouter: l'émission de Caroline Broué Le débat sur la représentation de la Shoah est-il clos?
vendredi 6 novembre 2015
DE L’OCCUPATION DU CHAMP LITTÉRAIRE. L’EXEMPLE DE LA RELATION HUGO – SAINTE-BEUVE.
Il y a quelques années j’ai accepté à la demande de l’Association Ça-et-Là de tenir, dans le cadre de son Festival Sainte-Beuve (BSB), le rôle de Victor Hugo dans la reconstitution publique - qui devait être improvisée – d’une séance du Cénacle sensée se tenir entre lui, Victor Pavie et Sainte-Beuve à la fin des années 1820.
Cette
manifestation se déroulant à Boulogne-sur-Mer, ville natale de Sainte-Beuve devait
bien entendu servir les intérêts de notre grand critique national. Relisant
dernièrement l’entretien que j’avais à l’époque rédigé pour les organisateurs
en témoignage de cette manifestation, il m’a semblé qu’il pouvait toujours
intéresser les lecteurs de ce blog par ce qu’il dit par exemple de l’engagement
des poètes et de leur manière d’occuper le champ de la création.
BSB : Georges
Guillain, vous avez tenu le rôle de Victor Hugo lors de la soirée inaugurale
des Journées de la critique où était évoquée l’atmosphère du fameux
Cénacle qui réunissait chez Hugo les poètes romantiques de la fin des années
1820. Qu’avez-vous pensé de cette expérience ?
G.G. : Intéressante.
Mais c’est trop dire que j’ai tenu ce rôle. En fait j’ai un peu l’impression
d’être tombé dans un double traquenard. Comédien d’un soir, je devais
improviser face à de véritables comédiens qui eux venaient lire leur texte. Non
spécialiste de Hugo, je devais réagir comme si j’étais lui. Au début je me suis
senti un peu mal en me demandant comment j’allais m’en sortir et effectivement
j’ai commencé à parler à la troisième personne, un peu comme si je faisais
cours. Mais j’ai écouté mes voix intérieures ( !) qui
m’ont conseillé de me lâcher et alors j’ai vraiment commencé à m’amuser comme
un fou car j’ai pris conscience aussi qu’en en en faisant parfois des tonnes je
correspondais assez bien à l’image que la manifestation voulait donner de mon
personnage : le méchant Hugo tout gonflé de lui-même et de son génie face
à un Sainte-Beuve chlorotique certes mais infiniment lucide. La pauvre petite
fleur des champs. Le garçon réfléchi et modeste.
BSB : C’est
comme ça vous voyez ces deux auteurs ?
G.G. : Non.
BSB : Vous
pouvez en dire plus ?
G.G. : Oui.
BSB : Mais
encore.
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