vendredi 29 décembre 2023

À PROPOS DE L’EXPOSITION ROTHKO. VERS UN TOTALITARISME MARCHAND.


 

« Quand j’étais jeune homme l’art se suffisait à lui-même : il n’y avait ni galeries ni collectionneurs, ni critiques, ni argent. Puisqu’il s’agissait d’un âge d’or, nous n’avions rien à perdre et une vision à élaborer. Aujourd’hui ce n’est plus pareil »[1]

 

Il y a quelque chose de l’imposture dans ces retentissants autant que terribles évènements muséaux où les publics sont invitées à « une relation de soi à soi, au plus intime [2] » devant une accumulation d’œuvres sensées les inciter à la contemplation, la méditation, voire à venir ressentir en foules une expérience unique à caractère mystique… Entraînés, poussés, pressés, par le devoir d’admirer, notre petite bourgeoisie touristique éprise comme toujours de distinction s’est mise à se précipiter aux grandes expositions, rendant de plus en plus insupportable ce qu’on appelait autrefois leur « visite », devenue aujourd’hui « parcours », sorte d’épreuve consistant davantage à tenter d’éviter de heurter ses voisins, de se rapprocher comme on peut des tableaux, de s’y placer à bonne distance sans que leur vue n’en soit dérangée par le passage de ces groupes se contentant de ne leur jeter sans s’arrêter qu’un regard fatigué ou de ces obsédés du cliché venus avant tout enrichir leur collection d’images numériques pour se prouver à eux-mêmes ainsi qu’à leurs proches, qu’ils y étaient ! Et qu’ils existent vraiment.

vendredi 22 décembre 2023

DES VÉNUS VÉNITIENNES JOUANT DE LA MUSIQUE.

 

Je ne suis pas un grand « fan » de ce que je connais de l’œuvre de Micheli Parrasio. Dont l’ouvrage que je préfère est cette allégorie de la musique, vue il y a une grosse dizaine d’années à Budapest et dont j’ai depuis remarqué qu’il en existait dispersées un peu partout de nombreuses versions. Ami du Titien, il serait peut-être l’auteur du martyre de Saint Georges parfois aussi attribué à Alessandro Turchi qu’on peut aller voir au Musée des Beaux-Arts de Lille où il est entré comme une œuvre de Veronèse du style duquel il aura fini par se rapprocher.

Je me suis amusé ici à combiner plusieurs des compositions qu’il s’est, sans doute avec l’aide des peintres de son atelier, ingénié à produire et reproduire pour satisfaire la clientèle cosmopolite de son époque. Afin d’en conserver une manière de souvenir. Me rappeler aussi que l’art ne vit pas que de grands maîtres et de génies éblouissants mais aussi de talentueux suiveurs dont le premier mérite est sans doute de bien choisir ceux qui, plus grands qu’eux, les inspirent.

RÉCÉPISSÉ DÉCOUVREURS : TROIS FEMMES ENCORE PLUS UNE AUTRICE FEINTE.


 Rare de recevoir le même jour quatre ouvrages qu'on a tous envie de lire. Merci à leur auteur, leur éditeur de me les avoir adressés. On remarquera qu'il est bien loin le temps où pour se faire mieux lire les femmes imaginaient se doter d'un patronyme accompagné d'un prénom masculin. Intéressant renversement que de voir, même si ce n'est pas du tout pour les mêmes raisons, un auteur bien connu réaliser le trajet inverse.

mardi 19 décembre 2023

TROIS FEMMES ET SANS DOUTE AUSSI QUELQUES AUTRES POUR SERVIR D’ANTIDOTE AUX ABAISSEMENTS DU MOMENT.

Au centre, fragment de chaussée romaine. Musée national de Rome. Photo G.G.

 Las des propos hâblards, des courtisaneries à l’envie monnayées sur la toile, de l’étalage effronté de soi, des boursouflures de parole, du vide de la pensée, de la médiocrité des engagements… De cette épaisse bourgeoisie des lettres, enfin, qui ne voit jamais le problème qu’il y a de se recommander, je ne sais pas, de Paul Celan, de Thoreau ou de Pasolini, pour encenser complaisamment les Déroulède du présent…

samedi 16 décembre 2023

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS : RESSACS DE CLARISSE GRIFFON du BELLAY AUX ÉDITIONS MAURICE NADEAU. PASSAGERS TOUJOURS DE LA MÉDUSE.

« J’étais potentielle dans ces actes. J’étais potentielle dans cette viande morte.

Qu’est ce qu’on transmet ? [1]»

 

Récit avant tout d’une difficile libération, Ressacs, d’une descendante de l’un des quinze survivants sur les cent-cinquante qui durent confier leur survie au fameux radeau de la Méduse, n’est pas un travail d’historien. Ce qui se passa réellement sur ce grossier assemblage de bois rapidement construit avec des madriers et des pièces de mâts, suite à l’échouage du navire, est d’ailleurs aujourd’hui bien documenté. Même si, comme j’ai pu le constater fort récemment, au cours d’une discussion vive avec une amie romancière, le jour abominable que jette sur notre humanité les actes que choisirent d’accomplir une partie des naufragés pour assurer le maintien de leur existence, continue à ne pouvoir, par tous, être regardé en face.

vendredi 15 décembre 2023

DES NOUVELLES DE NOS ATELIERS DE TRADUCTION LITTÉRAIRE.

 Heureux aujourd’hui d’avoir pu mener à bonne fin ce second et troisième épisode du programme d’atelier de traduction littéraire que nous avons proposé au lycée Berthelot de Calais. Après la séquence espagnole il y a quinze jours en compagnie de l’écrivaine argentine Vivian Lofiego qui vient d’y traduire le Bad Girl de Nançy Huston, c’était cette semaine comme la semaine précédente au tour de l’allemand avec la traductrice Carole Fily, lauréate du Prix Pierre-François Caillé de la Traduction, en 2017. Nous entamons la dernière séquence avec l’écrivain américain Eddy Harris, présent sur ces deux derniers jours pour une petite dizaine d’heures avec les lycéens, avant de terminer sans doute en février avec Martine De Clercq, autour de l’Île rebelle, son Anthologie, dans la célèbre collection Poésie/Gallimard, de la poésie britannique au tournant du XXIe siècle.

mercredi 13 décembre 2023

À PROPOS D’EXERCICES D’APPRENTISSAGE DU POÈTE PALESTINIEN TARIK HAMDAN PUBLIÉ PAR LANSKINE. ÉDITION BILINGUE.

Ne nous laissons pas prendre à ce que nous inspire a priori ce joli pot de citronnier qui figure sur la couverture du livre du journaliste, poète, palestinien, Tarik Hamdan, que viennent de publier les éditions LansKine. Ceux qui connaissent un peu la culture du citronnier savent d’ailleurs à quel point elle réclame au départ de soin, ayant à la fois besoin de soleil et d’eau. Ce qui la rend difficile. Difficile comme la condition d’un palestinien qui, né du fait de l’«occupation» israélienne, en Jordanie, se retrouve, après des études au Caire, « transplanté » à Paris où lui a été accordée pour finir la citoyenneté française[1].

Un poème, significativement intitulé Gouvernements – notez bien le pluriel – évoque allégoriquement cette douloureuse histoire qui se termine par l’arrachage par les autorités locales de ce pot de citronnier que l’auteur, voulant lui donner une chance de mieux s’épanouir, a fini par planter dans un jardin public. J’étais il y a quelques jours à Lille pour assister à l’émouvante représentation de Saïgon, la pièce de Caroline Guiela Nguyen, évoquant le profond bouleversement occasionné dans la vie de certains vietnamiens obligés de quitter leur pays, leur famille, par le départ imposé des français qu’ils avaient eu le tort, peut-être, de soutenir. Je me souviens aussi de longues discussions avec la regrettée poète syrienne Fadwa Souleymane, qui me disait à quel point son pays lui manquait… Le monde est plein de ces hommes et ces femmes que la folie meurtrière et la soif de pouvoir de quelques-uns, encouragées par le fanatisme bien entretenu de leurs partisans, pour le plus grand profit aussi des marchands d’armes et des industries d’armement, auront privés de leurs droits les plus fondamentaux. Comme d’habiter en paix sur leur terre. De vivre près de leur famille. Et de pouvoir envisager leur avenir avec confiance et clarté[2].

mardi 12 décembre 2023

« IL N’Y A DE VRAIS LIVRES QUE DES LIVRES RICHES ET COMPLEXES. » ENTRETIENS AVEC L’AUTEUR ANGLAIS TOBY LITT.

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Depuis quelque temps, il semble que j’apprécie de plus en plus de me pencher en direction de ces années parfois lointaines dont mon PC me propose chaque matin de visualiser par l’image les traces qu’il en a retenues. C’est vrai que mon passé est sûrement plus riche désormais que mon futur. Même si ce qui me reste entièrement, physiquement et surtout aventureusement à vivre, aura toujours plus de poids à mes yeux que les reliques même les plus aimables, avantageuses, de mes années disparues.

Ce matin, par exemple, je me suis avec plaisir replongé dans les souvenirs des quelques jours de décembre 2008 où j’ai imaginé, suite à une demande un peu vague de la Maison des Ecrivains et de la Littérature de l’époque, d’accompagner le jeune et brillant romancier anglais Toby Litt, dans une suite de rencontres à Lille avec divers groupes de professeurs auxquels dans le cadre de mon action de formateur j’ambitionnais de faire découvrir et surtout mieux comprendre la littérature, je dirais, non conformiste et réellement nourrissante de leur temps.