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mercredi 27 mai 2020

CAHIER D’EXTRAITS PRIX DES DÉCOUVREURS 2020-21. AUTOBIOGRAPHIES DE LA FAIM, SYLVIE DURBEC.


Second de nos Cahiers d’accompagnement pour le Prix des Découvreurs 2020-21, le document que nous mettons aujourd’hui en ligne est consacré aux Autobiographies de la faim de Sylvie Durbec. Beaucoup se demanderont comme ils le feront à propos de certains des autres ouvrages de notre sélection en quoi ce livre est bien un livre de poésie, étant essentiellement écrit dans une prose qui tient davantage du récit autobiographique, voire du journal intime que de ce qu’on attend généralement sous l’appellation de poésie. C’est que les frontières de genre sont aujourd’hui devenues bien floues et qu’il faut bien admettre que les artistes de la langue que sont en fait les poètes ont considérablement élargi le domaine formel dans lequel la poésie traditionnellement les enfermait. Il y a aujourd’hui poésie chaque fois qu’en réponse aux chocs émotionnels de la vie s’élabore dans un travail créateur de langue et de parole une réponse intelligente et sensible capable de résonner en profondeur chez des lecteurs que la sécheresse et l’ignorance des temps n’auront pas rendu incapable de curiosité et de partage. Certes, la liberté très grande que prennent souvent aujourd’hui les poètes vis-à-vis du langage ordinaire et de la langue communicationnelle, le caractère parfois déroutant de leurs associations et la part importante qu’ils laissent à l’implicite, exigent une forme d’attention dont on n’a pas toujours l’habitude. C’est au lecteur ainsi, le plus souvent de prolonger en partie l’œuvre dont il élabore en lui-même et pour lui-même le sens. Et c’est par là peut-être que la poésie largement nous humanise.

Dans ce cahier dont nous rappelons qu’il est aussi conçu pour permettre à ceux qui l’utilisent de prolonger leur découverte de l’œuvre par une découverte plus large de diverses questions d’art et de culture, nous avons choisi, de proposer une réflexion artistique sur notre rapport contemporain à la nourriture à partir d’une riche exposition que nous avons pu voir en 2014 au MuCEM de Marseille, ainsi qu’une réflexion sur la notion de frontière à partir d’une œuvre bien connue de l’artiste mexicaine Frida Kalho que nous avons découverte pour la première fois il y a bien, bien longtemps, lors d’un séjour à Détroit. Des liens internet permettent d’approfondir ces éléments. Dont nous espérons qu’ils seront largement utilisés pour ouvrir toujours davantage l’horizon des jeunes à qui nous nous adressons.

mercredi 13 mai 2020

AH ! SI J’ÉTAIS ROMANCIER. L’EXTRAORDINAIRE TRAVAIL DE JORIS HOEFNAGEL.


SEVILLE, BRAUN & HOEFNAGEL
Si j'étais romancier je crois que je m'intéresserais activement à Joris Hoefnagel. Connu pour être le dernier des grands enlumineurs et l'un des précurseurs, chez nous, de la Nature morte, ce fils de diamantaire anversois fut aussi dans la seconde moitié du XVIème siècle, un de ces étonnants européens ouverts à tout et voyageurs qui, après avoir étudié à l'Université d'Orléans puis de Bourges,  séjourné plus  de quatre ans en Espagne, un peu moins longtemps à Londres, avoir assisté dans sa ville natale à cette Furie espagnole de novembre 1576 qui marqua le début de la fin de l’emprise hispanique sur les Provinces du Nord, s'être mis comme artiste au service de l'un des princes les plus éclairés de son époque, le Duc Albert V de Bavière puis à celui du fameux empereur Rodolphe II, auprès duquel il eut peut-être l'occasion de croiser Arcimboldo, Le Caravage ou Johannes Kepler, termina son existence à Vienne après avoir aussi habité Munich, Francfort, Prague, raison pour laquelle sans doute on le trouva qualifié pour collaborer à l'illustration de ce gigantesque grand-œuvre que fut le Civitates orbis terrarum, autrement dit, Les cités du monde, ouvrage de Georg Braun que l'histoire retiendra pour avoir été le premier à dresser en quelque 546 perspectives, vues à vol d'oiseau, la cartographie des principales villes du monde.

Dans mon roman qui se prêterait à tant de scènes à la fois pittoresques et terriblement édifiantes, je ne manquerais surtout pas de m'attarder sur l'un des épisodes que je ferais passer pour l'un des plus marquants de la vie de mon personnage, celui où dans les toutes dernières années de sa vie, il découvre dans les collections de son maître, un petit ouvrage de modèles de calligraphies, réalisé entre 1560 et 1562 par un certain Georg Bocskay, et entreprend de le couvrir d'enluminures. Á un moment où l'ouvrage imprimé prend le pas partout en Europe sur le manuscrit, l'entreprise d'Hoefnagel pose une des toutes dernières fois la question de la primeur de la préservation et du caractère unique de l'objet livre sur sa diffusion et sa plus ou moins large démocratisation.  Que se perd-il quand un rustique papier couvert par la machine d'une encre bon marché prend le pas sur le tendre velin orné d'argent et d'or par des mains virtuoses ? Car virtuose Hoefnagel assurément l'est, lui qui affirme à chaque page sa supériorité sur la main pourtant si habile quoique maniérée à l'excès du calligraphe hongrois. Recherchant dans son dessin à systématiquement sortir la page de ses deux pauvres dimensions pour donner au lecteur l'impression de volume, il joue des ombres et du trompe-l'œil, faisant en sorte parfois que les tiges des plantes qu'il dessine donnent l'impression d'avoir crevé le papier où apparaît en effet au verso le bout de tige sensé l'avoir traversé ! 

Mais là n'est pas le seul prodige. Les spécialistes des papillons, par exemple, n’ont-ils pas réussi à comptabiliser en étudiant attentivement l'ouvrage, la présence répartie sur plus de 120 planches de quelques 60 lépidoptères dont 18 espèces pour eux seraient clairement identifiables. Quand on sait que ce Mira calligraphiae monumenta  - oui c’est le titre de ce magnifique ouvrage - ne fait que 16 centimètres sur 12, ce qui correspond à peu près au format aujourd'hui d'un simple livre de poche et que ces fameux papillons n'apparaissent jamais seuls, associés qu'ils sont toujours à des fleurs ou des fruits ainsi qu'à d'autres volantes bestioles, on mesure l'extrême habilité de notre fabuleux enlumineur, capable de reproduire sur une surface de quelques menus centimètres carrés, non pas une simple idée de papillon, ce qui est à la portée du premier amateur venu, mais la figure exacte du Demi-Deuil, du Tircis, de la Thécla du Bouleau, du Petit Nacré, de l'Azuré de la Bugrane, du Moiré franconien, du Tristan, du Sphinx et de la Noctuelle de l'Euphorbe, du Leucanie paillée, de la Zérène du Groseiller, du Sphinx Demi-Paon ou  de l'Écaille rouge... sans parler de leurs chenilles !

En cette toute fin du XVIème siècle, c'est à un grand tournant dans l'histoire de la représentation que nous assistons. Chacun croit ainsi bien savoir que dans l'iconographie médiévale la fleur de lys par exemple apparaît moins pour elle-même que pour l'idée de pureté dont elle est le symbole. Et comme l’écrit avec la stimulante ironie qu’on lui connaît, Daniel Arasse dans son étude d’un tableau de Francesco del Cossa, un innocent escargot peut très vite passer pour autre chose qu’il n’est : « ces braves primitifs croyant que l’escargot était fertilisé par la rosée, celui-ci était facilement devenu une figure de la Vierge dont l’ensemencement divin était, entre autres, comparé à la fertilisation de la terre par la pluie : Rorate coeli… Cieux laissez tomber votre rosée… ». Bien sûr les choses ne sont jamais aussi simples. Et comme nous y invite Arasse il faut le plus souvent faire crédit à l’intelligence singulière du peintre, tout autant d’ailleurs qu’à la nôtre, pour comprendre qu’il aura mis dans les éléments de son tableau souvent bien plus que ces mécaniques ou machinales significations.

Reste que dans cet univers, un escargot jamais n’est qu’un escargot, comme une rose n’est jamais, comme le pensait Gertrude Stein, une rose etc… La fidélité au réel n'est en effet pas le simple objectif de l'artiste pour qui la dimension religieuse, philosophique ou morale reste toujours première. Hoefnagel, lui, a cela d'intéressant qu'il apparaît à une époque charnière où le réalisme commence à l'emporter sur le symbolisme. Où la pensée bouge plus librement pour sortir de ses cadres. Ce réalisme ne va pas encore jusqu'à l'observation directe de la nature, l'artiste travaillant essentiellement d'après gravures. Et ne craignant pas de s'abandonner à sa fantaisie. Il s’ouvre simplement à de nouveaux espaces d’observation, qui sont autant d’ailleurs d’inquiétude que de fascination et où bien des plans se conjuguent certes mais en laissant plus de franchise et de licence à l’œil comme à la main. Ne se pliant plus, par moments, qu’au style, au goût. Au sentiment propre de la beauté. Devenue pour la première fois peut-être, souveraine. 

En résulte pour nous cette petite merveille insolite de livre aujourd’hui conservé au Paul Getty Museum de Los Angeles dont le site permet d’admirer en détail un grand nombre de planches. Et pour le romancier à venir que je ne suis malheureusement pas, une histoire passionnante, je pense, qui reste à raconter.

dimanche 10 mai 2020

SUR LA RUELLE DE JOHANNES VERMEER. TRIPES, GLYCINE, VIEUX RÔLES ET RECHERCHE DU TEMPS PERDU.































Le tableau de Vermeer intitulé la Ruelle est peint autour de 1658. Ce n'est qu'en 2015 qu'un professeur d'histoire de l'art de l'Université d'Amsterdam réussit à identifier avec précision non seulement le nom de la dite ruelle mais aussi l'adresse des deux maisons séparées par des cours, l'une fermée, l'autre ouverte, qui s'y trouvent représentées. La clé du mystère se trouvait depuis sa création en 1667, dans le contenu d'un Registre des travaux de dragage des canaux de la ville de Delft, appelé aussi Registre des droits de quai, qui  précisait au centimètre près la largeur de toutes les maisons de la ville ! Merci donc à l'honorable  Professeur Frans Grijzenhout qui du même coup nous permet de savoir que la porte ouvrant sur la courée de droite était à l'époque appelée Porte des tripes (Penspoort en néerlandais) : la veuve vivant dans cette maison, qui n'était autre qu'une tante de Johannes, gagnant sa vie en cuisinant ces honnêtes et serviables boyaux. Allez. Un peu de pittoresque flamand ou bruegélien ne peut  ici - au 42 de la Vlamingstraat - faire de mal. Et qu'il me soit permis, au passage, de maudire mon inculture qui me fit sûrement passer bien des fois en ce lieu, sans jamais y remarquer, dans la cour que plus de 3 siècles n'auront pas suffi à dissimuler définitivement au regard, d'ombre de jeune fille penchée, sur le tonneau du temps. Encore moins le fantôme repenti de cette femme assise qu'on devine toujours un peu dans le tableau et que maître Johannes aura fait disparaître pour augmenter sa vue d'un lumineux effet de contraste et de profondeur.


Pourquoi, recueillant ainsi chaque jour de nouvelles preuves de mon ignorance, ne puis-je m'empêcher de penser alors devant la masse colorée de la liane qui recouvre tout le pan de mur à gauche de la composition et lui sert ainsi comme on dit de portant que ce ne peut être là un lierre comme le prétendent la plupart des descriptions que j'ai lues. Mon œil y percevant des nuances de mauve veut à tout prix en faire une glycine. Ce qui d'ailleurs combattrait avec bonheur les lourdes odeurs de panse qui devaient transpirer de la cuisine proche. Erreur. La glycine originaire du Céleste Empire, m'apprend mon cerveau numérique, n'aurait fait son apparition en Europe que beaucoup plus tard. Au début du XIXème siècle. Pourtant les Pays-Bas de l'époque de Vermeer, répond mon idée fixe, ne sont-ils pas déjà, par leur commerce, un peu aussi, la Chine ?

Bref. Pour revenir à notre bon professeur, on reste comme toujours, d'abord un peu sidéré par l'intelligence et l'application dont l'esprit humain est capable pour résoudre toutes sortes d'énigmes qui finalement restent d'un intérêt bien secondaire. En tout cas pour tout le reste, à quelques exceptions près, de notre grouillante humanité. Puis on admire. On sent que le monde, la moindre chose a de quoi incessamment relancer toujours notre curiosité. Nos infinis désirs de rapprochements. Notre besoin de sens. Et l'on se dit avec bonheur que sans doute il se trouvera toujours quelque part et parfois même en nous un professeur Grijzenhout pour mettre nos questionnements les plus rares, comme j'espère surtout nos plus nécessaires, sur la voie salutaire d'un début de réponse.