mercredi 27 novembre 2019

DES EFFETS MONSTRUEUX DE LA GLOBISHISATION. POURQUOI IL NOUS FAUT IMPÉRATIVEMENT LIRE LE DERNIER LIVRE DE GÉRARD CARTIER !

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Poètes, écrivains, enseignants nous sommes attachés à cette langue que nous travaillons et tentons de transmettre. Car nous savons que la langue comme l’écrit Barbara Cassin, prolongeant une belle image du grand linguiste allemand Humboldt, « n'est pas seulement un instrument de communication, un service ; ce n'est pas non plus seulement un patrimoine, une identité à préserver. C’est un filet jeté sur le monde » qui ramène à notre conscience une part de réalité. Nous permettant de la penser. Plus une langue est forte, riche, plus la part de réalité qu’elle nous permet d’entrevoir est précise et profonde. Plus la langue s’appauvrit, plus le filet de son vocabulaire, les mailles de sa structure se distendent, plus large devient la part de monde qui fuit hors de notre conscience. Échappe à notre sensibilité.

« Quand on dit « bonjour » ou « good morning », on souhaite que la journée soit bonne. Quand les Grecs se saluaient, ils disaient « Khaire », « jouis », réjouis-toi de la beauté du monde dont tu fais partie. Les Latins disaient plutôt « vale », « sois en bonne santé ». En arabe, en hébreu, on fait שלום que « la paix soit avec toi ». En mandarin, paraît-il, on demande : « As-tu mangé ? » C'est toujours bonjour, mais on n'ouvre pas le monde de la même manière. » écrit Barbara Cassin dans une chronique de l’Humanité reprise en ligne par le collectif national l’Appel des appels, qui s’est donné pour mission de « résister à la destruction volontaire et systématique de tout ce qui tisse le lien social ». En l’occurrence ici notre heureuse et féconde diversité.

Dès lors comment ne pas réagir face à la mise en place de cette pseudo-langue universelle, le « globish » dont il faudrait être aveugle pour ne pas voir comment – sous des apparences légères et le plus souvent ludiques – le terrible travail d’uniformisation des sensibilités et des consciences qu’il entreprend, nous soumet chaque jour davantage au règne de l’argent et de la marchandise.  

Sous le régime nazi, un philologue allemand Viktor Klemperer a tenu un compte quasi journalier de la façon dont la langue du 3ème Reich, - c’est le titre de son ouvrage [1] – est, à force de simplisme et de matraquage, parvenu à faire nager "dans la même sauce brune " la plupart des esprits d’un des pays comptant pourtant parmi les plus cultivés d’Europe.[2]


Cette chose qui nous menace aujourd’hui, d’ailleurs amplifiée par l’extrême fascination qu’exerce sur chacun la toute puissance des nouvelles technologies, est peut-être plus grave car elle ne se limite plus aux frontières d’un pays. Elle ne vise rien moins qu’à s’imposer à l’ensemble des peuples de la terre.  C’est pourquoi nous pensons important d’offrir à la réflexion de ceux qui nous liront, ces pages essentielles du dernier livre de Gérard Cartier, Du franglais au volapük, dont nous avons précédemment rendu compte, en espérant en voir le plus possible partagés, l’inquiétude et le désir de résistance.



[1]  Victor KLEMPERER, LTI, la langue du 3e Reich. Carnets d'un philologue, Paris, Albin Michel (coll. Bibliothèque Idées), 1996, 375 p. Traduit de l'allemand et annoté par Elisabeth Guillot. Présenté par Sonia Combe et Alain Brossat.
 
[2] Qui fabrique la LTI ? V. Klemperer voit en Gœbbels son forgeron principal, et en Hitler, Göring et Rosenberg ses acolytes. Qui parle la LTI ? « Tous, littéralement tous, parlaient […] une seule et même LTI» (p. 330). Le nazisme a fait de la langue du parti la langue de tous. Il a fait d'un bien particulier un bien général. Il a accompli son dessein totalitaire. Partout, même « dans les maisons de Juifs, on avait adopté la langue du vainqueur » (p. 258). Les mots circulent, du parti à l'armée, du parti à l'économie, du parti au sport, du parti aux jardins d'enfants. Le mot Weltanschauung (vision du monde), à son départ « terme clanique », se met à circuler sur toutes les lèvres : « Chaque petit-bourgeois et chaque épicier des plus incultes parle à tout propos de sa Weltanschauung et de son attitude fondée sur sa Weltanschauung » (p. 191). Extrait du CR de l’ouvrage de V. Klemperer par Alice Krieg, dans la revue Mots, n°50, mars 1997. Israël - Palestine. Mots d'accord et de désaccord. Voir en ligne : https://www.persee.fr/issue/mots_0243-6450_1997_num_50_1?sectionId=mots_0243-6450_1997_num_50_1_2319


samedi 23 novembre 2019

FUREURS COMIQUES OU PERCEVAL CHEZ LE MARQUIS DE SADE. UNE ŒUVRE DU XIIIème SIÈCLE Á DÉCOUVRIR : TRUBERT, DE DOUIN DE LAVESNE AUX ÉDITIONS LURLURE.



Est-il sot, est-il fou, est-il diable ? Ce Trubert en tout cas est un sacré, satané, personnage. Issu de l’imagination d’un auteur, Douin de Lavesne, dont nous ne savons rien, sinon qu’il vécut au XIIIème siècle, il revit aujourd’hui grâce à la hardiesse des éditions Lurlure qui redonnent de ce texte - dont l’histoire n’aura conservé durant plus de cinq siècles qu’une unique copie - une version en français moderne, heureusement mise en regard de son singulier et bien troublant original.

Le lecteur à qui la matière de Bretagne n’est pas totalement étrangère et qui aura conservé souvenir de ses lectures de Chrétien de Troyes, en particulier de son Perceval, ne manquera pas de remarquer combien ce jeune « nice », sorti de sa forêt, qui n’a jamais vu un crucifix, confond sol et denier et se sentira condamné au plus grand inconfort quand on lui offrira de dormir sous les draps d’une couche moelleuse, s’affranchit du chemin suivi par  « li filz a la veve dame»[1] qui en constitue le modèle initial. Notre Trubert n’a rien de la pureté foncière d’un quêteur de Graal, ni de la délicatesse d’un amant, rêvant à sa bien-aimée devant trois simples gouttes de sang tombées au matin sur la neige. Tout au contraire. C’est un violent. Un qui frappe. Et qui cogne. Se moque. Et obstinément viole.

mardi 19 novembre 2019

NOTRE INVISIBLE CAGE D’ACIER. SUR UN PLACET DE GÉRARD CARTIER : DU FRANGLAIS AU VOLAPÜK, CHEZ OBSIDIANE.

« Jamais notre langue n’a été aussi malmenée et jamais à ce point mal aimée ». C’est vrai que de découvrir, par exemple, dans la bouche d’un Président de la République, se piquant d’avoir été proche d’un philosophe comme Paul Ricoeur, qu’il croit « dans l’autonomie et la souveraineté » car « la démocratie est le système le plus bottom up [sic] de la terre », a de quoi faire bouillir jusqu’aux natures les plus tièdes. Faire se cabrer jusqu’aux plus flegmatiques et accommodants esprits [1].


We are, us, moderns, the new France


mercredi 13 novembre 2019

LAURENT GRISEL. RÉVÉLER LA GRANDEUR DE TOUTE EXISTENCE HUMAINE.


Laurent Grisel est un homme d'attention. Aux êtres comme aux faits. Il l'a prouvé aussi bien par son ouvrage Climats que nous avons sélectionné dans le cadre du Prix des Découvreurs 2016-17 que dans les différents volumes de son Journal de la Crise. Il le prouve à travers son engagement quotidien pour dénoncer les ravages de tous ordres de notre capitalisme financier. Le dernier ouvrage auquel il a participé, suite à une louable initiative du Centre Social et Culturel de Puisaye-Forterre, témoigne de ce que nous perdons à ne plus considérer comme pourtant elle le mérite, la part pas nécessairement la moins féconde et belle de notre humanité.

vendredi 8 novembre 2019

PRÉVENIR L'AVÈNEMENT DE NOUVELLES BARBARIES.


Difficile de résister à l'appel d'un livre qui commencerait de la façon suivante :

PROLOGUE
Entendez-moi.
Nous sommes ici. Nous sommes vivants.
Mille et une choses nous attachent les uns aux autres : paroles, voix, caresses, sang, textes, chansons, lignes, routes, messages sans fil. Parfois ce lien s'exprime simplement parce que nous voyons le même soleil monter dans le ciel, parce que nous écoutons la même chanson à la radio, récitons le même texte en le murmurant, la tête ailleurs, tandis que nous faisons la vaisselle après le dîner.
C'est ce qui s'appelle faire partie d'une société. D'une nation, ou du genre humain. Tout dépend de l'endroit où on place la ligne de partage.

mercredi 6 novembre 2019

INDIFFÉRENCES CANNIBALES !


Si je n'ai toujours rien dit du livre d'Eric Pessan, Ce qui sauterait aux trois yeux du Martien fraîchement débarqué, que les éditions LansKine m'ont adressé il y a quelques mois déjà, ce n'est pas par indifférence. Ou parce que je trouverais que "ce livre n'est pas de la poésie [et qu'il] manque de spiritualité et de travail de la langue". Ceux qui comme moi reçoivent beaucoup des éditeurs et des auteurs qui, comme c'est bien normal, tentent d'assurer à leurs livres ce minimum de présence sociale qui légitime, dans le contexte déprimant qu'on sait, les efforts nécessités par leur publication, me comprendront. Impossible de répondre à tout. Impossible de se montrer à la hauteur de tout. Impossible. Même en acceptant de faire fi de tout ce qui ne paraît pas nécessaire. Sans compter bien sûr, le factice ou le dérisoire.

mardi 5 novembre 2019

BEAU LIVRE. OURSON LES NEIGES D’ANTAN ? DE LUCIEN SUEL & WILLIAM BROWN. AUX EDITIONS PIERRE MAINARD.

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Un bien beau livre du toujours intéressant Lucien Suel qui bénéficie ici des pittoresques images issues des oeuvres graphiques diverses de l’artiste canadien William Brown, récemment disparu et à qui est dédié cet ouvrage.

En vers pour la plupart justifiés - sa marque de fabrique - Lucien Suel nous accueille à nouveau dans l’univers richement matériel et intérieurement habité qui est le sien. Où j’ai plaisir à retrouver ce rude, rêche et vigoureux monde du Nord que comme lui je hante avec, comme dans ces scènes de marché de nos anciens maîtres flamands, Aertsen ou Joachim Beuckelaer, abondance de victuailles. Riches et pauvres. Aux présences puissantes : porcs cuits, boudin noir, andouilles ... sans oublier le kipper et le pain perdu  de nos communes enfances.

À cela s’ajoutent les brises et les braises, les vents et les saisons qui ravivent, secouent les paysages de blé en herbe, de perches dans les houblonnières ; tout un bestiaire aussi où le chat de Guarbecque - le village de Lucien - fait ménage avec le castor,  l’orignal  et le macareux des terres cousines du Canada.

On trouvera aussi dans les quatre langues française, anglaise, galloise et pour finir dans une version d’Ivar Ch’Vavar, en picard, une évocation des quatre évangélistes. 

On aurait tort de se priver des plaisirs et des célébrations d’un tel livre !

POUR DÉCOUVRIR CONRAD AIKEN ! UN ARTICLE APPROFONDI DE CÉCILE VIBAREL.

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Heureux de pouvoir aujourd'hui publier sur ce blog la bien nourrissante étude de Cécile Vibarel sur cet auteur américain que je ne connaissais pas. Et qui mérite notre attention. Il fut proche de William Carlos Williams et joua un rôle déterminant dans la reconnaissance d'Emily Dickinson dont il publia en 1924 les Selected Poems.

lundi 4 novembre 2019

POÉSIE PRISE DE TÊTE. COMPRENDRE POURQUOI IL FAUT ACCEPTER QUE CERTAINES FORMES DE LA POÉSIE CONTEMPORAINE SOIENT PAR NATURE ILLISIBLES !

Prise de vers que les éditions la rumeur libre viennent de publier est un livre qui intéressera principalement les poètes. Du moins ceux qui, comme je le pense depuis longtemps moi-même,  considèrent que le poème, reconfigurant par ses rythmes, ses modulations, ses figures, notre "pays de langue", remet à sa place centrale le lecteur, l'obligeant à l'investir en "paysage", c'est-à-dire en Sujet.

Nulle ambition ici de rendre compte de la totalité de ce livre sérieux, documenté, fruit nous dit l'éditeur "d'une dizaine d'années de pratique du poème et de réflexion sur la poésie depuis Mallarmé". Le projet de Vinclair est ambitieux mais clair. Il s'agit d'interroger et de comprendre l'illisibilité de toute une partie de notre poésie contemporaine qui fait qu'elle s'est coupée de la quasi-totalité de ses lecteurs potentiels et ne survit plus, globalement, qu'au sein d'une sorte de secte ou de confrérie, celle des "poètes s'entrelisant". Et encore !

Pour Pierre Vinclair, cette situation ne présente rien d'étonnant. Elle est constitutive de la nature même de l'expérience poétique qu'il décrit. Qui n'est pas celle de toute la poésie ou des poésies qui existent de nos jours et que nous connaissons. Mais celle de la poésie fondée sur des pratiques de langage qui la différencient totalement des œuvres qu'il appelle classiques et qu'il dit rassemblées, ordonnées, construites, autour d'un sens qui leur serait extérieur et préalable.  Emportant sans s'en laisser conter toutes les résistances que lui opposent les forces et formes propres des codes esthétiques, grammaticaux et sémantiques dans lesquels il lui faut se couler. La poésie dont nous parle Vinclair est en effet celle qui travaille la matière de la langue non pas à partir d'une pensée première dont elle opérerait pour se communiquer, la traduction, mais d'une pensée non encore vraiment pensée. À venir. Et dont le propre serait de n'être jamais close. Se montrant in fine toujours merveilleusement ou redoutablement, ouverte.

Si, je le confesse,  j'éprouve toujours un peu de mal avec l'idée de souffrance, de corps souffrant de la langue que Pierre Vinclair privilégie dans ses analyses, préférant, de façon moins christique, ne parler à propos de la dite langue que de son irréductible et féconde résistance, je partage largement l'idée que l'auteur de Sans adresse, se fait de la relation que le poème contemporain dont il parle, entretient avec son lecteur. "Publier un poème, écrit-il, […] ce n'est plus écrire à quelqu'un de particulier. […] Les destinataires du poème (publié) ne sont pas (ou ne sont plus) ses lecteurs empiriques. Bien plutôt, ils doivent se rendre dignes de ce corps qui ne leur était pas destiné : c'est-à-dire qu'ils doivent faire l'effort (non pas d'interpréter mais) de se hisser jusqu'au "vrai lieu" (pour reprendre un terme cher à Yves Bonnefoy) où se donne le corps de la langue. Bref, tenter de recevoir le poème, c'est d'abord le chercher, et tâcher de se hisser jusqu'à lui. De l'étreindre dans un corps à corps (plutôt que dans une lecture). Recevoir le poème revient donc à […] faire l'épreuve de sa propre puissance, en s'élevant peu à peu, à la dignité du corps de la langue."

C'est en cela, nous dit Vinclair, que le poème - du moins le poème qui n'aura pas renoncé à son intransitivité qu'elle soit radicale ou partielle, c'est-à-dire à son refus premier de s'abolir dans un  discours préalable - fabrique plus qu'aucune autre forme de parole, ce qu'il appelle un "cercle des égaux". Tout lecteur devant se montrer à son tour poète pour faire l'expérience de sa propre puissance herméneutique. Qui consiste non pas à force d'intelligence et d'observations précises à reconstituer le sens caché, premier du texte. Qui n'a jamais existé. Mais à tenter de traduire, pour lui, l'énergie, la forme particulière de vitalité que la nature particulière de de ses opérations de langage est venue exposer devant lui. En paysage. Qu'il lui appartient à son tour d'écrire.


Rien d'étonnant dès lors à ce que le plus grand nombre préfère, comme le dirait Bonnefoy, « la séduction des structures closes » dans laquelle notre société et la plus grande part de notre éducation malheureusement nous enferment, à cette prise de tête ; l'auteur qui aime les jeux de mots, renvoyant dans son titre à cette expression, en  référence bien sûr à la fameuse Crise de vers de Mallarmé qui par ailleurs lui fournit de solides bases théoriques.

On ajoutera qu'en conclusion Pierre Vinclair reconnaît et c'est une évidence que le champ poétique actuel se positionne de plus en plus aujourd'hui sur des conceptions bien différentes. Revendiquant de nouvelles formes de lisibilité donnant toutes leur chance aux discours théoriquement libérateurs. Qu'ils soient identitaires, centrés sur la question des minorités, ou écologiques. Toute une jeune poésie française, on le voit, largement inspirée par la lecture des américains, s'est engouffrée dans cette voie qui bien sûr reçoit un accueil bien plus favorable des publics comme des institutions culturelles préoccupées trop souvent de suivre la plupart des postures, ou des impostures, à la mode.

J'hésite, pensant à tous ceux qui aujourd'hui proclament à longueur de livres et d'articles que la poésie est la clé de notre survie, à reproduire pour finir les dernières paroles de ce livre stimulant : "On ne sauve pas le monde avec un livre de poèmes, et les ambitions du poète trop hautes, se fracasseront au contact de la dure réalité.
Mais dans ce fracas lui-même, réside la beauté."

dimanche 3 novembre 2019

PARTAGE. JEAN BRUSSELMANS PEINTRE BELGE, 1884 - 1953.

On connaît mal en France l'œuvre du peintre belge Brusselmans, né au sein d'une famille du quartier populaire des Marolles à Bruxelles ! Et mort à Dilbeek, petite commune du Brabant situé à quelques dizaines de kilomètres de la capitale.

 D'une grande pauvreté lui-même, toute sa vie, il partagea l'existence difficile des pauvres. Sans faire de concessions à l'air du temps. Ni au goût désastreux du public. Tout au plus accepta-t-il de peindre pour trouver de quoi vivre, quelques panneaux publicitaires.